Les propos du Guide fou

 

P I T C H O U N E T

L’auteur

Michel Doussy : « Une mémoire du Bassin, qui l’a vu naître, et qui nourrit toujours son imagination. Amoureux de tout ce qui est le propre de l’Homme, des œuvres de la main ou des sens, comme la cuisine ou l’art. »

 

 

 

 

Les propos du guide fou

par Michel Doussy

 

 

Nous avons beaucoup hésité à publier ces commentaires d’un des guides réputés de la station. Ses explications pour pittoresques qu’elles soient restent sujettes à caution, voire carrément fantaisistes, mais peut-on le lui reprocher au terme d’une saison où ses talents ont été sollicités à la limite du surmenage ?

Comme on le prétend dans les meilleures publications, nos lecteurs rectifieront d’eux-mêmes. Rectifieront quoi ? La vérité bien sûr ! Le point de fantaisie restera comme une entreprise de divertissement qui ne saurait échapper aux plus perspicaces. M.D.

 

 

 

 

L’Huître du Bassin

 

             L’ostréiculture est une activité très ancienne sur nos côtes, facilitée par l’abondance de jeunes pins dans la forêt appelés localement « pignots ». Vous en voyez des quantités tout autour de l’Ile aux Oiseaux et de la presqu’île du Cap Ferret. En effet, des chercheurs, dont on a oublié le nom, ont établi que l’huître détenait une propension naturelle à s’élever pour trouver sa nourriture de plancton au niveau où il est le plus abondant. On assiste ainsi à la courageuse ascension de la larve d’huître qui du sol où elle rampe, s’accroche aux pignots qui lui assurent le support idéal pour se hisser jusqu’au niveau favorable. Toute son existence, elle gravira centimètre par centimètre la totalité de son tuteur jusqu’à la limite des plus hautes eaux. A maturité, comme on pratique les vendanges, on procède à la cueillette des huîtres, les plus grosses, étant à l’évidence, celles parvenues au plus haut point de leur parcours. En cas de pénurie, les ostréiculteurs, plus ou moins scrupuleux, les cueillent un peu plus bas, donc de taille moins avantageuse. Ce qui se répercute très exactement sur leur prix chez l’écailler. C’est ainsi que l’on mange son blé en herbe …

Une pratique se répand actuellement, elle consiste à enfermer les huîtres dès leurs prémices dans des poches à mailles carrées posées sur des supports de fer horizontaux, dits « chantiers ». Ainsi dispensées de l’effort ascensionnel, elles concentrent leurs forces dans l’espoir d’une tentative d’évasion assez illusoire, la taille des mailles, toujours inférieure à leur croissance, ce qui est une perfidie contraire aux règles de la gastronomie, même si des dégustations « à l’aveugle » ne permettent pas de distinguer la différence.

 

 

 

 

Les cabanes « Tchanquées »

 

 

Approchons des fameuses Cabanes Tchanquées. Il n’en reste que deux, quelques vieux du pays en évoquent trois. Les archéologues trancheront un jour. Leur nom étrange, signifie « montées sur des échasses ». Les Tchanques étant les échasses, qui semblent inséparables des bergers landais, surveillant leurs troupeaux, juchés sur ces appendices de bois. Ailleurs on dirait –sur pilotis- On a cherché la raison de ce dispositif très particulier, et onéreux, consistant à construire des cabanes, finalement semblables à beaucoup d’autres sur le littoral, sur des pieux enfoncés dans le sable, les mettant à l’abri des plus hautes eaux … Etrangeté, d’autant que la place reste abondante sur la terre ferme. On ne peut évoquer un désir ou un besoin d’isolement, car curieusement, ces cabanes sont groupées en un même lieu. Il y a peu d’années que l’on s’est avisé qu’il s’agissait finalement d’une image emblématique du Bassin d’Arcachon. Bien qu’il en existât de nombreuses cartes postales sans que leurs propriétaires n’aient réclamé un « droit à l’image ». Un joailler local transpose même en or et pierre précieuse, la silhouette d’une de ces cabanes qui s’apprécie désormais en pendentif sur le giron rebondi et bronzé de beautés, autochtones, ou de passage. La question lancinante vient de leur nom. Une légende tenace, prétend qu’à l’origine, elles pouvaient se déplacer comme un berger dans les Landes … impossible, soutiennent des esprits rationnels. Suivons-les, mais n’oublions pas le témoignage troublant d’un équipage de draïnayres[1] en pêche dans les parages, dans la nuit de Noël, qui soutinrent mordicus avoir vu de leurs yeux vu, une cabane s’ avancer vers eux, puis virevolter avec grâce, juste au moment où ils s’étaient octroyé une pause, pour vider une cantine de bon vin de Barrot [2] de La Teste, ou plus sûrement du clairet de Charles Fuster, pour fêter le divin enfant, après avoir chanté le Minuit Chrétien à pleine voix, car de leur temps, on avait de la religion.

 

1Pêcheur à la draïne filet appelé aussi senne.

2 Nom ancien des vins de sable du pays.

 

 

 

Le Banc d’Arguin

 

 

Nous voici au Banc d’Arguin : il est temps de faire litière d’une grave erreur de l’histoire qui place ce banc de sable, où s’échoua inopportunément la frégate « La méduse », au large de la Mauritanie. On comprendra vite en voyant les lieux, que si un banc de cette envergure, et disons-le, de cette beauté naturelle existait ailleurs, il serait tout aussi fréquenté par les touristes, alors que vous chercherez en vain ce mythique banc d’Arguin africain, sur les guides touristiques, ou les prospectus des Jet-Tours.

Géricault qui était un grand peintre dont le célèbre tableau « Le radeau de la méduse » rappelle ce naufrage qui eut lieu le 2 juillet 1816, et fit 149 victimes, ne précise en rien l’emplacement géographique du sinistre. On notera, en toute logique, qu’il se produisit en pleine période estivale, moment d’affluence avérée, et, en lisant entre les lignes de l’histoire, et en pleine page de Sud Ouest, que les méduses –du moins quelques rares espèces- peuvent-être redoutées, et qu’il est conseillé de s’en tenir à distance. Ce n’est pas se livrer à un amalgame de circonstances, en induisant que l’extrême fréquentation du banc d’Arguin, liée à une prolifération cyclique de méduses, connues, ici et ailleurs, sous le nom de physalies, entraina des troubles divers, et une panique qui livra aux flots de nombreuses victimes du phénomène d’affolement collectif, bien connu des psychologues comportementalistes.

Rien de tel aujourd’hui, sinon quelques restrictions liées à la présence protégée de sternes, petits palmipèdes noir et blanc, qui nichent sur ce banc à même le sol. Ici, aucune construction n’est tolérée, qui pourrait offrir à ces oiseaux, connus sous le nom d’hirondelles de mer, des avant-toits favorables à leur nidification. De même, on comprendra la grande imposture de l’histoire, en constatant qu’aucun arbre ne poussant sur le banc d’Arguin, toute tentative de fabrication d’un radeau reste de pure fiction.

 

 

 

 

La dune du Pilat

 

L’origine du nom de la dune du Pilat, 116 mètres de haut, a inspiré les historiens les plus méritants, qui ont déterminé, avec une prétendue certitude, qu’il s’agissait d’une appellation, « Pilae » léguée par la Grèce Antique, par l’entremise probable des phéniciens.

Lieu comparable aux Colonnes d’Hercule, personnifiées par Gibraltar en Espagne et Abyla en Afrique, symbolisant le détroit entre la Méditerranée et l’Atlantique. Les latinistes ont récusé bien entendu cette citation et proposent « Pilatus » apparenté probablement à « Pilum ». Ce javelot faisant partie de l’équipement des soldats Romains. Cette controverse risquait de s’envenimer, d’autant que de nombreux Bordelais habitués à séjourner sur le Bassin depuis l’époque des grandes invasions du VIe siècle firent remarquer la faiblesse des traductions, arguant que le nom de leur cité, Burdigala selon les romains, n’était qu’une ineptie administrative. En effet la bourgade qui se trouvait dans l’anse dite « de la lune » inspirée par la forme en croissant du fleuve, se contentait précédemment d’un très logique Bord’eaux, nom vernaculaire, et hautement populaire qu’on lui donne encore aujourd’hui.  Donc, foin des Grecs et des Romains ! Pilat ? On peut penser à la pile, l’empilement, l’amas de sable, évident. La réponse est venue de la part d’un modeste historien local, injustement méconnu de nos contemporains. Il a établi sans contestation possible, qu’il existait là dans un temps reculé l’Auberge dite « du Pi(i)lat », qui tout naturellement et logiquement laissa son nom à la postérité et à la dune, qui jouxtait sa terrasse ombragée.

 

 

Et après, quand vous aurez tout vu, l’île aux Oiseaux, la ville d’Hiver, la ville d’Eté, la Ville d’Automne et son Saint Ferdinand qui semble rivaliser avec le Corcovado…

 

           L’Aiguillon

 

Après ? Commence l’inconnu, car inclassable et inclassé… Au vrai, le cœur populaire et fécond de la cité. On le nomme l’Aiguillon … l’étymologie de ce nom reste controversée. Est-ce une allusion au rôle séditieux d’une population laborieuse, œuvrant entre les pêcheries, les conserveries, les chantiers de constructions navales, les forges de marine, autant d’activités disparues sans retour ?

L’autre hypothèse remonte à des pratiques heureusement obsolètes dans notre monde du libre-échangisme. Expliquons : les douaniers jusqu’au début du dernier siècle, usaient d’une sorte d’aiguille (aiguillon ?) pour sonder les cargaisons des navires en transperçant les sacs, ballots, et autres conditionnements du fret, de façon à déceler des corps étrangers litigieux, et soumis à des taxes auxquelles tout un chacun, et surtout les navigateurs, tentaient d’échapper. Il faut rappeler que le navire des douaniers nommé « Patache » mouillait dans la Canelette qui met en eau le Port de la Teste, au lieu dit « Le Lapin Blanc ». On ne sait si le quartier doit quelque chose à la Douane, mais l’Académie s’est accordée à voir là l’origine de l’expression « mener une vie de patachon ».

Enfin, à toute controverse savante, s’oppose parfois une vision populaire que l’on se doit d’évoquer. Le nom de l’Aiguillon, viendrait du profil en pointe du banc de sable qui prolonge à son extrémité ce quartier attachant.

 

 

[1] Pêcheur à la draïne filet appelé aussi senne.

[2] Nom ancien des vins de sable du pays.