Singularités d’un pays pas tout à fait ordinaire.
par Charles Daney
Les premiers voyageurs qui ont écrit sur cette fin du monde située à soixante kilomètres de Bordeaux ont parlé de déserts, de Tahiti, d’arroyos… Les Saint Simoniens en ont fait une terre de colonisation agricole et la revue Le Tour du Monde « journal consacré aux voyages et aux explorations » a publié deux articles sur la région : un sur l’ostréiculture, l’autre sur la forêt. Aller sur le Bassin, c’était l’exotisme assuré.
C’est encore ainsi ou presque : Élisée Reclus compare le Bassin à la Louisiane, Jean-Paul Alaux « japonise » poissons et paysages en une douzaine de « japonaiseries » et Jacques Feyder y tourne l’Atlantide au début des années 20. Les dunes, la marée, les bancs incertains, les marécages, les bouquets d’arbres, les cabanes, les ports et les pinasses, les villas de style « colonial», un vocabulaire singulier, tout cela contribue au dépaysement des nouveaux venus. C’est qu’ « ici on est ailleurs ». Les dépliants touristiques l’affirment. C’est un ailleurs aujourd’hui très fréquenté, un « vide » bien rempli chaque été. Les visiteurs ne s’en lassent jamais.
Nous autres, gens d’ici, nous avons toujours vécu avec la mer. C’est pourquoi nous l’aimons jusqu’en ses colères. Elle est en nous de toute éternité. Les touristes nous ont tellement dit que le Bassin était un paradis que nous avons fini par les croire. Mais un paradis, c’est difficile à garder. Nous le savons d’expérience. Il pose toujours ses conditions.
Le Bassin d’Arcachon ajoute à la séduction de la mer la diversité de ses paysages et de ses rythmes – ceux de la marée s’accordant à ceux des vacances – qui en font un monde en perpétuel changement. Pas seulement les transformations de 1960 qui ont remisé au bric à brac des souvenirs les activités des résiniers, des muletiers, des lingères, la culture à plat des huîtres remplacée par leur culture en sacs mais les changements quotidiens : la naissance de « baïnes » – ces bassins des plages dont il faut craindre la traitrise des courants-, les grignotages de l’Océan qui font reculer la côte, s’effondrer un abri de surveillance ou disparaître un banc de sable ou un bout de plage, le recul des dunes qui envahissent un camping…. C’est un jeu de chercher ce qui a disparu, ce qui est apparu. Aucun des habitués du Bassin n’y échappe. Et les hommes se font un plaisir d’en rajouter. Malgré cela, il garde encore des lieux secrets que l’on découvre à l’occasion de promenades à pied, à bicyclette ou en canoë. Le Bassin se livre à doses homéopathiques : il n’aime pas ceux qui vont trop vite ou ne font que passer. Il estime – ce n’est pas là son moindre mérite- qu’il faut vraiment le mériter.
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