Il était une fois la vigne en Buch (2)

Deuxième épisode.

Et si l’avenir de la vigne se jouait ( un peu) en Pays de Buch ?

Résumé des épisodes précédents :

Il y a eu de tout temps de la vigne en Buch. Avant les romains, avant le Moyen Age.

En 1891, pas moins de 630 hectares sont plantés entre Bassin et Villemarie.

Puis, la vigne disparaît, moins à cause des maladies, que du fait de la concurrence. Avec l’arrivée du chemin de fer, le succès de la résine et des bains de mer.

Aujourd’hui, Charles Fuster a décidé de replanter de la vigne à La Teste de Buch. Pour faire au Domaine Decazes, un vin authentique et un conservatoire des cépages identitaires.

Rencontre avec M. le Pr Georges Pauli

Œnologue diplômé de l’ENITA et  de l’Institut d’Œnologie de Bordeaux 2

Georges Pauli est ce que certains appellent un « wine maker », un spécialiste de la vinification.

Originaire d’ Elne, à côté de Perpignan dans les Pyrénées Orientales, ce catalan a longtemps travaillé et vécu à saint Julien- Beychevelle, où il a même succédé à Henri Martin à la mairie pour deux mandats. Son nom reste attaché au Château Gruaud Larose, deuxième grand cru de Saint Julien, et à la Maison Cordier.

La vigne et le vin sont sa vocation. A la tête d’une société de conseil, il opère en France, en Médoc, en Languedoc Roussillon, en Espagne, en Italie.

Il donne des cours d’œnologie et de dégustation, à Arcachon notamment. Il vit depuis trois ans à la Teste de Buch.

Replaçons le sujet dans son contexte. Pourquoi et comment de la vigne en Buch ?

-En France actuellement, la vigne occupe un million d’hectares, contre 2 millions au Moyen Age, et produit 50 millions d’hectolitre, autant qu’au Moyen Age. A cette époque la vigne est le privilège des monastères, qui la cultivent et vendent le vin de messe et de consommation. Elle s’étend bien au nord du 45 ème parallèle, jusqu’à Calais, par exemple.

Cette époque se prolonge jusqu’en 1880, date à laquelle le vignoble est détruit par le phylloxéra. Il perd alors la moitié de sa superficie. La vigne disparaît pratiquement des terroirs nordistes.

L’autre facteur de sa disparition au nord est l’extension du réseau de voies ferrées. Paris est désormais abreuvée de vins plus goûteux et plus forts en degré d’alcool. Le vin afflue de Bourgogne via Auxerre et la Seine, plus tard des Graves de Bordeaux. Il n’est plus utile de cultiver la vigne en banlieue.  Il en reste de pittoresques vestiges à Montmartre, Nogent, etc.

D’avant le phylloxéra restent quelques terroirs atypiques, isolés, tels que celui de La Teste de Buch -Gujan-Mestras. Ce sont certainement des survivances de ces vignes de monastère, liées à la présence d’une autorité suzeraine et ecclésiastique.

C’est surtout le témoignage de ce que ce pays vit alors en autarcie alimentaire. Le Pays de Buch produit tout à sa suffisance, céréales et vin étant le principal, jusqu’à l’arrivée du chemin de fer, de l’économie de la forêt et du goudron, et enfin du tourisme.

Comme partout en France, les vins venus d’ailleurs – ici de Bordeaux- étant meilleurs, le vignoble local n’a plus sa raison d’être.

Il disparaît non pas à cause du Phylloxéra, mais de la concurrence des produits importés de Bordeaux, et de la reconversion de la main d’œuvre dans des secteurs plus rentables.

Sur ces sables de la lande de Buch, d’où venaient les premiers ceps de vigne ?

-On situe habituellement l’origine de la vigne à Bordeaux à l’arrivée des romains , vers 50 avant JC. Les romains avaient des cépages solides, généreux. Ils en maîtrisaient le travail.

Pourtant, les récents progrès de la génétique remettent les idées reçues en question.

La vigne est une liane, qui possède des capacités de dispersion et d’adaptation immenses. Il est convenu que les origines de la vigne sont à rechercher du côté du Caucase, de la Géorgie…cependant on trouve de la vigne historique en Amérique! Une vigne résistante aux grandes maladies européennes et au phylloxéra !

On est aujourd’hui convaincu qu’il n’a pas fallu attendre les romains pour faire du vin en Aquitaine ! L’étude de l’ADN permet de réviser cette hypothèse admise.

Il y avait des espèces de vigne en Buch. Et ce constat est d’autant plus intéressant que son implantation sur le sable l’a protégée du Phylloxéra.

Cet insecte creuse des galeries en sous sol pour atteindre les racines. Il ne peut pas le faire dans le sable, ce qui explique qu’en 1891, un peu plus de 10 ans après les ravages Phylloxéra, la vigne de Buch ait résisté ! Le sable a protégé la vigne des attaques des insectes.

Cette vigne « historique » n’a toutefois pas résisté aux vins de cépages « nobles », introduits dans le vignoble bordelais. Le « claret » d’Aliénor d’Aquitaine n’avait plus de raison d’être, face à des vins de meilleure tenue, plus lourds, de meilleure conservation.

-Certains cépages ont-ils survécu ? Ont-ils existé avant, pendant et après le phylloxéra ?

-Quelques exemples : le petit verdot, le carmeneire, le merlot…certains ont donné des cépages encore actuels. Le cabernet franc et le cabernet sauvignon sont issus de carmeneire. Ils étaient présents à Laffitte et Haut Brion dès les premiers temps.

Le baco est un croisement entre cépage autochtone et un cépage américain naturellement résistant au phylloxéra…

Le vignoble moderne, en général, est constitué de cépages greffés avec des variétés américaine résistantes au phylloxéra.

-Ce qui n’enlève rien à la « noblesse du produit » ?

-A vrai dire on n’en sait rien ! C’est tout l’intérêt de la recherche.

La viticulture a plus de 3000 ans, les cépages actuels de référence ont à peine 150 ans, c’est une toute petite tranche d’histoire de la vigne. Que deviendront ils, que deviendra la viticulture ? C’est pourquoi l’expérience tentée par M. Fuster est intéressante.

-Pour quelles raisons, scientifiques ?

-Historiques, scientifiques, et…touristiques !

Un, à cause du sol, constitué de sable, on peut espérer cultiver une vigne protégée de ses grandes maladies, sans la traiter.

Deux, parce qu’un cep non greffé, un cépage franc de pied,  a une maturation plus précoce. C’est la porte ouverte dans le futur à des vendanges estivales, le touriste repartant avec son vin de l’année…

-Cela présente vraiment un intérêt avec le « réchauffement climatique » ?

-Bien sûr. On estime que la vendange est actuellement anticipée d’une dizaine de jours selon les années… C’est dépendant du climat de l’année .

Les cépages non greffés à maturation plus rapide seront prêts à vendanger quelle que soit la méteo. Scientifiquement, il est très important de pouvoir travailler avec des pieds non greffés.

Il est important de savoir ce que donneraient ces « ancêtres » de nos vignes dénués de tout traitement.

L’INRA possède une collection ampélographique de vieux cépages historiques. Il serait important de les cultiver sur la durée.

Pour cela, la création d’une pépinière et d’un vignoble conservatoire est de première importance.

Il faut se resituer dans le contexte actuel marqué par l’obligation de réduire l’utilisation des traitements chimiques et le rejet des OGM par le public.

L’espace dont nous disposons pour envisager l’avenir est extrêmement étriqué. On est coincé.

-Ainsi, toute piste, même la plus folklorique en apparence est utile ?

-Indispensable. Et ce n’est plus une affaire de politique. Il faut que chacun admette que ce champ d’investigation est nécessaire, les politiques, les agriculteurs qui ont failli à leur mission de protection des terroirs en y déversant les pesticides…Il faut nous laisser chercher. Ce qui vaut pour la vigne vaut pour toutes les cultures vivrières. Il n’est plus possible d’envisager sereinement l’abandon de notre indépendance alimentaire. Les voies mondialisées d’approvisionnement peuvent être coupées… La France doit retrouver sa fonction de garde manger de l’Europe. Il faut le dire et le redire.

La vigne est bonne mère, c’est vrai. Mais avec nos moyens actuels d’étude, il est important de vérifier comment évolueraient les cépages historiques en l’absence de traitements et de greffons. C’est capital pour constituer l’inventaire ampélographique du futur.

Une sorte d’Arche de Noé, déjà amorcé  par ailleurs ?

Mais qu’en est-il du vin actuellement produit ? Comment le caractériseriez vous ? Malgré ou en raison de la présence de syrah ?

-Je suis un fervent partisan de la syrah. C’est un cépage extraordinaire, généreux, résistant, adaptable au réchauffement climatique. Il n’est pas admis dans les AOC Bordeaux, comme vous savez…Mais ici à la Teste, dans la vigne de M. Charles Fuster, cela donne un vin d’une remarquable authenticité. C’est tout ce qu’on peut en dire et c’est beaucoup !

La vinification n’est pas simple ici à Villemarie, au Domaine Decazes,  car les quantités sont trop faibles, mais j’espère pouvoir trouver bientôt des instruments  mieux adaptés.

Et le 2009 ?

-De mémoire d’œnologue, je n’ai pas le souvenir d’une année climatiquement aussi favorable. Je pense qu’ici comme dans le « grand vignoble », on va atteindre des sommets !

(Interview recueillie par Marie-Christiane Courtioux)

Note :

-La notion de vin de sable nous semble à réenvisager. On a fait observer dans la première partie du sujet que le vin de la Teste n’était pas un vin de sable, c-à-d comparable à un « Listel », dans la mesure où la viticulture était pratiquée sur un sol enrichi. C’est pourtant la présence du sable en sous sol qui a protégé du phylloxéra !

A propos de M. le Pr Georges Pauli, Voir aussi :

http://www.saint-auriol.com/DOM/equipe.htm

http://www.rives-blanques.com/vin/vins_tril.htm

2 commentaires

  1. Bonjour
    Il y a quelques erreurs dans ce texte. La vigne a commencé a être cultivée par les Bituriges vivisques, installés à Bordeaux depuis bien avant 50 avant JC. Ceux cis ont obtenu par un commerce entretenu avec les Basques ou Vascons, un certain nombre de cépages rudimentaires adaptés au climat humide. De ces introductions a été choisi le Cabernet franc, donnant du vin depuis longtemps sur la frange basque et cantabrique, père du Merlot, du Cabernet sauvignon et de la Carmenère. Les apports romains venant de Méditerranée, se sont trés mal implantés dans la région et ampélographiquement n’ont rien à voir avec nos cépages atlantiques. (L. Bordenave, T. Lacombe, V.Laucou. J.M. Boursiquot (2008). Etude historique, génétique et ampélographique des cépages pyrénéo atlantiques. Bulletin de l’OIV,octobre-decembre 2007, vol 80 – n° 920-921-922). voir aussi : Article sur l’origine historique et parenté génétique des cépages bordelais. « l’Union girondine ». Bordenave 2009)
    Cordialement Louis Bordenave

    • Merci de votre attention et de vos précisions. Comme vous l’aurez compris, c’est surtout l’aventure engagée par M. Charles FUSTER qui m’a intéressée.
      Quant aux origines de la vigne à La Teste De Buch, si vous en avez plus, nous sommes mille fois preneurs!
      Cordiales salutations

Les commentaires sont fermés.