TALENTS DU BASSIN (#9)
par Jean Dubroca
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Littérature : De shaman en guérisseur, de sortilège en spiritualité, avec Alain Doré.
Edmond Doré, 59 ans, est particulièrement testerin. Il a fait des études au collège Henri-Dheurle et au lycée Grand-Air et il est le petit-fils d’Edmond Doré, ce résistant de La Teste qui, membre du Parti communiste français et de la CGT, fut fusillé à Souge, à l’âge de trente-deux ans, par les occupants nazis, en octobre 1942, accusé de sabotage de moteurs d’avions dans l’usine bordelaise où il travaillait et où il commandait un groupe de résistants saboteurs.
Depuis longtemps, Alain Doré s’est intéressé à la mythologie, aux sciences occultes, à la psychanalyse, au symbolisme, à l’étude comparée des religions. Ainsi qu’au mode de pensée de l’Orient à la suite, précise-t-il, de l’adoption d’un fils vietnamien. « Tout cela m’a permis d’approcher la connaissance de l’âme et le sens de la vie humaine », dit-il. Ajoutons-y une passion pour l’animal le plus énigmatique de la création : le chat. Tout ce qui fait de lui, ajoute-t-il, « un libre-penseur, athée mystique à tendance bouddhiste ». Il pense donc, ainsi, avoir atteint, « au bout de quarante années de travail sur moi-même », une sagesse et un certain savoir qu’il éprouve le besoin et la nécessité de transmettre. « L’écriture me semble le meilleur moyen d’effectuer cette transmission et être publié constitue aussi une belle victoire pour un autodidacte comme moi », confie-t-il.
Alain Doré a déjà publié des nouvelles et même des poèmes japonais, tels ces « haïku » inscrits dans un dessin ou des « tanka », ces courts textes poétiques à forme fixe. Voici trois ans, il a fait paraître « La première shamane » (Hypallage-éditions numériques). Un roman classé dans la catégorie de « l’heroic fantasy » et qu’en France on traduit par « merveilleux héroïque ». Et cette « première shamane » l’est tout à fait, merveilleuse et héroïque, puisque le récit parle de cet « être éclairé » qui vit dans l’étrange pays toungouse, en pleine Sibérie. Et voilà qu’à travers tout l’Empire, d’étranges pierres noires se sont partout dressées, juste le jour où Mhysha est née. Ces mégalithes sont-ils alors signes de malédiction ? Dès cet instant, le shaman qui veille sur le Clan le croit et il ne cessera plus de surveiller Mhysha et de la soupçonner d’incarner une créature malveillante tandis que l’Empereur, intrigué, décide d’en savoir plus, sur les conseils inquisiteurs du Grand prêtre de l’ordre du Serpent … Il en résulte un livre où le récit d’aventures est dépassé par sa portée philosophique : des réflexions sur la transmission des idées, des interrogations sur la prédestination, sur le rapport à l’autre et à la nature. Portée sociale aussi puisqu’on y trouve un appel à la tolérance.
Des thèmes que l’on retrouve dans le second roman d’Alain Dor qui vient de sortir : « Le sorcier guérisseur de Montecalcino ». C’est l’histoire d’un vieil homme qui débarque dans une île perdue et s’installe dans une maison qui a toujours intrigué les habitants car ils la croient plus ou moins hantée. De plus, comme il n’a jamais été bon d’être un étranger dans des mondes fermés et rabougris, on soupçonne aussitôt le vieil homme de vouloir dissimuler quelque chose de louche dans son passé. D’autant plus qu’il se dit guérisseur et qu’on le retrouve sur les lieux où un notable a été assassiné. D’autant plus aussi que des hommes enveloppés dans de larges capes noires rôdent tout autour du site, Il n’en faut pas davantage pour que la doyenne du village, Marthe, consulte Mireille, la cartomancienne. Laquelle, découvre que, de seize en treize et de dix-huit à vingt-deux à l’envers, on ne peut qu’aboutir à l’image du diable. Le Malin est donc installé sur l’île puisque les tarots l’affirment et c’est l’étranger qui a apporté le mauvais œil et tous les accidents qui pourraient bien survenir : la grippe, le frelon venimeux ou la tuile qui tombe du toit sur un passant innocent. Et cela malgré la fiole d’eau bénite qu’il faut toujours porter au plus près de soi, le cierge brulé à l’église accompagnant la prière anti-démon et les amulettes et sortilèges des plus variés, encore plus sûrs dont il faut se barder le corps et l’âme.
Et Marthe de se répandre le long des ruelles et des chemins de l’île en proclamant que l ‘étranger est un dangereux sorcier… Seul le petit Michel le trouve sympathique. Comment tout cela s‘achèvera-t-il ? La mafia locale aurait-elle commis ce crime ? L’homme n’est-il ici que pour échapper à un destin que les cartes semblent avoir scellé, comme les Dieux fixent celui des humains dans la tragédie grecque ?
Bien des questions, bien des situations, bien des allégories à déchiffrer qui incitent à lire ce livre passionnant.
J.D.
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– « Le sorcier guérisseur de Montecalcino ». Par Alain Doré. 5 Sens ed. (Collection Fiction). 122 p. 13,5 €.