CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 37 –
par Jean Dubroca
Rencontres (24)
DES ARTISTES TALENTUEUX (II)
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* Suite d’articles consacrés à quatre peintres qui ont marqué des expositions testerines au début des années 1990. Extraits.
– Michel Brosseau expose des aquarelles où le bois est à l’honneur. Cet artiste montre aussi de belles vues chaudes du Bassin interprétées dans un style réaliste-poétique faites avec beaucoup de dextérité et dans une palette et des sujets nostalgiques : bateaux alanguis et comme abandonnés, rivages à marée basse ouverts sur des échappées lumineuses brodés de lueurs aquatiques transparentes qui s’opposent à des ciels lourds de nuages bleutés, des images peu courantes et envoutantes.
Ces paysages Mais Michel Brosseau, ici, montre qu’il s’est attaché à peindre des planches de cabanes d’ostréiculteurs ou les lourdes poutres soutenant tant bien que mal les quais des ports du Bassin. Engluées de marées, elles suggèrent une présence de l’eau montante et si attendue qui, inexorablement, s’infiltre partout en bruissements légers. Ainsi, se construit un monde étrange, à la fois minéral et végétal, un espace de transition mouvant entre la terre et la mer, si particulier aux rives du Bassin. Toute sa subtilité est là, dans des œuvres aux lignes bien équilibrées marquant des contrastes à peine marquées entre des matériaux pourtant des plus divers. Et ces bois, veinés d’une vie qui ne les a pas vraiment quittés semblent par leur solidité continuer à la puiser dans ce temps ancestral forgé par les marins du Bassin.
Article paru le 26 août 1993 sous le titre : « Des chemins de traverse ».
– Légendes photos :
1- Une œuvre de Michel Brosseau. (Crayon)
2- Huile de Michel Brosseau. Paysage de Claouey.
– Eliane Beaupuy-Manciet. (1921-2012) Lauréate du prix de Rome de peinture en 1950 et installée pour cela pendant plusieurs années à la villa Médicis, elle fit parvenir aux vénérables membres de l’Institut qui l’avaient envoyée là-bas une grande fresque, fruit de ses premiers travaux en Italie. Et, de surprise ou d’inquiétude sur la pertinence de leur choix, ces Messieurs, déballant le grand colis, faillirent en avaler leur habit vert ! Ils découvrirent une œuvre aux chauds coloris du soleil napolitain et vivante comme une peinture étrusque qui aurait été revisitée par Gauguin. C’est à dire qu’elle était parfaitement neuve. Les académiciens écrivirent aussitôt à Eliane Beaupuy-Manciet en s’indignant : « A vingt-sept ans, Madame, une artiste ne doit pas faire preuve de personnalité ». Elle en pleura d’abord puis finit par en rire.
Et voilà pourquoi, depuis quarante ans, elle réagit contre l’enfermement de l’artiste dans une mode éphémère ou dans une seule technique d’expression. Longtemps professeur dans une académie des beaux-arts, elle a atteint maintenant ce privilège de l’âge qui l’autorise à faire tout ce qu’elle n’avait pas vraiment osé produire jusqu’alors. « J’ai mis tellement de temps à tout oublier de mes pratiques, que désormais, entièrement libre, je ne tiens compte que de ce que j’éprouve fortement et que j’aime profondément », dit-elle. C’est pourquoi elle ne cesse d’innover, d’inventer de nouvelles formes, des couleurs étonnantes, des reliefs inattendus où joue une lumière toujours renouvelée comme celle qui, au fil des heures et des saisons, éclaire la vie quotidienne.
Désormais, sans cesse en quête de l’entaille qui va accrocher la lumière, de la forme qui va éterniser un instant lumineux, fugace comme un clin d’œil, elle fixe ce que sa recherche lui apporte. Alors, comme dans une constante alchimie des techniques, elle donne une vie nouvelle en gravant sur de la toile épaisse, sur du bois, sur du rhodoïd de la plus simple des baguettes rectilignes au plus complexe des enchevêtrements colorés. Elle aime graver, « un art un peu oublié aujourd’hui et pourtant que les plus grands ont pratiqué », commente-t-elle. Une technique qui, par sa rigueur, relie l’artiste à l’artisan et qui ne souffre aucune tricherie et ainsi, ajoute-t-elle, « qui respecte autrui, parce qu’on ne fait pas d’art en méprisant le public. On lui doit la sincérité ». La gravure lui délivre ces exigences qu’elle exerce sur tous les supports qui l’inspirent. Car, dit-elle encore « On peut faire beaucoup avec les choses les plus simples, un morceau de terre, un caillou… » Et c’est vrai que Dali a su élever tout un monde avec de simples galets.
Finalement, les œuvres d’Eliane Beaupuy-Manciet expriment une gaieté sur laquelle elle s’interroge. « Cette gaieté, c’est sans doute un refuge parce qu’il serait impossible de créer si l’on songe trop à ce monde abominable où nous vivons ». Mais Eliane Beaupuy-Manciet ne s’enferme pas dans une tour d’ivoire. Creusant son sillon d’une gouge subtile, donnant vie à des lueurs toujours renouvelées, elle parvient à ce point élevé où, écrivait Sainte-Beuve : « L’art, la nature et la morale ne font qu’un et se confondent ».
-Article paru le 10 juin 1993 sous le titre « Les sillons de la lumière ».
– Légendes photos :
1-Eliane Beaupuy-Manciet dans son atelier. (Photo J.D)
2-La fresque scandaleuse. Huile 3 m x 2,10 m. (Photo J.D.)
3-Les deux pigeons. Huile-gravure sur bois. 50×20. (Photo J.D.)