CHRONIQUES RETRO-TESTERINES –19–
par Jean Dubroca
Rencontres. (#5)
LE DERNIER RESINIER
En décembre 1990, je rencontre M. Lesgoire, le dernier résinier de la forêt usagère testerine. Un article pas ordinaire, paru le 8 décembre 1990 dans « Sud-Ouest ». Extraits.
La forêt usagère offre un spectacle assez triste. De nombreux troncs de pins cassés coupent les chemins encaissés sous des voutes de verdure superposées. D’autres arbres, blancs et malades, se dressent sans écorces : un paysage parfois désolant. Le chemin, en grimpant, débouche sur une apaisante clairière, dominée par un énorme chêne.
C’est le domaine de M. Lesgoire, l’unique et tout dernier résinier résidant et travaillant encore dans la forêt usagère. Au pied de quelques arbres, s’accumulent des pots de terre destinés à recueillir la résine. Pas loin, plusieurs lourdes barriques métalliques, cerclées de fer, soigneusement bouchées par de la mousse, contiennent la dernière récolte. De longs tas d’un bois récemment fendu protègent un rucher endormi. Dans la cabane qui mêle la couleur de ses murs de planches aux arbres alentour, fume un beau feu que l’on devine à travers la porte vitrée ornée d’un rideau en dentelles. On appelle le gemmeur en criant. Il nous répond : « Je fais un pin un peu plus bas. Arrivez ! ». Et la conversation commence.
« – Trente ans de bagne, mon travail dans une usine de moteurs ! Alors, ici, c’est la liberté. Je vis comme mon père ». Ses yeux vifs pétillent de plaisir. Des yeux acérés de chasseur qui observent tout ce qui se passe, loin, là, autour. Mais des yeux qui deviennent vite nostalgiques. « Quand on voit tout ce bois qui se perd, toute cette résine inexploitée. Ca pourrait procurer des ressources. Mais maintenant qu’il n’y a plus de résiniers, la végétation devient folle. Et quand je pense que moi aussi, je vais être obligé de m’arrêter ! Plus personne ne pourra me prendre ma résine : l’usine à Parentis ferme. Et vous avez vu ce massacre de chênes. Ils viennent couper n’importe quoi, n’importe où ! Ils laissent tout le feuillage par terre et ça étouffe tout. Les syndics sont dépassés. Il faudrait bien un garde. C’est pourtant obligatoire, depuis 1917 ».
Sur le retour, l’étroit sentier longe le « braou » de Lescurade, marécage spongieux où il vaut mieux ne pas aller patauger. Déjà, la brume s’accroche aux bouleaux argentés ou aux feuilles cassées des marisques. Les volets des cabanes abandonnées du Béquet-Contard battent doucement. Une grive crie, annonçant la nuit. Mais on entend encore résonner les coups sourds de la hache de M. Lesgoire….
Jean Dubroca
Légendes photos : 1- Dans la forêt usagère testerine. (Col. Part.)
2- M. Lesgoire, le dernier résinier de la forêt
usagère. (Photo J.D. « Sud-Ouest »)