Rencontres #26 ( Des artistes talentueux IV)

     CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 39 –

 

Rencontres (#26)

 

DES ARTISTES TALENTUEUX (IV)

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*Talentueux mais particulièrement originaux : après le sculpteur sur « diamant noir », voici un musicien qui a découvert des sons étranges et même jamais entendus jusqu’alors puisque attrapés au fil des vents qui soufflent sur le sommet de la dune de Pilat. C’est un article publié le 8 octobre 1994, intitulé

  

                                   « La guitare, instrument à vent ».

 

– Garlo est un compositeur-chef d’orchestre qui, pour diriger son ensemble n’a pas besoin de baguette mais bien plutôt d’une manche à air. Du plus classique des modèles, celui à larges bandes blanches et rouges. Plantée au sommet des cent quatre mètres de la dune du Pilat, elle s’oriente et se soulève vers les vents tournant à l’ouest et fort heureusement pour la suite de l’opération. Car ce vent d’octobre, c’est l’interprète principal de « Vent de guitare », l’œuvre imaginée, rêvée et construite au fil des rythmes météorologiques, guidée autant par le hasard que par l’électronique et, paradoxe, autant aléatoire qu’entièrement irréelle. Garlo, venu tout droit de son Québec natal, après une carrière de concertiste là bas, y a réalisé aussi plusieurs vidéos musicales, écrit des tas de musiques de films et construit plusieurs C.D, dont l’avant-dernier s’intitule « Tribal scandal », une heure de musique sans mots, un véritable puzzle sonore où l’auditeur se glisse au gré de son humeur du moment, se perd dans des échos de cornemuses, dans des rythmes aborigènes ou dans le chant des baleines : l’ensemble de la pièce forme un labyrinthe musical d’où il est difficile de s’extraire d’autant plus qu’on s’y perd volontairement.

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Mais Garlo veut aller encore plus loin dans l’exploration de la caverne des sons. C’est pourquoi il s’est installé pour plusieurs jours et plusieurs nuits tout en haut de la Grande Dune, avec une dizaine de ses amis, tous bénévoles, techniciens ou guitaristes. Ils surveillent, écoutent, règlent au mini-décibel près cinquante guitares, classiques ou électriques, dressées dans le sable, face au large et prêtes à recevoir la chanson du vent d’octobre. Ils les orientent comme un meunier le fait des ailes de son moulin ou un marin de ses voiles. Ils y ajoutent quelques « grelophones » inventés pour l’occasion, associant un arc de bois tendu par un élastique et assurant les basses. Il s’agit ainsi de créer un champ de cordes avec le vent pour archer, un vent pas encoure sauvage comme l’est souvent par contre celui qui secoue nos jours d’hiver. Non : il est en ce début d’automne, nuancé, modulé, encore chargé des effluves de l’été et pourtant déjà humide car l’anticyclone des Açores commence à s’y diluer en embruns salés, chargés de crachin. Et ce vent, parfois léger, parfois atrabilaire, toujours inattendu, s’accroche à la dune qu’il sculpte en longues vagues blondes. Mais bien avant de flirter avec elle, il a jailli d’on ne sait trop où, il a effleuré les éclats métalliques de l’Empire-State-Building, caracolé sur des dépressions malfaisantes, poussé des voiliers et freiné des cargos. Après avoir ronflé dans les rouleaux des passes, dépassé les dunes envahissantes du cap Ferret, s’y être déchiré sur les pointes acérées des chardons, avoir soumis les oyats à ses fantaisies et soulevé les plumes des sternes frigorifiés du banc d’Arguin, le voilà maintenant résonnant dans cet univers de sable, comme s’il était prisonnier d’une énorme conque marine dont les circonvolutions complexes se construisent sur les clapotis du Bassin, irisés de vert, sur les pins lacérés, d’une forêt sans chemin ou sur les murs d’une cathédrale de sable aux arcs-boutants végétaux, placé, là selon un nombre d’or que seuls les poètes pourraient calculer. Autant dire qu’il restera secret longtemps…

 

Et voilà tout ce que Garlo compte enregistrer en retenant un instant des accords du vent dans les cordes de ses guitares qui vibreront autant sous son souffle chargé d’espace que de son passage sur ces minuscules vibrations qu’il soulève quand il s’effiloche sur des rides de sable qui s’effacent en un instant pour renaître à peine plus loin. De micros, reliés entre eux pour sonner comme trente-deux voies, en magnétos à seize pistes, de tables mixant les accords et les timbres des différentes instruments, en amplificateurs où se répercute la musique finale, l’air du Pilat devient une mélodie jamais entendue, proche « de ces sonorités réelles dans lesquelles se fait sentir la présence du vivant », dont parlait Schaeffer. On entend alors une musique du silence qui envoûte, emporte, fait planer, rêver, aimer… C’est une partition que, peut-être, entendit Ulysse lorsqu’il ouvrit l’outre d’Eole et qu’en déferla « cette anarchie de libertés » dont parle Jean Garcia. A moins qu’elle ne restitue ce que Mauriac, enfant mélancolique en vacances à Saint-Symphorien, imaginait de l’océan dont il percevait les sourdes rumeurs aux sonorités modulées sur les cimes des pins.

Jean Dubroca.

 

– Légendes photos :

 

1- Des guitares dans le vent au sommet de la dune du Pilat.

2-Un champ de guitares.

3- Vue sur l’exposition qui accompagnait l’opération. (Photos : J.D.)