Photo@Régine Rosenthal* Copyright / *membre de l’Académie
Dieu – ou quelqu’un qui se fait passer pour lui – est sur le point d’achever la création du monde et s’avise :
« -J’allais commettre un très grave oubli. Pour parachever cette œuvre monumentale, je verrais bien un lieu où se concentrent les péchés les plus abjects dont l’homme soit capable. »
Sur la carte du monde, il survole de grands fleuves, le Mississipi, la Volga, le Mékong, et même, dans une moindre mesure, la Loire et le Rhône.
« -Trop beau, trop grandiose. On ne va pas empoisonner les artères qui irriguent ma création. »
Il aperçoit les sommets, l’Himalaya, les Andes et même, à une moindre mesure, les Alpes et les Pyrénées.
« – Trop beau, trop altier. On ne va pas polluer de si fières immensités. »
Sur un littoral rectiligne, presqu’anonyme sur la lorgnette de Google Earth –« Là ou en Floride, ou à Knocke le Zoute! » – il repère une « montagne ».
« – Etrange, elle ne correspond pas à la définition de sommets pointus, genres de … « Bon sang, c’est vrai, il y aurait bien Twin Peaks, concentré de toutes les turpitudes selon David Lynch…
Tiens, il faudra que je lui fasse un sort à ce cinéaste prétentieux qui pourrait me ravir la palme de la création l’an prochain à Cannes ! »
Soupir…
« – Etrange, cette croupe blonde, alanguie et offerte à la caresse des flots.
La paresse impudique et vautrée, la luxure en embuscade, l’envie maligne, de croquer dans cette nouvelle pomme pareille à un énorme muffin, insulte au si célèbre Cornet d’Amour. Claire incitation à tous les vices ! »
Et Dieu de se lancer dans une étude poussée de faisabilité.
Derrière la croupe sableuse, un sillon verdoyant, une flaque paisible…Google précise, lac de Cazaux.
« – Pas mal, pour implanter un nid de moustiques, ou de frelons asiatiques, quelques bestioles enragées au dard de métal fuselé, bien polluantes en kérosène, bien menaçantes avec leurs paquets cadeaux prêts à tomber des ailes sur un village afghan…ou libyen ! »
« -J’aime ça, se dit Dieu. Je pense avoir trouvé le site »
Car, en retrait de l’ourlet sableux, tortueuse et secrète, venue de contrées pestilentielles, coule une rivière !
Sa bouche tourmentée mais gourmande semble aspirer l’océan au large. Alors qu’au contraire, elle l’ensemence en pesticides, nitrates, telle un large émonctoire des éjaculations de la civilisation future.
« -C’est parfait, se dit Dieu. J’ai de quoi être fier. Un nouveau far-West va s’offrir à tous les amateurs de chevauchées fantastiques. Prédateurs, incendiaires de tout poil, chasseurs viandards à la lueur des phares, pécheurs aux filets dérivants qui labourent les fonds…
« En quelques seconde, voici un paradis qui ne manquera pas de virer au drame ! Se réjouit-il.
« Récapitulons : envie, paresse, avarice, luxure, gourmandise, colère. Il compte sur ses doigts. Il me semble qu’il m’en manque un.
« Cet endroit est franchement idéal pour favoriser et voir s’épanouir ces comportements vicieux de l’homme, sources de tous les méfaits imaginables, vol à main armée, viol en famille, ivresse meurtrière au volant, violence aveugle et sacrilège des régicides, des traitres à toutes les causes. Sans lesquels la vie – et la télé- seraient d’un ennui mortel !
« Parons-le de tous les attraits. Tendons nos filets les plus simples, appât du gain, miroir de la spéculation, fatuité, lascivité. Et bientôt les alouettes seront grasses dans nos pentes diaboliques.
« Il faut de tout pour faire un monde », se dit Dieu, bien placé pour savoir de quoi il parle.
Et parce qu’il est secrètement jaloux – tiens, ça compte ça aussi ?- d’un gars bizarre aux yeux bridés qui a inventé la théorie des cinq éléments. L’eau engendre le bois, qui nourrit le feu, qui accumule les cendres, qui se fondent en métal, qui ruisselle à la lumière vacillante du soleil pour retourner fertiliser la terre, en fines gouttelettes.
Il aurait pu admettre que cette théorie est assez logique, naturelle, et qu’elle explique bien des choses.
Mais Dieu n’en a cure et rêve de battre le record. Passer de cinq à sept, et plus si affinités.
C’est ainsi que se mirent à affluer de nouveaux gourous. Messies et coach de l’amorale :
L’un conseillait de picoler jusqu’à plus soif et quand ses adeptes étaient dans les vignes du seigneur, d’autres se présentaient et les dépouillaient de tous leurs biens, cartes de crédit, montres suisses, smart-phones en tout genre. Les gougnafiers s’empressaient de se partager le butin, en saisissant toute occasion de se tabasser copieusement pour un compte bancal. Ce fut une époque assez troublée où les rigoles de sang des égorgés se mirent à alerter la police.
Dieu en fut quitte pour masquer ces bavures collatérales en remettant la corrida au goût du jour. Et la troupe s’en fut au sud des Landes, assoiffée de sang, et d’émotions fortes.
Il ne se passait pas de jour, sans que le journal local ne relate avec gourmandise des méfaits de plus en plus sordides. Méfaits des envahisseurs…plus que des autochtones… quoique ! Seins nus, night club au joli nom prédestiné de Géhenne, G.N. pour ne pas dévoiler la nature infernale de ces lieux de perdition.
Sans compter le bruit assourdissant d’une nouvelle espèce de gambas métalliques fendant la marée entre le port et l’île, une nuisance mineure, comparée à la rotation incessante des hélicos privés et des canadairs en alerte.
Dieu fit venir son conseiller en communication.
« -On avait bien misé sur le concept d’un « Bassin Paradis », ou j’ai oublié mes classiques ?
« -Mais si. Bien sûr. Et on y est en plein. Je ne cesse de refuser les demandes d’accréditation des télévisions. L’atelier d’hypocrisie est en train de mettre au point un spectacle absolument génial. Le Puits du diable. Le puits du fou vendéen est un conte de Perrault comparé à l’imagination burlesque et débridée de nos scénaristes. Tortures, rapines, pestilences, algues folles, étoiles de mer irradiées…crabes à trois pinces…
« -Vous n’y allez pas un peu fort pour attirer le touriste ?
« -Il faut ce qu’il faut, patron. Songez que les 7 péchés capitaux ont inspiré plus de talents humains que le Belle au Bois dormant. Je ne vous citerai qu’un seul exemple local, « La fleur du mal », tourné par Claude Chabrol au Pyla : la noirceur de la bourgeoisie y atteint des sommets. Avec notre rang à tenir, on ne peut pas se permettre de faire moins que ce montreur de pellicule. »
« – Etes-vous en train de me dire que je suis surclassé. Que j’ai probablement oublié des péchés capitaux et que les autres se régalent de mes oublis ?
« -Je n’oserai pas le dire aussi crument, mais en fait je le crois. Vous vieillissez. Même « Les petits mouchoirs », chronique si faussement naïve de vacances sur le Bassin d’Arcachon, sont bien plus riches que votre scénario en amitiés trahies, cœurs secs, égoïsmes mesquins. Vous ne voudriez pas marquer le pas devant Guillaume Canet ?! Vous ne voudriez pas que Joël Dupuch, l’ostréiculteur philosophe, fasse mieux que vous la morale aux imbéciles ?!
« -Mon cher, vous touchez mon point faible, l’orgueil. Je ne laisserai jamais dire que j’ai été en dessous de ma créature. Savez-vous ce que nous allons faire ? Une solution radicale !
Contrairement à Saint-Angel, cet autre démiurge à l’humour corrosif, qui fout carrément le feu à la presqu’île, je vais balayer tout ça et revenir à mes fondamentaux. Soyez gentil, attrapez-moi la Comtesse de Ségur, saint-Augustin, Jean Jacques Rousseau et Nicolas Hulot.
Je vais extraire et mélanger leurs ADN. Mettez en alerte une escadrille de tigres thaïs et je vais piquer tout ce beau monde. Si je n’ai pas réussi sur le terrain du Mal, sur le terrain du Bien, je suis désormais certain que personne ne pourra jamais m’égaler.
Ces filaments d’ADN, vous allez les jeter dans l’embouchure de la Leyre, en aval de la Dune. Cette nouvelle race de méduses, je l’espère, va rendre nos plages immenses à leur tranquillité. Après les dents, hollywoodiennes, Les pustules de la mer…Ah ! Être Spielberg, une fois, une fois seulement, et inventer le travelling compensé ! Tandis que la caméra zoome et recule à la fois, de grosses bulles claquent à la surface des eaux, face à la Salie, et rejettent les métaux lourds non digérés de nos assiettes.
Les 7 péchés, c’est trop ou trop peu. On n’en aura jamais fait le tour. Il faudrait du temps et Moi, le Mal, ce n’est vraiment pas mon truc.
Bon, Si on me cherche, je suis dans mon labo…Je vais tenter la nécromancie. On me dit qu’il existe à Arcachon un lieu maudit, d’où l’on peut accéder au monde de la nuit. Une tourelle, sur un bâtiment aux allusions orientalistes, un lieu de perdition, voué aux flammes de l’enfer. Trouvez-le-moi que je fasse une descente… »
« – Le Mauresque ! Mais … Maître…vous ne savez donc point qu’il a déjà été ravagé par les flammes ?
Je crains que les portes de l’Enfer vous demeurent à jamais fermées. »
« – Alors donnez-moi un coup de balai à tous ces péquenots qui grillent au soleil. Allez, une petite tempête niveau 9 ! A la flotte, tout ce beau monde, pour nourrir les poissons. Je vais faire un élevage de piranhas puisqu’avec le réchauffement climatique, je pourrai enfin réussir mon aquarium tropical ! »
« – Quand vous faites joujou, quel grand gosse vous faites ! Mais je vous aime mieux ainsi, mon Dieu. Ecologiste, plutôt que cinéaste pourfendeur des forces du Mal. Mais au fait, lat. 44.39 sur Google Earth, on est chez qui ? Il appartient à qui, ce … heu… Bass…euh, Bassin d’Arcachon ? Drôle de nom ! »
« -Le principal, c’est qu’on n’a pas pu faire autant de dégâts qu’ils pourront en faire livrés à eux mêmes ! Et je ne voudrais pas avoir à faire jouer…les assurances ! Zut alors. Pas un kopek pour cette race d’irresponsables ! Et ce n’est pas de l’avarice, c’est de la saine gestion.»