Charles Daney
In memoriam Jacques Guibillon
Quand Frère Thomas est arrivé sur les bords du Bassin d’Arcachon, il n’y avait à cet endroit rien d’autre que la forêt.
Dans la mer, il y avait à l’époque, plein de petits phoques, de pingouins nains, des dauphins qi sautaient par-dessus les vagues et d’étranges cailloux qui s’ouvraient à la marée.
Dans la forêt, on trouvait des cerfs, des sangliers, des renards et des écureuils.
Thomas était né loin de là, à Vrana en Illyrie, sur les bords de la mer Adriatique.
C’est pour cela qu’il se faisait appeler Thomas Illyricus, Thomas l’Illyrien.
Ce moine fort en gueule était un bon prédicateur. Il faisait des ravages parmi les hérétiques de Toulouse et des environs. Il lui arrivait aussi de dire du mal des évêques qui n’aimaient pas ça et le voyaient d’un mauvais œil.
Le frère de l’un d’eux, captal de Buch, seigneur des trois paroisses de La Teste, Gujan et le Teich) lui a trouvé un petit ermitage au bord du bassin. Il pouvait, tout à loisir, parler aux pingouins en écoutant gronder la mer et siffler le vent. Il n’avait, pour toute distraction, que de nombreuses promenades sur les bords du Bassin qui avait un nom et s’appelait Arcachon. L’écume qui ourlait les vagues faisait des liserés argentés sur les plages de sables fins. Le poète cycliste, Maurice Martin, n’avait pas encore inventé le terme Côte d’Argent que Thomas y pensait déjà.
Un jour qu’il s’ennuyait plus que de coutume et qu’il marchait à grandes enjambées sur les bancs du Bernet, tout près de l’ermitage, il vit, à l’horizon, de grands bateaux en difficulté, à l’entrée du Bassin. Que faire quand on est un moine en présence d’un naufrage ?
Sur la plage immense, devant la mer en furie, Thomas se mit à genoux pour prier. Sa prière achevée, il n’a plus rien vu sur l’eau redevenue calme, mais à ses pieds, échouée sur le sable blanc, une Vierge d’albâtre le regardait gentiment, son enfant dans ses bras.
Il l’a trouvée si jolie, qu’il a bâti une chapelle sur place, pour y loger celle qu’on allait appeler Notre-Dame d’Arcachon, du nom du Bassin.
La nouvelle s’est se jusqu’à la Teste et Gujan. La petite chapelle est devenue le lieu de pèlerinage de tous les marins du bassin et de leur famille.
C’est qu’il y avait beaucoup de pêcheurs qui ramenaient dans leurs filets plein de poissons, comme dans une pêche miraculeuse. Il leur arrivait aussi, en saison, de ramasser des canards dans les filets qu’ils plantaient dans la vase des bancs, et qu’ils appelaient palets. Mais l’hiver, ils allaient à la pêche à l’océan, parec qu’à la saint Michel tous les poissons quittaient le bassin. Ils franchissaient des passes encombrées de bancs instables comme dans un désert de sable et d’eau.
Près du rivage où personne ne venait lui rendre visite ( ce n’était pas encore la mode) Thomas s’ennuyait.
Au bout de six mois, il partit retrouver Toulouse, ses chères études et ses étudiants.
Notre-Dame d’Arcachon est restée au-dessus de l’autel qu’il lui avait construit.
On dit même qu’elle n’aime plus sortir depuis ce jour de 1519 où Thomas l’a rencontrée sur la plage. Lorsque l’on veut la promener, il se déclenche toujours une tempête.
Le sable pourtant commençait à envahir la petite chapelle de Bernet.
De graves messieurs sont venus de la Teste constater le déplacement des dunes de la côte.
Devant l’avancée des sables, ils ont décidé de construire une autre chapelle tout près de l’endroit où se trouvait autrefois l’ermitage.
La vierge n’a pas pu empêcher le « grand malheur » de 1836, quand la mer a gardé soixante-dix-huit pêcheurs et fait cent soixante et un orphelins ;
Les marins ont mis aux pieds de Notre-Dame plein de bouées, de tableaux et de bateaux en ex-voto et jusqu’à une petite barrique qui avait soutenu un matelot de La Teste sur les eaux du golfe du Mexique.
Le plus beau de tous les ex-voto est pourtant la station balnéaire qui est née près de la chapelle.
Parce qu’un jour la Vierge a pris la ville dans ses bras et l’a baptisée Arcachon.
Pendant plus de cent ans, on l’avait crue endormie, à l’abri de son nclos que n’ont longtemps fréquenté que les familles de marins et quelques bergers.
Les Arcachonnais lui ont construit une basilique de briques. Ils ont mis une belle crois, qu’on illumine chaque soir, devant la jetée de la Chapelle.
Et la petite Vierge en albâtre, première pierre d’Arcachon, en reste à jamais la plus belle.
C’est même pour cela que l’Atlantic Princess la salue toujours en passant au large de la croix mise à l’emplacement de l’ancienne chapelle ensablée.
Quant à Thomas Illyricus, frère franciscain, il a repris ses pérégrinations avant de mourir en 1528 près de Menton. Il a laissé à la bibliothèque de Toulouse un volume de ses Sermones aurei… illustré d’une gravure le représentante n train d’y prêcher.
>Cette histoire nous a été racontée par André Rebsomen dans Notre Dame d’Arcachon (Delmas, Bordeaux 1937), après les récits de l’abbé Mouls, du R.P. Delpeuch et de Guy de Pierrefeu, mais toujours d’après Florimond de Raemond, le successeur de Montaigne au Parlement de Bordeaux, qui en a parlé dans son histoire de la Naissance, progrez et décadence de l’hérésie de ce siècle. Paris. 1605
Editions Loubatières/ 10 bis, boulevard de l’Europe 31120 Portet-sur-Garonne / N°ISBN 2-86266-282-8