CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 42 –
par Jean Dubroca
Rencontres (#29)
DES ARTISANS INSPIRES (III)
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* Suite des portraits d’artisans testerins. Après le boulanger et le charpentier de marine, le pâtissier. Et pas n’importe lequel puisqu’il officie dans une pâtisserie qui existe ici depuis plus d’un siècle. D’où le titre de l’article à lui consacré et paru le 3 avril 1994 :
« Cent ans de gourmandise »
– Lorsqu’Alban Marquet a agrandi son magasin de la place Jean-Hameau, il y a découvert, encore accrochés aux murs en cours de démolition des lambeaux de peinture de cette chaude couleur vert-pistache qui, traditionnellement, indiquait autrefois les boutiques des pâtissiers-chocolatiers. Il a donc repris ce signe des temps sur la devanture de sa nouvelle installation qui s’étend aujourd’hui sur plusieurs bâtiments qui rutilent et qui hébergent des ateliers, nickelés de haut en bas. Un lieu, rappelle Alban Marquet, qui, « de mémoire de Testerins fut toujours voué à la gourmandise, depuis au moins un siècle. » Lui, est installé là depuis 1979, succédant à MM. Sédeilhan et Marchal. Et la nouvelle boutique restera encore longtemps sous l’enseigne des gâteaux et des chocolats puisque le fils de Mme et M. Marquet, dix-sept ans, apprend le métier sous l’œil vigilant des ses parents. Il poursuit ainsi une dynastie familiale puisque son grand-père paternel est lui même de la partie comme le sont ses oncles et un cousin qui a même poussé la réussite jusqu’à fabriquer un chocolat très recherché en Suisse !
Tout cela fait que, dans les subtils et doux parfums qui montent du laboratoire directement ouvert sur le magasin, flottent aussi quelques principes de base du bon artisanat que rappelle Alban Marquet : « La réussite dans ce métier passe par une présence constance sur le lieu de travail et aussi par beaucoup d’efforts parce que rien n’est jamais gagné si l’on se croit le meilleur ». Donc, le patron est sur pieds dès trois heures du matin à treize heures et on le retrouve, en différents lieux de son entreprise, de 16 heures à 20 heures, au milieu des vingt-deux cuisiniers, pâtissiers, confiseurs, chocolatiers et employés de magasin qui travaillent avec lui.
Autre règle pour réussir dans ce métier : toujours innover. D’où la mise au point constante grâce aux remarques de tous ceux qui les élaborent, de nouvelles recettes car les goûts des clients évoluent sans cesse. D’où, par exemple, l’invention il y a peu des fameuses dunettes, une pâte d’amande aux saveurs raffinées. Par exemple encore, l’abandon progressif de gâteaux aux mousses diverses pour se tourner vers des pâtisseries aux fruits frais. Quant à la gélatine dans les plats cuisinés, il faut complètement l’oublier car elle est fort mauvaise réputation. Par contre, « les clients, plus connaisseurs qu’autrefois veulent des goûts mêlés de sucré et de salé ou d’épices diverses subtilement dosées ». Autant de tour de main qu’Alban Marquet a transmis aux quarante-cinq apprentis qu’il a formés tout comme certains secrets de fabrication tel celui qui permet de donner un moelleux unique au « Succès ».
Car la force des artisans pâtissiers-chocolatiers et par conséquent leur avenir, repose, selon Alban Marquet, « sur leur capacité à innover pour créer des saveurs toujours renouvelées liée à la souplesse de leurs moyens de production et à leur rapide réactivité qui leur permet toujours d’avoir un temps d’avance sur les fabrications plus ou moins industriels. » Et puis, il y a aussi toutes les traditions auxquelles l’artisans répond de manière personnalisée : réceptions dans les villas, fêtes de famille et, naturellement, le retour des cloches qui déposent à profusion œufs, clochettes et poussins dans les recoins des jardins et des maisons. D’où la préparation depuis plusieurs jours de ces éphémères sculptures blanches ou brunes que Mme Marquet, consciencieusement enrubanne de jaune et de rouge. « Il faut savoir tout faire dans ce métier », dit-elle tandis que son mari ajoute : « il faut aussi être un gourmand invétéré pour desceller le meilleur d’une préparation. »
La vieille charrette à bras, peinte en jaune vif au nom de la famille Marquet, conservée à l’abri mais visible de partout, pieusement exhibée comme des armoiries à roulettes et qui servait à livrer dans Bordeaux avant la guerre et même après, est là pour rappeler que satisfaire la gourmandise des gourmets reste un labeur passionnant mais difficile.
Jean Dubroca
Légendes photos :
- Dans la vitrine de Marquet.
- Les compagnons en 1994.
- Frédéric Alzan, chocolatier, avec M. et Mme Marquet (Photos : Studio images)