TALENTS DU BASSIN #7
Jean Dubroca
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Le delta de l’Eyre : une zone à défendre
– PATRIMOINE NATUREL : La « Coordination environnement Bassin Arcachon » (CEBA) défend le delta de l’Eyre.
– La CEBA coordonne vingt-neuf associations environnementales du Bassin d’Arcachon et du Val de l’Eyre. En particulier, elle défend le delta de la Leyre, une vaste zone géographique incluant, non seulement le débouché de la rivière au Teich, mais aussi tous les rivages, îles et îlots compris, bordant les communes de Biganos et d’Audenge.
Ces espaces naturels, interdépendants, riches de biodiversité et fragiles, nécessitent une protection efficace car chaque atteinte à leur espace qui le réduit ou l’artificialise constitue une menace pour la biodiversité, pour l’économie locale et aussi pour ce sanctuaire aquatique et végétal qui contient une large part de notre histoire locale.
Trois raisons qui incitent à participer à la visite guidée (et gratuite) à la découverte du delta de la Leyre organisée par la CEBA, le jeudi 2 février.* Il s’agit de parcourir pendant trois heures le chemin de randonnée qui serpente entre les prairies inondables, les espaces boisés et les rivières. Une promenade qui mettra en valeur ce delta si important dans l’écologie du Bassin mais aussi dans son histoire.
Les plus lointaines traces connues d’occupation humaine de ce delta remontent à l’âge du fer, soit de -720 à – 450 avant notre ère. La première ville du Bassin, Boïos, fut édifiée près de ce delta dès l’époque gallo-romaine, vers 56 avant J.C, par les héritiers d’un peuple d’immigrants venus de l’est, les Boïates. Depuis longtemps déjà, ils pêchaient, chassaient, cultivaient le sol et pratiquaient l’élevage et la navigation. Des ressources naturelles les aidaient considérablement dans leur vie quotidienne et notamment le bois du pin. Il leur a permis, au fil des progrès et des découvertes, les constructions de maisons, de bateaux et la fabrication du charbon de bois, lequel, grâce à l’alios, favorisera la sidérurgie tandis que la résine sera utilisée pour l’éclairage des huttes et l’étanchéité des bateaux. Petit à petit, ils ont asséché une partie des marécages, canalisé des bras de la rivière, creusé un port, l’Eyga, encore visible. Toutes structures qui favorisaient le commerce avec les peuplades du nord avec lesquelles ils échangeaient leur miel, leur résine, leur bois et leur fer contre des pierres et des céréales. Tant et si bien que Boïos, fortifiée, restera florissante durant l’ère gallo-romaine. Mais l’affaiblissement de l’empire romain favorise des vagues d’invasions qui affaiblissent le site si bien que, du bas Moyen-Age aux temps modernes, les lointaines traces de civilisation disparaissent, englouties sous la vase des marécages.
Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que, sous l’influence du puissant mouvement initié par les physiocrates, les terres inondables des paroisses d’Audenge et de Biganos soient endiguées et aménagées en marais salants entre 1768 et 1773. Mais l’importance du capital engagé (environ un million d’euros) et la forte concurrence des salines charentaises qui fait baisser le prix du sel, mettent fin à l’opération conduite par le marquis de Civrac.
On eut alors l’idée de convertir ces marais salants en réservoirs à poissons à partir de 1840 et, pour certains, encore utilisés de nos jours. Entre les réservoirs, sur les « bosses » de sédiments fertiles, formées par les dépôts de terre venus du creusement des marais, on plante des prairies d’élevage et des champs de céréales. Toutes initiatives qui rendent l’aquaculture florissante durant tout le XIXème siècle. Mais au siècle suivant, cette aquaculture décline car elle utilise des méthodes artisanales trop onéreuses. Les manipulations répétées des écluses ou l’entretien continuel des digues coûtent cher. En 1979 seuls 498 hectares de bassins demeurent exploités sur les 1300 exploités en 1905.
Cependant, dans les années 1970, la Société civile du domaine de l’Escalopier, au sud-est d’Audenge, tente un élevage intensif de truites, de bars et même de soles. Mais les trop grandes variations des températures de l’eau ou les difficultés techniques pour remplir les bassins font échouer l’entreprise. Comme autrefois, l’élevage du bétail sur les « bosses » est plus réussie mais, hormis à Certes où l’on compte 150 vaches, l’activité reste marginale. Tout comme celle lancée sur le domaine de Graveyron où sont tentées la location de terrains pour la chasse ou l’organisation de promenades équestres, dans une ambiance un peu camarguaise. Malgré cela, pourtant à certaines époques, florissante l’économie du delta de la Leyre périclite et le site peut devenir la proie de promoteurs tentés par l’exploitation de la beauté sauvage des lieux.
Toutefois, il sera sauvegardé grâce à la décision du Bureau international de la recherche sur la sauvagine qui classe cet espace comme zone humide de première importance internationale. Le delta va entrer alors dans la quatrième phase de sa longue histoire lorsqu’il est, de ce fait, inclus dans le périmètre du Parc régional des landes de Gascogne en 1970. Il s’agit alors d’y préserver la nature, d’y mettre le patrimoine naturel et culturel en valeur en informant les visiteurs attirés vers un tourisme qui s’éloigne de son aspect artificiel le plus courant. C’est ainsi que le Parc ornithologique du Teich voit le jour, suivi bientôt par le Centre permanent d’initiation à l’environnement. Enfin, la MIACA (Mission d’aménagement de la côte aquitaine) intègrera le delta dans un ensemble organisé et régi par les habitants eux-mêmes afin de coordonner les différentes activités ouvertes par le Parc. Une nouvelle aventure historique économique commence.
Ainsi, les paysages du Delta sont, autant que la nature, l’œuvre courageuse des hommes durant diverses périodes historiques qui reflètent les grandes options de l’économie dominante. Ce rôle historique est, aussi, à protéger et à valoriser. Ce que réussissent fort bien les pouvoirs publics, la SEPANSO et la CEBA.
J.D.
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(*) Découverte pédestre guidée et gratuite du delta de la Leyre dans le cadre des Journées mondiales des zones humides, le jeudi 2 février, de 14 h. 30 à 17 h. au départ du Teich, rue du Pont-Neuf. Renseignements à CEBA, Maison du Port, ANDERNOS-LES-BAINS. Tel : 06 07 46 O3 48. (lacebas33@outlook.fr)