Des contes d’actualité #1 (Une double naissance)

     CHRONIQUES RETRO-TESTERINES

               Des contes d’actualité  #1

 par Jean Dubroca

               UNE DOUBLE NAISSANCE

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En 1991, le climat politique et social testerin se tend nettement entre les nombreux supporteurs du docteur Espied, le maire et ceux, non moins nombreux, de René Serrano, le conseiller général du canton. Le journal doit donc naviguer à vue et au plus près de tous les obstacles que cette situation génère. Pour détendre l’atmosphère, je fais naître deux commères testerines : Mmes Léoncia Boyosse et Malvina Latestude. Elles vont se charger de commenter quelques faits divers et ainsi amuser les lecteurs de Sud-Ouest. Rire n’est-il pas signe de liberté ? D’autant plus que nos dames s’expriment en version originale, pimentant leurs propos de mots et de tournures issus du « pichadey », cette langue populaire locale, couramment parlée à Bordeaux et sur les bords du Bassin, jusque dans les années 50.

 

     En ce 11 janvier 1991, sous le titre : « Le clocheton a disparu », paraît la première des chroniques célébrant des deux héroïnes, le lendemain du jour où une grue a enlevé le vétuste beffroi qui couronne l’hôtel de ville testerin.

 

     «  – A ce qu’il paraît, Mme Latestude, qu’on n’a plus de cloche au-dessus de la mairie ?

– Ni cloche, ni clocheton, ni plus rien du tout, ma pauvre Mme Boyosse !

– Hé bé, y’a plus de saisons, puisqu’en plein mois de janvier, voilà que les cloches s’envolent.

– Mais pègue que vous êtes ! C’est pas une opération du Saint-Esprit. C’est une espèce de grue rouge, atoua, qui a décroché le clocheton.

– Une grue, Mme Boyosse, une grue ! Et pourquoi ça, une grue ?

– Pasque, figurez-vous, le clocheton, il était tout de guingoy : il penchait un peu, mais côté poussé par le vent d’ouest. C’est vous dire s’il tirougnait sur la charpente de la mairie et comme elle est pas de la première jeunesse… Vous imaginez qu’une tempête le décanille et qu’il s’espatache et qu’il aille esbougner un conseiller municipal, qui passerait juste en dessous !

– Pardine, mais moi, j’aurais préféré que ça parte à Rome, parce que, à Pâques, ça revient toujours, tandis que là, ce sera pour la Trinité.

– Oh ! Mme Latestude, que vous êtes une méchante bavasse ! Mais c’est vrai qu’il va nous être de manque le clocheton. La mairie, sans ça, c’est comme un homme sans moustaches, ma belle ».

 

Jean Dubroca

 

Légende photo : L’envol du fragile beffroi. (Photo : « Sud-Ouest » – Studio Images, La Teste)