Gros plans sur le ciné de grand papa (#2)

Dans le rétroviseur testerin…

Par Jean Dubroca

             « Gros plans sur le ciné de grand papa. » (II)

      « Les difficiles débuts du cinéma sonore à La Teste, suite à la crise économique de 1930, ont cependant été précédés par des séances cinématographiques à l’époque du muet. Et leur atmosphère ne devait pas manquer de gueule à en croire un arrêté communal du 7 janvier 1920. Il régente la police des salles et stipule avec énergie : «  Il est absolument interdit de fumer, de jeter des pelures d’orange ou débris quelconque et de faire du tapage durant les représentations données par les cinémas. » « Les cinémas » : un pluriel qui indique bien que les représentations données par des « tourneurs » doivent être multiples. Plus loin, l’arrêté précise bien que force doit rester à la Loi puisqu’il décrète : « Les contrevenants seront poursuivis et expulsés par les soins du garde-champêtre ou de la gendarmerie. »

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Il semble bien que l’invention des films dits « parlants » permette le déroulement de séances dans des lieux fixes et non plus dans les arrière-salles des cafés. C’est ainsi qu’en 1930, les propriétaires du café Franklin, MM. Daisson et Blanqué installent un appareil de projection dans leur salle jusqu’alors exclusivement réservée aux troupes théâtrales de passage, aux comédiens locaux et aux noces et banquets. Une belle salle d’ailleurs, dit-on, que ce Franklin, avec ses deux galeries en bois, dont une dite « le poulailler », qui dominent un parterre aux murs tapissés de grandes fleurs et ornés de lourds rideaux cramoisis qui isolent l’entrée du lieu.

 

Un peu plus tard, en mai 1931, M.Bordères organise des séances de cinéma dans une salle jouxtant son café Apollo, situé place Gambetta. Une salle jusqu’alors uniquement utilisée par le célèbre violoniste Franck Pradères qui fait un malheur auprès des jeunes et des mères de familles qui accompagnent leurs filles bonnes à marier et qu’elles surveillent depuis les bancs ceinturant la salle où elles trônent, très suspicieuses et l’œil aux aguets.

 

En décembre 1934, bravant la crise, M. Mirasson reprend les séances de cinéma dans Le Franklin, appartenant désormais à MM. Cambot. Il la dote d’un projecteur fixe, installé dans une cabine isolée et pour cela ferme le fameux poulailler ce qui donne les dégagements nécessaires. La salle s’appelle alors Le Majestic. Hélas ! Il brûle complètement en 1937. Ce qui ne décourage pas M.Mirasson qui a l’avantage sur ses concurrents locaux d’être un véritable professionnel du cinéma. Avec la confiance d’une banque, il peut ouvrir un peu avant 1939 une salle doté de de tous les perfectionnements et de tout le confort de l’époque. C’est le Vog, qui, effectivement, restera en vogue dans la ville jusqu’en 1990. En 1945, son fils, M. Jacques Mirasson, le remet au goût du jour. Mais en octobre 1990, alors que les bulldozers démolissent son cinéma maintenant très peu fréquenté, il me confie : « Quel choc de la voir disparaître ! Les années d’après guerre c’était la gloire pour le cinéma ! Tout le monde y courait. Chacun, d’une semaine à l’autre retenait son même fauteuil et on me demandait même sans regarder les affiches : « Qu’est ce que tu nous joues ce soir ? »

 

Ces soirs-là, il s’en souvient, on jouait les plus grands succès : « Jour de fête », Le Voleur de bicyclette », « Le Troisième homme », « Jeux interdits » ou « Fanfan la Tulipe ». Fernandel, Bourvil, Michèle Morgan ou Gina Lolobrigida attiraient alors le public en masse. On lui offrait en prime deux documentaires dont un sur la fabrication de l’acier dans la naissante Communauté européenne, suivis des « actualités » qui s’ouvraient sur le coq piaffant et tonitruant du « Pathé Journal » hebdomadaire ma           is qui était loin d’exprimer la grâce des danseuses rythmiques de « Fox Movietone actualités ».

 

Allant plus loin dans ses souvenirs, Jacques Mirasson me confie : « Malgré de Funés et malgré le Cinémascope, mon public est parti vers les cinq écrans d’Arcachon qui bénéficiaient d’un grand nombre de films récents. Aujourd’hui, la salle unique isolée n’est plus rentable ... »

 

En ce mois d’octobre 1990, l’écran du Vog n’est plus qu’un grand mur rouge lacéré de briques disjointes. Il ne reste plus, accrochés là en lambeaux, que les souvenirs de rêves que, d’un coup de manette magique, Jacques Mirasson allumait dans la nuit. « Autant en emporte le vent » …. (A suivre)

 

Jean Dubroca

 

 

-Photo. Légende : la démolition du cinéma Vog, un chaos de souvenirs d’images écroulées. (Photo Sud-Ouest-Studio Images La Teste)