Dialogues en V.O. #3 (Us et Coutumes)

           CHRONIQUES RETRO-TESTERINES-10-

Contes 3

Dialogues en V.0. #3

 

                          US ET COUTUMES

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En 1991, dans un climat politique et social testerin tendu,  pour rire un peu

je fais naître deux commères testerines : Mmes Léoncia Boyosse et Malvina Latestude. Elles vont commenter de petits faits divers locaux en « pichadey », cette langue populaire inspirée du gascon et parlée à Bordeaux et sur les bords du Bassin, jusqu’au début des années 50. Voilà donc qu’au beau milieu de l’été 1991, Gujan-Mestras organise une rencontre de vieux gréements qui attire la foule tout autour du port de Larros. A cette occasion, a lieu une course de « pinassottes » à rame, opposant des équipages du Bassin. Que se passe-t-il, au large, durant l’épreuve ? On ne sait pas exactement mais toujours est-il qu’à l’arrivée, une bagarre musclée oppose des rameurs de La Teste à quelques autres de Gujan-Mestras, les premiers accusant les seconds d’une manœuvre qui leur aurait fait perdre la première place. Mme Latestude, qui ne manque jamais aucune festivité gratuite, témoigne auprès de Mme Boyosse de l’événement qu’elle a vécu de très près. D’où cette chronique parue dans « Sud-Ouest » le lundi 29 juillet, sous le titre charmant inventé par Chantal Roman : « Us et coutumes ».

Conte 3 

     « – Ah ! Et adieu, Mme Latestude. Vous êtes bien d’attaque, ce matin.

– Vous pouvez le dire que je suis jouasse d’être encore vivante.

– Eh bé ! ça nous changera, vous qui rouscaillez toujours, avec ironie, comme ils disent des gens ! (*)

– Ironie ? Ironie ? J’ironie personne, moi. N’empêche qu’à Gujan, j’ai bien failli mourir !

-Mourir. Et dire que j’ai failli manquer ça ! Et pourquoi ?

– Hé bé ! Figurez-vous que ce samedi, j’étais à la fête des bateaux à voile à Gujan.

– Et moi, que j’ai pas pu venir avec vous pasque que je m’en reviens à peine de Caudrot, vous savez, là où mon fils est instituteur, pasque c’était le baptême de son dernier drole, celui que je vous ai dit qui est tout pigassous et qui arrête pas de bramer. Et même que le dîner, c’était tellement une hartère que, ce matin, j’en suis encore toute escagassée. Et alors ? A ce qu’il paraît, il y a eu des tumades à Gujan ? Et beleau, gueyte au trou comme vous êtes, vous avez dû vous piter trop près. Vous avez pas pris une mornifle, au moins, que ça vous aurait pu vous faire une attaque ?

– Et non heureusement ! Mais figurez-vous, ma pauvre, qu’à la course au port de Larros, quand les pinasses elles allaient à bomber, pasque les droles s’esquintaient à ramer pour que ça trisse devant tout le trèfle dans les tribunes, la barcasse de Gujan elle s’est mise à trafiquer, juste devant les nôtres et forcément, ils ont pris le gnac ! Alors, après, vous avez un gonze fumasse qui a chopé la quinte sur le raidillon du port. Sur un pilot, il s’est pris un bout de pignot, ataou, pour aller le chibrer sur le dos d’un Gujanais. Ils se sont mis une de ces roustes dans l’eau que tous les risteous autour, ils sautaient tellement qu’on aurait dit qu’ils nageaient avec des tchanques ! J’en étais si sang-glacée qu’on n’aurait pas pu faire une toute petite sanquette avec !

– Oh anti ! Dion ! Et alors ?

– Et alors, pardine, ils se sont fait quelques petites escagougnasses mais au souper, ils se mangeaient le tourin tous ensemble.

 

(*) Certains élus disaient, mezza voce, que leurs deux concitoyennes se moquaient de leur volonté d’hégémonie testerine sur le Bassin. Je crois qu’ils n’avaient pas tort.

 

 

Ce récit épique n’avait pas trop plu à l’amicale des pinassayres … Mais, comme écrit Bergson : « Le rire châtie bien certains défauts », il n’y eut plus jamais de telles empoignades. Peut-être était-ce la dernière inscrite dans une tradition viscérale qui a opposé Testuts et Barbots durant des siècles, quand il fallait partager les bonnes zones de pêche  dans le Bassin ?

 

                                                                                             Jean Dubroca

 

Légendes photos  1- Courses de pinasses à rames avent 1914.  

                                 2- Une bagarre a opposé les équipages testerins et Gujanais. Bien que tout le monde se soit retrouvé à l’eau, les esprits se sont tout de même échauffés. (Photo : Frédéric Lafargue/« Sud-Ouest »).