CHRONIQUES RETRO-TESTERINES – 43 –
par Jean Dubroca
Rencontres (#30)
LES JOUEURS DE PETANQUE
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* S’il est une institution testerine, c’est bien la pratique de la pétanque sur la place Gambetta où se retrouvent tous les jours des joueurs passionnés et pittoresques. Et certains tournois prennent des allures de fêtes. Voici à ce sujet l’article paru le 19 août 1991, sous le titre :
La cathédrale de la pétanque testerine
– Dans Arcachon et sur les routes des plages, les voitures s’enfilent comme fourmis en plein labeur. Mais pour qui s’en détourne un peu, on entre à La Teste dans un autre monde fait de rues qui tournent sans logique, bordées de maisons basses et de jardinets fleuris. Et, forcément, on parvient au cœur de la ville, la place Gambetta bordée de ses hauts platanes qui sont comme les fûts de colonnes végétales qui ombragent la vaste nef qu’est la place Gambetta où officient les pétanqueurs. Tous les jours, ils s’y retrouvent mais, ce dimanche, y est organisé un grand concours régional, au cœur d’une grande fête. Ici, il faut tirer au but pour emporter, en soixante points, une bonne bouteille ; là, en totalisant vingt-cinq points gagnés en glissant une boule dans une planche à plusieurs trous, le billard japonais des boulistes, on part avec une autre bonne bouteille. Mais la boule damnée roule toujours à côté du bon numéro. A côté, il faut estimer au centimètre près la hauteur d’un jambon suspendu dans un platane. Ce qui semblerait un jeu d’enfant pour tous ces joueurs habitués à estimer des distances en plissant les yeux et en levant le menton. Les distances, oui mais les altitudes, c’est tout de même autre chose !
Quant aux compétiteurs, ils frappent les boules les unes contre les autres, peut être pour conjurer le mauvais sort, plus sûrement pour les débarrasser du moindre caillou qui troublerait leur marche. Quelques dames, comme résignées, installées à l’ombre, continuent une conversation commencée l’autre dimanche à Cestas ou à Parempuyre. Pourtant, sur le terrain, des doublettes féminines tiennent tête à ces messieurs. Plus élégantes en tous cas que la foule des hommes qui arborent tous les allures les plus étonnantes, depuis la stricte tenue blanche de pied en cap jusqu’aux tee-shirts multicolores parés de fleurs tropicales, de pinasses mauves, de slogans anglais ou de drapeaux américains. Quant aux shorts, ils sont de tous volumes, larges, étroits, tombant sous le ventre ou cousus de poches débordant de l’indispensable « gueille » qui permet de bichonner la boule.
Miracle de cette assemblée : elle est de tous les générations, de toutes les couches sociales et les arbitres officiels, commis par la Ligue de Gascogne, écusson sur le cœur, ne sont là que pour la forme. Car on ne dispute pas. On parle peu, on commente les résultats à voix discrète, on lance des plans d’offensive à coups d’œil discrets et les litiges autour d’un point précieux se règlent immédiatement et au millimètre près lorsque le mètre à ruban a fait office de juge de paix indiscutable.
-« Mais, on ne va se le faire, ce point ? »
Hélas ! Celui qui parle ainsi, comme lançant une exhortation au dieu des boulistes, a pourtant bien poussé du pied le petit caillou qui détournerait la boule de son chemin victorieux, mais il a dû en laisser un autre puisque cette terrible boule s’éloigne inexorablement du point victorieux.
Seul endroit au silence parfaitement religieux : autour du terrain où s’affrontent les grands champions du moment. A peine si on ose glisser, en un souffle :
-« Lui, il a fait deuxième à la Marseillaise ! », le concours ultime organisé par un grand quotidien du Midi.
Alors, on admire le virtuose qui, l’œil plissé, le bras libre se balançant lentement tandis que l’autre va, d’un jet rapide, expulser la boule adverse, comme s’il la brisait puis il va poser son rond d’acier tournoyant juste à côté du cochonnet, comme s’il avait, dans son regard acéré, le pouvoir de la guider.
C’est ainsi : l’essentiel de cette fête réside dans toute cette joie simple, intensément vécue par des hommes et des femmes qui savourent la vie en la parsemant de boules brillantes sur le chemin de quelques instants de bonheur.
Jean Dubroca.
Légendes photos :
- Concours de pétanque. (DR)
- Pétanque sur la place Gambetta. (Studio Images)