A l’heure où le « tout people » a envahi les écrans de télé et la presse populaire, où les petits secrets les plus insignifiants de la moindre starlette de téléréalité semblent passionner le public, la biographie a le vent en poupe.
La biographie pratiquée avec talent et respect est même un genre majeur, littéraire, cinématographique ou journalistique. Un genre très actuel, illustré par de nombreux titres de livres et de séries de télévision. La méthode biographique concerne le chercheur, historien, sociologue, journaliste, scénariste et auteur de télévision, et la conférence ( causerie) de Denis Blanchard Dignac sur ce thème vient à point nommé alimenter les réflexions de la profession sur la confiance et la crédibilité de l’information.
Les premières représentations rupestres, affirme DBD, sont déjà une forme de récit et d’autobiographie du groupe humain primitif. Mais il faut en rechercher la véritable origine dans la Grèce antique du Veme siècle avant JC, chez Plutarque et « la vie parallèle des hommes illustres ». Beaucoup plus tard, et plus près de nous à Bordeaux, les écrits de Montaigne et Montesquieu, par leur liberté non conventionnelle ont ouvert une voie royale au parler vrai et à tout l’art de Voltaire. DBD rappelle au passage les règles d’or apprises à la faveur de son passage de 10 années à la direction de la FNAC, du temps de Michel Baroin. » Lorsque nous choisissions les ouvrages à exposer, nous nous assurions que les auteurs avaient respecté 6 règles sans lesquelles il n’y a pas de biographie historique sérieuse ».
Denis Blanchard Dignac, président de l’Académie du Bassin d’Arcachon, a fait partager au public de la Société Historique, l’activité qui mobilise une part de sa vie, l’écriture de biographies*.
Son expérience et ses succès sont désormais incontestés et ce « cours » de méthode pouvait s’adresser aussi bien à la corporation des journalistes dont je suis*.
Comme le dit l’entraîneur de rugby…tous les « fondamentaux » nous ont été rappelés, illustrés de quelques anecdotes personnelles bienvenues.
La qualité de la documentation, l’honnêteté intellectuelle, la rigueur, l’objectivité, la mise en situation, la chronologie.
La documentation requiert parfois des années de travail, de recherche de documents, de vérification des sources. » Il n’y a aucune information inintéressante, les textes déjà publiés, les recherches déjà effectuées, les moindres détails, y compris les plus insolites: rien ne doit être caché, négligé. » Les difficultés sont parfois des handicaps énormes, comme certaines images ou sources protégées par des familles. Il faut alors convaincre pour obtenir ces sources précieuses, redoubler de patience, de travail.
L’honnêteté intellectuelle est un concept qui n’a rien de flou, et ne se prête à aucune interprétation personnelle confortable. C’est une exigence. Il s’agit de faire un tri des informations. De ne conserver que celles qui offrent toutes les garanties de sérieux, sans préjuger, sans imposer le filtre de ses propres affinités ou convictions. Cela suppose aussi une conscience de l’impact de certaines révélations sur le milieu concerné. Lorsque des vérités ne seront pas « favorables » ou bonnes à entendre, les sources devront être précisées et livrées dans l’intégralité par des références adéquates. Certains faits et gestes du sujet choisi peuvent rester flous, imprécis historiquement. Le biographe peut et doit même s’autoriser des hypothèses. Pourquoi, dans quelles circonstances, le sujet aurait-il accompli telle ou telle action…On peut émettre des hypothèses, en recoupant des faits avérés… mais alors dire clairement qu’il s’agit bien d’hypothèses et non de faits vérifiés. A contrario, DBD cite Jean Lacouture, auteur à succès de très belles biographie, disant : » ( en substance) Pour écrire, je dois aimer mes personnages. On ne peut passer plusieurs années en compagnie de quelqu’un qu’on n’aimerait pas ! Du coup, je n’ai pas de prétention historique. Mes biographies ne sont pas forcément objectives. Mes personnages sont mes héros. » Voilà qui est tout aussi honnête !
L’exigence de rigueur s’applique à l’historien ( agrégé ou doctorant en histoire) . Elle s’impose d’autant plus à l' »amateur », sociologue, journaliste. Il s’agit là d’observer le critère de rationalité. Et de pousser le respect des faits ( le fond) jusqu’à la mise en forme. Respect des exigences de la typographie-guillemets, italique-pour souligner les éléments de même niveau ( citations, interprétations… ) que le lecteur doit pouvoir situer d’évidence.
L’objectivité est une question de conscience. Et c’est parfois très subjectif. Aussi pour être objectif, il convient de prendre de la hauteur, de comparer, de ne pas regarder les faits par un seul bout de la lorgnette, locale, personnelle…conjuguer, juxtaposer les sources, et en tout cas, ne rien cacher ! Dire ce qu’on a retenu, ce qu’on a laissé de côté…et pourquoi.
La mise en situation, car aucun personnage ne peut être dissocié de son époque, du contexte, géographique, moral, culturel…Pour rendre le personnage authentique, crédible, intéressant, réel, il faut le replacer dans son époque. Et de citer l’un de ses sujets, le Captal de Buch, Jean III de Grailly, jugé comme un traître à la France, par ceux qui l’apprécient à l’aune de concepts actuels, comme le nationalisme. Le Captal est à son époque le vassal du Prince Noir, et donc, loyal par obligation à son suzerain anglais. Il est important de ne pas céder à des interférences de mentalité !
Quant à la chronologie, ce socle de la reconstitution des faits, elle est indispensable. Pas de chronologie pas de biographie ! Ne devrait-elle pas précéder la liste des critères imposés ? C’est une grille qui rendra le travail plus pratique. Dans la forme finale, – et c’est la grande révolution du cinéma et de ce qu’on appelle les « biopics »- l’auteur pourra s’en affranchir et pratiquer à bon escient l’art du flashback.
La seconde partie de cette causerie a porté sur le savoir-faire.
D’abord, interpeler le lecteur. Lui plaire et l’intéresser dès la première ligne. En soulevant la question centrale du fond, l’énigme du personnage. Comment on a découvert sa part de secret.
L’intérêt du sujet doit être explicitement énoncé. Et pas de petit sujet. Pourquoi ou comment ce personnage est intéressant, en quoi il a changé le cours des choses, ce qu’il a apporté à son époque, son milieu, au futur.
Le style doit être clair et précis, ni poète ou romancier.
1/ On ne se permet aucune envolée lyrique. Des phrases courtes et précisesLe style doit être emprunt de l’humilité du biographe face à son sujet. ( Un peu frustrant non ? mcc)
2/ On peut recourir à des comparaisons pour rendre l’action plus compréhensible. « Comme si… » le sujet avait pensé, voulu, regretté…
3/ L’originalité n’est pas un recours systématique, mais elle permet de réveiller l’intérêt. Dans son ouvrage à paraître « Cocteau-Radiguet » DBD indique qu’il a choisi de recourir parfois à une forme théâtrale pour mieux faire percevoir la confrontation des héros, la force d’un échange.
4/ Elaborer ses propres recettes et loin des clichés, son propre ton, ses propres formules (ex. Lacouture : Ben Barka, un mélange de Lénine et d’Edgar Faure / ou encore du même auteur : Rocard s’est épuisé moins vite que Mitterrand l’avait escompté …). Surprendre, rebondir. DBD cite la cas des peintres, de Picasso et son taureau, tellement plus puissant que le même vu par Braque.
Au cours du dialogue engagé avec un public de connaisseurs, DBD a fourni des définitions complémentaires :
Non, l’hagiographie qui consiste à enjoliver la vie par exemple des saints, n’est pas une biographie.
♥Une monographie est une étude détaillée ( un zoom )sur un moment, un lieu, de la vie du sujet. EX : Napoléon à Sainte Hélène.
♥Une autobiographie doit pour être valable doit respecter les mêmes règles de documentation et de rigueur.
♥Les fausses autobiographies plaisent et peuvent présenter un intérêt important : Ex « Mémoires d’Hadrien » par Marguerite Yourcenar
Quelques maximes : Ne pas se laisser contaminer par la concurrence Y puiser le meilleur et l’améliorer encore ! Ne pas se priver de petites observations drôles. Être volontairement sérieux n’interdit pas d’être volontairement volage ! Aucune honte à défendre le régionalisme du sujet !…
Après tout ce long travail, il arrive au biographe d’être pillé. Intelligemment c’est supportable. Mal pillé, déformé, c’est insupportable…et il n’y a aucun recours, que d’être encore meilleur la prochaine fois !
AUTEUR * : Marie Christiane Courtioux
Denis Blanchard Dignac est l’auteur de:
« Le captal de Buch », et « le Duc d’Epernon, un destin sans égal » aux Editions Sud Ouest; « Viollet-le-Duc (1814-1879) » ( Ici, une critique élogieuse de cet ouvrage sur Babelio ) ( et d’autres titres, notamment deux romans : Voir sur recherche FNAC ou encore Le Choix des Libraires )
La causerie avait lieu le mercredi 3 février 2016 dans les locaux de la Société Historique sous la présidence d’Aimé Nouailhas.
CI JOINT UN LIEN VERS SON SITE ( PAGE DU BULLETIN, COMPORTANT UN ARTICLE DE DENIS BLANCHARD DIGNAC ET SES RECHERCHES SUR LE SEJOUR DE JEAN COCTEAU AU PIQUEY