Des pierres qui roulent #2 (Un monument d’ingratitude)

         CHRONIQUES RETRO-TESTERINES

par Jean Dubroca 

                 Des pierres qui roulent #2

 

            Un monument d’ingratitude

 

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Parmi les monuments testerins, il en est un qui a beaucoup navigué puis bien roulé avant sa pose, comme d’ailleurs beaucoup des pierres qui composent les maisons bourgeoises testerines du XVIIIème. Après quoi, s’il n’a plus bougé, c’est la route qui y conduit qui a changé de place et même perdu son nom. Il s’agit de la stèle en marbre, du cippe plus exactement, dédié à Brémontier. Erigé au sommet de la dune dite « Sans nom », haute de six à sept mètres, le cippe se trouve au nord de la route La Teste-Pyla, qu’il borde avec beaucoup de discrétion. Installées là fin septembre 1819, les pierres (venues de Bordeaux, du château Trompette démoli) qui constituent son soubassement et son socle arrivent au début de ce mois, transportées par un bateau venant de Bordeaux et qui a failli couler sous le poids du chargement. Quand au cippe proprement dit, il parvient à bon port par voie de terre mais avec beaucoup de difficultés. Une fois installé, il n’a même pas été officiellement inauguré ce qui semble présager de l’indifférence que la population locale lui a longtemps manifestée. Si bien qu’en 1970 Jacques Ragot s’indigne publiquement de l’abandon du site. En septembre 1990, je découvre que la situation est identique. D’où l’article suivant paru le 19 de ce mois-là.

 

« La reconnaissance a la mémoire courte », écrit Benjamin Constant. Très vrai, lorsque l’on voit le triste environnement de la stèle de marbre dédiée à Brémontier, en bordure nord de la route vers Pyla-sur-Mer, un peu avant le rond-point de l’hôpital. Arbres déracinés et barrière démolie, escalier aux marches écroulées et herbes folles disloquant le socle du monument forment de bien réels signes d’ingratitude qui, de plus, enlaidissent une route touristique très fréquentée.

 

Certes, ce cippe n’a jamais eu la côte à La Teste. Il est vrai qu’il constitue un bel exemple de récupération politique qui a pu déplaire. Edifié en 1819, il attribue la gloire de la fixation des dunes à Louis XVI et à Louis XVIII, ainsi, évidemment, qu’à Nicolas Brémontier. Effectivement, au dessous d’un cartouche circulaire enfermant une fleur de lys, on arrive à déchiffrer sur le monument : « En mémoire du bienfait, Louis XVIII, continuant les travaux de son frère, éleva ce monument ». Il est exact que, dès 1772, le Conseil de Louis XVI s’intéresse au rapport du captal, Jean-François de Ruat, qui s’alarme du danger d’ensevelissement de sa capitale sous les sables blancs. Mais le pouvoir royal ne bouge pas et c’est entièrement à ses frais que le fils de Jean-François entreprend les premiers travaux de fixation des dunes, en s’appuyant sur les techniques mises au point par son homme d’affaire, Pierre Peyjehan de Francon. Deux noms oubliés dans le monument officiel, ce qui a du dépiter la population locale !

 

Par contre, hormis leurs majestés, Brémontier seul est glorifié. Sans doute parce que, dès 1786, cet ingénieur des Ponts et Chaussées à Bordeaux montre des qualités exceptionnelles de grand commis de l’Etat. Ce qui lui permet de réussir l’exploit de soutirer des crédits aux six régimes politiques très différents qui vont se succéder dans une période très troublée et où les situations financières de l’Etat s’avèrent fragiles ! Il parvient ainsi à lancer à grande échelle un énorme travail de stabilisation des dunes qui, dans le siècle suivant, modifiera complètement la vie quotidienne des populations locales en même temps qu’il enrichira le patrimoine national. Cette ténacité, face aux divers pouvoirs administratifs toujours lourds à manier, mérite, au moins, une stèle.

Il faut dire que, quelques jours après la parution de cet article, une équipe d’agents de l’ONF s’affairait à nettoyer de haut en bas la dune sans nom. L’escalier était consolidé et un panonceau signalait aux promeneurs l’existence du monument. Depuis, le site à la gloire de Brémontier a toujours été bien entretenu… Un journal, c’est utile …      

Depuis 1971, après bien des palabres, c’est l’Office national des forêts qui doit entretenir le site. Cette administration, formée de sages qui mesurent le temps avec, comme unité, la génération, se hâte lentement. Mais elle devrait pouvoir, devant la misère du site, dépasser un peu le rythme de la pousse des arbres. Et, s’il s’agit d’une affaire de sous, on peut toujours ouvrir une souscription auprès de toutes les riches entreprises qui exploitent la forêt. Ou, plus simple, se souvenir que le ministre Lainé, en 1818 conseillait au préfet de la Gironde chargé d’élever le cippe « de prélever la somme de 1200 francs sur les fonds destinés aux semis ».

 

En 1845, Théophile Gautier voyait encore les Landes « un Sahara français poudré de sable blanc ». Aujourd’hui, ce sont les sables de l’indifférence qui menacent le souvenir de Nicolas Brémontier et celui aussi de tous ceux qui, depuis plus de deux siècles, ont œuvré pour agrandir et sauvegarder notre forêt.

 

 

             Il faut dire que, quelques jours après la parution de cet article, une équipe d’agents de l’ONF s’affairait à nettoyer de haut en bas la dune sans nom. L’escalier était consolidé et un panonceau signalait aux promeneurs l’existence du monument. Depuis, le site à la gloire de Brémontier a toujours été bien entretenu… Un journal, c’est utile …      

Jean Dubroca

 

Légende photo : Un monument d’indifférence et d’ingratitude. (Photo : J.D/S.O)

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