CHRONIQUES RETRO-TESTERINES -25-
par Jean Dubroca
Rencontres (#12)
AVEC DES AMATEURS DE TRIPOTES
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Je les rencontre vers les 7 h. 30 du matin, sous une des tentes des 24ème Fêtes du port testerin. Et voici le reportage publié dans « Sud-Ouest-Dimanche » le 4 août 1990, sous le titre « Les tripes du petit matin », accompagné du sous-titre suivant : « C’est moins commun qu’un café noir. Et puis, on en apprend de belles… ».
Les yeux des convives sont un peu cernés. Il faut dire, que cuisiniers d’occasion et pourtant compétents, ils ont eux-mêmes rôti tout le jour sous les tôles ondulées de leurs cabanes. Et ils s’en remettent d’autant plus lentement que la journée s’annonce chaude. « Rien que la réverbération sur le port, ça te fatigue déjà ! » soupire l’un des bénévoles rôtisseurs. Pendant ce temps, les tripes mitonnent à petit bouillon. Une dégustation en perspective qui permet de se reconstituer des efforts de la veille, passés à préparer des centaines de repas « à la testerine » et à ouvrir encore plus de bouteilles d’un blanc sec rafraichi qui faisait dire à un notaire arcachonnais venu en voisin et solidement attablé : « Au moins, on va transpirer du frais ! ».
Les tripes, si attendues, arrivent juste à point. Dans les Landes ou en Gironde, on les appelle des « Tripotes ». Dans les mariages traditionnels d’autrefois on les servait comme tout premier plat, destiné à réconforter, avant la cérémonie, les invités venus de loin, dès qu’ils avaient dételé le « bros », la charrette tirée par des mules placides. Un attachement gastronomique si fort qu’aujourd’hui encore, les chasseurs de palombes interrompent toute activité pour les déguster. Ce renoncement à la chasse pour se régaler de tripotes avant tout, en émeut plus d’eux ici.
Puis, au fil de la dégustation du plat et de quelques verres de bon vin rouge, on évoque des souvenirs qui constituent non seulement la mémoire collective du port mais aussi l’âme d’une profession. Alors, en rigolant, on se décrit la tête effarée du plaisancier resté planté dans la vase du port, pendant toute une marée et qui n’osait pas descendre de son bateau en plastique de peur d’être englouti lentement dans des sables noirs mouvants. Mais comme il faut être impartial, on se rappelle aussi que la même mésaventure arrive parfois à quelques parqueurs que leurs femmes, plantées sur la berge, engueulent à forte voix et en termes choisis, les accusant d’ivrognerie, d’incompétence ou de strabisme avancé.
Les confidences arrivent ensuite. « Maurice, prête-moi ta boussole. J’ai la visite de sécurité de la Marine, ce matin. » Et voilà que la boussole de Maurice navigue de pinasse en pinasse, précédant de peu dans chacune la visite du haut gradé de l’inspection maritime. D’où des plaintes : « Et le dernier, il me rapportait pas, ma boussole. Il fallait que j’aille me la chercher à pied, à l’autre bout du port ! »
Par temps de grande brume, les plus malins, démunis de l’appareil, suivaient Maurice, rien qu’au bruit du moteur de son bateau. Mais, au bout de la traversée :
« – Maurice, où on est ?
– Hé bé ! à Bourrut !
– A Bourrut ? Mais tu devais pas y aller aujourd’hui. Et moi, diou biban, j’allais à la Réousse ! »
Comme qui dirait Cazaux par rapport à La Teste ou Cenon à l’opposé d’Eysines … Autant dire, tout un monde.
Mais comme un marin, surtout Testerin, ne perd jamais la face, on se gausse aussitôt de terriens pas bien dégourdis. A preuve : ces pompiers –on dit de Biganos, mais ce pas très sûr- qui ont couru toute la matinée après une épaisse fumée. Elle provenait d’une des dernières locomotives à vapeur circulant sur la ligne. « Et un peu plus, on se les retrouvait au Grand Théâtre, dis-donc ! »
Voilà ce que c’est qu’un casse-croûte aux tripes sur le port de La Teste.
Jean Dubroca
– Légendes photos : 1-Fêtes du port : au travail. (Photo D.R)
2- A table autour des tripes. (Photo Christian Monnier-SO)
3- Corso fleuri aux fêtes du port (DR)