CRONIQUES RETRO-TESTERINES – 48 –
par Jean Dubroca
Anniversaires (#1)
Cent cinquante ans de train
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* Après les rencontres avec les une et les autres, les célébrations d’anniversaires les plus variés constituent une source importante d’informations sur l’histoire locale. Voici une série d’articles consacrés à quelques unes de ces manifestations choisies selon l’importance qu’elles prennent dans la vie de la cité.
S’il y a un événement qui a marqué l’histoire testerine, c’est bien sa liaison ferroviaire avec Bordeaux, d’autant plus que la voie ferrée qui relie les deux villes est une des premières construites en France. Et c’est le 6 juillet 1841 que cette liaison est inaugurée. Cent cinquante ans après, jour pour jour, la Commune célèbre ce qui avait été considéré à l’époque comme une véritable aventure. Et voici des extraits d’articles publiés début juillet 1991.
– C’est le 6 juillet 1841, vers les une heure de l’après-midi, tiré à la vitesse moyenne de quarante kilomètres par heure par la locomotive à vapeur « L’Océane », qu’entre en gare de La Teste, le premier train de l’Histoire reliant cette ville à Bordeaux. Il est parti à 11 h.15 de la gare de Ségur, située à l’emplacement de l’actuelle caserne Boudet, rue de Pessac. Les quatre lieues du premier chemin de fer français reliant Saint-Etienne à Andrézieux sont nées le 1er octobre1828 et c’est le 26 aout 1837 qu’un tout premier train pour voyageurs circule de Paris à Saint-Germain, effrayant et enthousiasmant tout à la fois les populations ébahies.
C’est dire, qu’en 1841, le Bordeaux-La Teste, avec ses 52, 300 kilomètres, ses vingt-et-une stations et son viaduc de quatre-vingt-onze arches et de 930 m. de long, construit en pierres de taille, se trouve à la pointe de la modernité. Le premier voyage du 6 juillet est donc un événement considérable, non seulement pour le sud du Bassin mais pour Bordeaux aussi. Mgr Donnet, cardinal-archevêque de Bordeaux, bénit l’équipage avant son départ et toute une foule de notables se rue dans les voitures de 1ère classe de vingt-quatre places assises chacune. Puis tout le monde débarque à La Teste, époustouflé, ivre du vertige de la vitesse et très fier d’avoir survécu et triomphé dans une aventure périlleuse.
La nouvelle gare, haute bâtisse de deux étages à deux corps située au sud ouest de la station actuelle, impressionne beaucoup dans une ville aux constructions bien moins élevées. Tout le monde s’y bouscule tout autour dans un extraordinaire tourbillon de musique militaire, de foule endimanchée et d’enfants extasiés, conscients de vivre une ère nouvelle. Le préfet de la Gironde, en grande tenue dorée, inspiré par ce moment grandiose, prophétise avec lyrisme et de manière prémonitoire une époque « où les rives du Bassin se couvriront d’habitations et où ses eaux seront sillonnées par les bateaux à vapeur. »
Le cardinal Donnet est si marqué par cette grandiose fête que, trente-cinq ans après, il écrit à son propos : « Je vois encore les hommes aux grandes échasses, les cavaliers venus des rivages de l’océan, les femmes aux costumes antiques et les enfants poussant un ravissant hosanna. Je vois encore les autorités civiles et militaires, des députés, les chefs des principales maisons de commerce et toutes les notabilités du pays se pressant à cette fête du commerce et de l’industrie. »
Il faut dire que, dès 1832, le maire de La Teste, Jean Fleury a souligné auprès de son Conseil l’intérêt de créer une voie ferrée qui place sa ville sur une liaison entre Bordeaux et la vallée de l’Adour. Cette idée visionnaire lancée, il se trouve un groupe de financiers bordelais et parisiens pour la saisir au vol car, quel que soit son avenir, elle est largement spéculative, à la fois pour ses promoteurs et pour les propriétaires des terrains incultes que la voie va utiliser. Les notables testerins pensent que leur port peut, ainsi desservi, compléter celui de Bordeaux. Les matériaux et les denrées transportés jusqu’à La Hume par le canal des Landes doivent procurer un fret important. Enfin, l’ouverture d’une ligne reliant Eyrac à Bilbao par bateaux à vapeur ainsi que les bains de mer naissants ne peuvent qu’amener des voyageurs.
D’ailleurs, 14 mai 1841, le nouveau maire, M. Soulié s’avise in extremis que l’arrivée prochaine du train en sa ville oblige son Conseil municipal à prendre des décisions d’urgence. Sur le compte-rendu de la réunion de ce jour-là on lit : « Le maire, préoccupé par l’idée de tirer parti des baigneurs qui vont affluer, propose de les arrêter et de les fixer à La Teste grâce à un petit canal qui partirait des digues de la compagnie de chemin de fer et passerait par celui creusé par les frères Testut. De cette manière, on aurait assez d’eau pour faire flotter à mi-marée des tilloles et se rendre en dix minutes à la pointe de l‘Eguillon (sic) où il existe une belle plage où l’on pourrait se baigner des deux côtés de la pointe. On ferait une quête dans la population pour financer le projet. La compagnie du chemin de fer et celle d’Arcachon ont déjà versé cinq cents francs chacune. » Le Conseil recommande de se hâter et dit au maire « sa sollicitude fraternelle ». Six jours plus tard, le Conseil, « considérant que le pays va prendre un grand accroissement, décide d’organiser un grand marché de comestibles ».
Cet optimisme, lié au mythe de la machine à vapeur toute puissante et même invincible est très tempéré par Stendal, qui, plus clairvoyant que les financiers et les élus écrit : « Quand on aura fait le chemin de fer de La Teste à Bordeaux, on sera bien embarrassé d’y faire passer quelque chose. » Une vision exacte de l’avenir. La ligne fait faillite. Elle ne devient rentable que lorsqu’elle est prolongée jusqu’à Arcachon en 1857 par les frères Pereire. Paradoxe : cette voie ferrée qui avait tant enthousiasmé les Testerins participe alors au déclin de la ville puisque l’essentiel de l’activité ferroviaire se fera au profit de la toute nouvelle cité balnéaire.
Jean Dubroca.
– Légendes photos :
1- Bénédiction d’un train.
2- La gare de Ségur à Bordeaux.
3- La première gare de La Teste, fermée en 1865 et démolie en 1986.