CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 40 –
par Jean Dubroca
Rencontres (27)
DES ARTISANS INSPIRES (I)
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* Après des artistes, voici des artisans. Durant ces quatre années évoquées ici, j’ai écrit sur nombreux d’entre eux, du maréchal ferrant au ferronnier d’art, du peintre en trompe l’œil au charcutier-poète…. Voici trois portraits parmi tous ceux-là. Le premier, publié le 29 janvier 1994, est consacré à une famille de boulangers qui œuvre dans ce qui doit être le plus vieux fournil testerin sous le titre :
« Ils font notre pain quotidien »
– La loi est claire : l’artisan boulanger, c’est celui fabrique entièrement le pain dans son fournil, de la farine à la miche. C’est le cas dans la famille Clarens où l’on est installé à La Teste depuis 1963. Mais il semble bien qu’existe là, en plein centre-ville, une antique boulangerie tant ses murs, ouverts pour des travaux en cours, montrent de solides pierres d’alios mêlées à quelques blocs de granit, comme c’est courant dans les vieilles maisons testerines. Mais ici, en plus, elles sont imprégnées de cette bonne odeur, à la fois douce et âcre si caractéristique du bon pain. Evidemment, aujourd’hui, le boulanger vit dans un univers d’inox et d’aluminium. Le pétrin électrique malaxe une pâte qu’autrefois il fallait s’échiner à soulever à bout de bras pendant longtemps, jusqu’à elle prenne une chaude teinte jaune et un mouvement élastique, quasiment vivant. Ici, elle tourne vingt minutes, se repose un quart d’heure, tombe dans le « diviseur » d’où elle sort en pâtons, passe dans la chambre de pousse pendant encore vingt bonnes minutes. Après quoi, elle deviendra, selon la nature de la farine utilisée, une de ces vingt formes panifiées qui attendront une heure et demie à deux heures dans une chambre de fermentation avant la cuisson.
Mais qu’on ne pense pas qu’il s’agit là d’une mécanique immuable. Avant d’enfourner ces pâtons qui arborent déjà une couleur vivante, Didier Clarens est allé humer l’air extérieur. S’il est humide, il faudra cuire plus longtemps que par atmosphère sèche. « Mais pour décider cela, il faut s’appuyer sur une longue expérience qui ne s’acquiert qu’au bout de longues années de pratique », confie, un peu fier, Didier Clarens. Cette appréciation déterminée, la baguette va cuire plus ou moins de vingt minutes, le « cinq-cents » trente minutes, des durées qui varient chaque jour.
Formés pendant dix ans par leurs parents, les frères Clarens savent bien « qu’ils leur doivent cette passion d’un métier bien pratiqué et à l’ancienne ». C’est à dire en se levant toutes les nuits sur le coup d’une heure, en ignorant superbement cette « pousse contrôlée » qui permettrait des nuits plus longues. Il faut que les rayons de la boutique soient remplis à 6 h. 30 de ces pains dorés et bouffis, si amoureusement façonnés, disposés alors comme des colonnettes serrées d’un cloître dédié à la gastronomie. Et à tous les goûts des clients. Si bien que, pour les satisfaire, nos boulangers choisissent dans la production de cinq sortes de farines pour les adapter à la panification. Exactement comme le menuisier choisit son bois et le peintre sa palette. « Une tradition qui deviendra un luxe, un jour assez proche », craint Thierry Clarens. Car le boulanger de quartier affronte des difficultés. « La main d’œuvre de nuit ou de week-end coûte cher, le rythme rapide de la vie laisse peu de temps au consommateur venu souvent en voiture, qui a du mal à stationner et la vie de famille du boulanger supporte mal ses heures de travail nocturnes ». Alors, ils se montrent un peu pessimistes sur l’avenir de leur profession.
Mais ils estiment aussi que c’est dans le passé que leur métier trouvera un avenir solide. C’est pourquoi, plusieurs fois par semaine, ils fournissent encore des tourtes, ces bons gros pains ronds et ventrus de deux kilos, de ceux que l’on n’entamait jamais autrefois sans tracer sur son dos un signe de croix et que l’on rangeait dans la huche pour le garder longtemps, comme un bien précieux si dur à gagner.
Car pour conserver le pain, rien de mieux l’hiver que de l’enfermer à l’abri de l’humidité alors que l’été il faut l’enveloppe dans un torchon. Et même si, sous la poussée d’habitudes culinaires importées des Etats-Unis, le pain mou devient à la mode, il faut bien le savoir, conseil de nos artisans : « le vrai pain, le bon pain craque sous la main, sonne creux et n’arbore aucune grosse cloque ». Tout y est donc issu de la mesure et de la régularité comme dans une dentelle d’autrefois.
Jean Dubroca.
–Légendes photos.
1- Le bon pain s’exhibe.
2- Thierry et Didier Clarens avec Nathalie, l’une des vendeuses. (Photos Studio Images)
Après une longue période ou il est tombé dans l’oubli à cause d’une industrialisation forcenée, le vrai bon pain fait son retour grace a des boulangers consciencieux et amoureux de leur métier. L’émission de France 3 du 6 juin: » ils veillent sur nos assiettes » montre que ce retour aux nourritures saines et éthique devient indispensable à une vie équilibrée, tant pour le consommateur que pour le producteur, même si pour ce dernier, la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous. On constate avec bonheur que le mouvement est en train de s’inverser.
Merci Régine. Tu sais que tu peux aussi publier ! Si tu souhaites parler d’un travail en cours ? ou autre. je t’embrasse MCC