Le Général

LE GENERAL

poème burlesque

 

par Charles Daney

 

 

Il était général ; il l’était sur la peau

S’étant fait tatouer médailles et drapeau

Comme on a par ailleurs fait graver dans la pierre

Les noms des soldats morts dans une juste guerre.

Il les avait cachés sous son manteau troué

Les gardant pour lui seul… et la postérité.

 

Mais quand un jour d’été il sentit ses médailles

Sur son torse mouillé, il revit ses batailles,

Et ne put s’empêcher de se jeter à l’eau

Emportant avec lui médailles et drapeau…

 

Il ne se savait pas près d’un camp de nudistes

Et se croyait tout seul au détour d’une piste

Quand il vit s’avancer quelques anciens tabors

Qui l’avaient reconnu comme étant de leur bord.

C’étaient des rescapés de la dernière guerre.

Qui vivaient, malgré tout, unis dans la misère

Dans ce camp d’hommes nus où, ce n’est pas banal

Venait de les rejoindre un brave général.

 

Ils sont venus vers lui pour lui faire allégeance

Espérant le combat de leur dernière chance.

Ils se sont regroupés, et tous ces hommes nus

Ces soldats rescapés, tous vieillis, tous chenus :

Les perclus, les tordus, et les unijambistes,

Formant le régiment des tirailleurs nudistes

Allaient chaque matin embrasser le drapeau

Que le vieux général conservait sur sa peau.

Un vrai, pas un drapeau pour les jours de bombance

Qu’on met pour les banquets, ou pour créer l’ambiance…

 

Tout fiers de se trouver sous un commandement

Qui rappelait chez eux un vieil engagement,

Ils s’alignaient tout nus pour faire l’exercice

Comme des guerriers grecs ou des Manneken-Pis.

Et tous ces hommes nus formaient un bataillon. ..

«  Présentez, armes ! Gard’à vous ! Baïonnette…on !

À son commandement, retrouvant leur jeunesse

Ils bombaient bien le torse, tout en serrant les fesses,

Tout fiers d’être sortis vivants de leurs terriers

De se ressouvenir de leurs exploits guerriers …

 

Les jeunots, aujourd’hui, tous férus de prouesses

Sont partis en chantant pour ces étranges messes

Que font dire en leur nom tant et tant d’éditeurs

Ouvrant un champ d’honneur à leurs jeunes auteurs.

On les a vus, plume au fusil, pleins de courage

Comme aux guerres passées, méprisant le carnage

Chanter la Marseillaise, et sonner du clairon

Pour se donner du cœur aux combats de salons.

 

Mais un jour d’exercice une vague assassine

Auprès du général a roulé une mine,

Et soudain cet engin, déchaussé par la mer,

Explosait à ses pieds dans un fracas de fer.

Il partit en morceaux dans un éclat de rire

Et sa tête a roulé sur la ligne de mire.

« Je meurs content », dit-il, comme un dernier défi

À tous les généraux qui sont morts dans leur lit.

 

C.D.

 

Image du site de collection DELCAMPE.

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