Rencontres #25 (Des artistes talentueux III)

   CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 38 –

par Jean Dubroca

Rencontres (25)

 

DES ARTISTES TALENTUEUX (III)

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* Voici deux rencontres avec des créateurs particulièrement originaux racontées dans des articles parus en 1991 et 1993. Le premier, daté du 12 septembre 1991, a pour titre :

 

                                       « Du diamant noir pour la vie »

– Gérard Servant-Hermès est un sculpteur mystique. Il va même jusqu’à créer le matériau ésotérique et confinant à l’éternité sur lequel il travaille. Robespierre a dit : « La mort rend immortel », hé bien ! notre sculpteur a trouvé le moyen d’exprimer concrètement l’immortalité dans la mort. A force de se frotter à l’électronique par raison professionnelle, Servant-Hermès a vérifié que l’homme n’est qu’un ensemble d’électrons parmi tous ceux qui gravitent pour construire l’univers, sans hasard sans doute mais avec nécessité, certainement. Il a donc regardé de près le carbone/carbone, un isolant industriel utilisé contre les hautes températures. Or, s’il y a une matière venue de la nuit des temps, c’est bien le carbone ! Alors, quand il est double, il est doublement immortel car il a passé des milliards d’années, compressé sous d’énormes couches sédimentaires venues des lourdes forêts du carbonifère. Il est donc directement issu des racines des plantes immenses et des sels du sol qui viennent du cosmos. Mais Servant-Hermès a fait mieux encore pour agrandir l’espace temps puisqu’il a su utiliser le carbone/résine, encore plus élaboré et quasiment mystérieux puisque, lorsque la température où il évolue, dépasse les 3000°, celle du nez des fusées dans l’espace, il se transforme en une matière absolument inédite sur terre qu’il a baptisée le « diamant noir » et qu’il transforme en œuvre d’art. Si tant est qu’elle existe, l’aube des temps, commencée avec l’atome de carbone se trouve alors directement reliée au temps présent par l’alchimie du geste du sculpteur.

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Mais puisqu’en ces espaces infinis désormais matérialisés, tout est possible, l’artiste a voulu les élargir jusqu’au domaine, tout aussi incommensurable, de la pensée, c’est à dire à l’art ainsi physiquement incorporé à la vie universelle. Alors son « diamant noir », qu’on ne travaille qu’en tenue de scaphandrier explorant la planète Mars, devient à travers ses reflets d’ébène ou de métal galactique, le support d’une pensée créatrice qui, par définition, peut se renouveler et s’affirmer sans limites. Venu durant la nuit des temps où éclata une titanesque explosion, le carbone, se trouve ainsi projeté, grâce à de l’art, vers des réalités qui s’installent dans le futur de manière tout aussi expansive. La boucle est fermée. Ainsi, inspiré par ce corps physique essentiel, retrouvé par l’homme dans le laboratoire de ses neurones et dans les chimies atomiques, autant que dans les limbes de l’univers, l’artiste est devenu l’égal de Vulcain. A moins qu’il ne s’agisse pour lui, à force de travailler une matière intemporelle de retrouver l’œuf primordial d’où les antiques égyptiens firent jaillir l’oiseau-soleil qui, chaque matin, triomphe de la mort.

 

38 ServantC’est pourquoi dans son exposition, Servant-Hermès montre la maquette d’un énorme « museum nécropolis », destiné à recueillir les cendres des défunts incinérés, construit en inaltérable diamant noir et s’élevant sur plusieurs étages. Son financement serait établi grâce à l’acquisition par les familles de cases de concessions perpétuelles. La municipalité testerine et les milieux crématistes locaux se sont montrés très intéressés par ce grand projet. Tout comme d’ailleurs la municipalité de Binghamton aux Etats-Unis, dans l’état de New-York, ville jumelle de La Teste. Ce qui placerait les monuments en diamant noir sur chaque rive de l’Atlantique comme des veilleurs sur le chemin du soleil qui se lèverait à La Teste avant de parcourir le reste du monde.

 

Mais l’homme est ainsi fait : il revient toujours à l’instant présent. On voit donc aussi dans l’exposition un bien réel hippocampe que la ville veut offrir à sa cité jumelle, Binghamton. Mais après tout, cette curieuse créature n’est pas très éloignée des êtres inventés par Servant-Hermès. L’hippocampe, cet animal étrange aux reflets métalliques est même très proche d’eux puisqu’il semble bien que le chemin de ses mutations génétiques ait été égaré sur la voie des légendes. Comme les sculptures issues du diamant noir, l’hippocampe est le témoin de cette série d’évolutions qui vont pousser la vie hors de l’eau. Le cheval-marin en est un des chaînons les plus insolites, les plus fous et les plus poétiques. Comme le rêve de Servant-Hermès…

Jean Dubroca.

 

Légendes photos :

  • Gérard Servant-Hermès montrant son hippocampe  (Photo : J.D.)
  • Le projet du symbolique monument funéraire qui intéresse la ville et

même sa jumelle Binghamton. (Photo : J.D)      

 

 

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– Evidemment, le correspondant savait très bien, en écrivant les lignes ci-dessus, que ce cénotaphe ésotérique de trente mètres de haut ne serait jamais érigé. Mais rien ne l’empêchait de s’amuser un peu et de faire rêver le Testerin. Et puis, sait-on jamais ce qui se passer avec les philosophes de la matière : si cela avait été possible ?