Rencontres (#13) (Avec les rameurs de l’inconnu)

 CHRONIQUES RETRO-TESTRINES -26-

par Jean Dubroca 

                 Rencontres (#13)

 

AVEC LES RAMEURS DE L’INCONNU

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*Durant les fêtes du port de La Teste, on peut voir des équipages de pinassottes à la rame se livrant à des courses passionnées. En juillet 1990, « Sud-Ouest-Dimanche » a publié, sous le titre ci-dessus, cet article évoquant ce traditionnel affrontement maritime entre des habitants de ports du Bassin.

– Non seulement, les rameurs des quatre pinassottes venus de divers ports du Bassin pour régater sont des conquérants autant de l’inutile que de l’essentiel, mais, de plus, ils courent dans l’inconnu. Car, si la ligne d’arrivée de leur course dans le port central de La Teste est un peu approximative, celle du départ flotte aussi tout autant, quelque part du côté de la pointe de l’Aiguillon, « a trois kilomètres, à peu près », estime un spécialiste.26 port 2

Par contre, ce que tous connaissent bien, c’est ce Bassin où le fin clapotis de la haute mer du matin trace quelques lignes plus foncées, presque violettes voletant sur un bleu transparent. Un Bassin qu’ils aiment et qu’ils honorent en s’exténuant sur leurs rames pour parcourir ces fameux trois mille mètres et quelques, en moins de dix minutes environ. Une durée qui montre bien qu’il ne s’agit pas là d’une promenade romantique mais d’un bel exploit sportif.

 

Malheureusement, en cette matinée de lendemain de premier jour de fête, le public est rare sur les rives du port. Rare mais connaisseur. Et ceux qui sont là apprécient avec ferveur ce beau spectacle offert par les quatre pinasses, véritables risées solides mais effilées et comme soulevées au-dessus des longs avirons. On les a aperçues de loin, perçant, comme autant de flèches, la longue darse alignée sur le clocher de Saint Ferdinand à Arcachon. On voit bien que les coureurs de Gujan, avec « La Belle » et on constate aussi–très grand malheur- que ceux de La Teste ont dû laisser la corde à « La Capricieuse » du Canon.

Tout se joue donc dans le dernier virage vers le port où les bateaux entrent bord à bord. L’élégante « Capricieuse », toute jaune, dans une ultime contraction musculaire de ses rameurs anonymes, gagne d’un petit bout de proue. Mais l’important n’est pas dans cette victoire. L’essentiel réside dans la renaissance de ces bateaux traditionnels dont les plus gros affrontaient autrefois les vagues de l’Atlantique, témoins d’une civilisation attachante qui fait écrire au professeur Jacques Bernard : « A l’époque du plastique et des machines à vapeur et à gros sillages, ces souvenirs prennent la valeur d’un signe de contradiction. »

 

Jean Dubroca.

 

Légendes photos : 1- Rameurs.

                                   2- Lutte au bord à bord. (Photos Frédéric Lafargue *)

 

(*) Frédéric Lafargue est devenu l’un des meilleurs journalistes-photographes français. Après ses débuts à « Sud-Ouest », il travaille maintenant pour l’agence Gamma, notamment comme correspondant de guerre au Kurdistan, à Bangui, où il a échappé de peu au lynchage, en Palestine, en Irak, et en Syrie.