La malédiction du Mauresque

TALENTS DU BASSIN (#15)

par Jean Dubroca

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                   Michel Boyé et le casino mauresque : de malédiction en mystère

 

 

– Michel Boyé vient de publier « Le Casino mauresque, casino maudit ».*Un ouvrage important dans l’historique arcachonnaise, au moins pour quatre raisons. D’abord, car il y apporte une explication originale aux multiples crises politiques qui ont secoué la ville pendant plus de soixante ans. Ensuite parce qu’il y montre la vie artistique autour du casino mauresque. Encore parce qu’il éclaire sur les raisons de la déconfiture de l’établissement. Enfin, parce qu’il amène le lecteur à s’interroger sur les causes de l’incendie qui a brûlé tout l’édifice en 1977. Comme, fidèle à sa bonne réputation, Michel Boyé pourchasse les légendes locales, sur les événements comme sur les hommes et assène avec une tranquille assurance des vérités qui dérangent la quiétude d’une principauté, son livre est donc à lire.

Boyé commence fort en racontant la naissance ténébreuse de ce monument, intimement liée à la création de la ville d’hiver. Il montre d’abord comment le projet des Pereire pour ce tout nouveau quartier d’Arcachon est déjà sur les rails dès avant la création de la commune en 1857. Si bien que, dans sa première séance et sans attendre plus longtemps, le conseil municipal arcachonnais appuie le projet d’une « ville sanitaire » et d’un casino, tandis que les Pereire se taillent la part du lion dans l’étendue de la nouvelle ville. Déjà, donc, en ces premières heures, les dès sont jetés. Comme dans une tragédie grecque mais largement teintée de vaudeville et orchestrée par Offenbach, le casino accroche inexorablement son boulet à la ville. Dès ses premiers pas, la nouvelle cité sombre dans la magouille : mensonges pour débloquer la construction de la voie ferrée et du lotissement, interventions soutenues et répétées au plus haut sommet de l’Empire, contorsions de la loi sur les reboisements pour ouvrir les voies de la ville de santé, complicités locale et départementales de diverses administrations pour parachever les démarches, et voilà que, le 12 février 1862, les travaux, dirigés par Paul Régnauld, peuvent commencer. L’ingénieur de la Compagnie du Midi veut réaliser là le rêve de Cécile Pereire « construire une ville sans hiver où les poitrines viendront refaire leurs poumons ». Un détail qui aura son importance dans l’épilogue de l’affaire. Mais avant tout, dans le lotissement habilement tracé, on commence par construire… un casino vers lequel convergent les principaux axes. Et pourtant, déjà, le président de la Compagnie du Midi doute de la pérennité de l’établissement, conçu avant tout, Boyé le montre bien, comme outil de propagande pour l’entreprise locale des Pereire. Il s’agit d’impressionner Napoléon III et, surtout, avec ce « palais oriental » d’épater le bourgeois, visiteur ou locataire éventuel des chalets de la Compagnie et d’attirer des aristocrates habitués aux fastes et aux dorures, à partir de juillet 1863.

Avec Michel Boyé on visite alors toutes les salles de ce casino-mirage, on entend tous les cris d’admiration que soulève son style arabo-andalou-à l’arcachonnaise et l’extase qu’entraîne « son parc paradisiaque ». Un écrin doré, enluminé et coloré pour des bals, des concerts avec soixante musiciens, des opéras ou des ballets et des attractions les plus variées dans plusieurs lieux dont le pavillon d‘Euterpe pouvant lui, accueillir mille spectateurs ! Et le récit de Boyé a aussi le grand mérite de montrer comment étaient alors conçus les spectacles, d’où venaient les artistes, qui ils étaient, pour le meilleur et pour le pire des talents. A travers leurs noms, leurs spécialités, leurs origines, on ne peut que songer à Colette racontant les tribulations des tournées à travers la France. Il y a là ainsi un historique détaillé, sans doute unique jusqu’à présent, de la vie théâtrale et musicale dans une station balnéaire française dans ces années 1860. Très intéressantes aussi les nombreuses citations d’articles de la presse locale dont des journalistes, se décrétaient arbitres de l’élégance et des arts mais donnaient toujours à propos du déroulement de la « saison » dans l’éloge dithyrambique afin de persuader, les uns qu’ils bénéficient d’une riche vie aristocratique et les autres, qu’ils en faisaient partie.

Donc, fortune des premiers promoteurs faite et épuisés les fastes qu’ils ont déployés au début de l’opération, le casino entre ensuite dans une période de réussites et d’échecs car le public hivernal manque cruellement, d’autant plus qu’il est composé de malades. La Compagnie des chemins de fer du Midi n’a alors de cesse alors de se débarrasser de son casino et, le 20 janvier 1879, elle réussit à le vendre à la municipalité d’Arcachon, via la Société immobilière d’Arcachon. Scandale : le maire qui signe cet acte d’achat, c’est Adalbert Deganne, administrateur de la dite Société ! Les « affaires » continuent donc. Dès lors, avec des hauts et des bas, l’histoire du Casino se poursuit et entraîne vives polémiques et conseils municipaux houleux, à la fois parce qu’il permet aux oppositions de s’affirmer et aussi parce qu’il devient ruineux pour les finances communales, ce que Michel Boyé explique bien en citant des budgets élevés d’entretien ou de réparations provenant des désirs des conseillers, qui, pour rentrer dans leurs frais, imposent des cahiers des charges qui sont spécifiées étranglent le plus souvent les gérants.

Car le coût du Casino, c’est d’abord l’une des causes du déclin de l’établissement et la malédiction qui lui est attribuée, de manière ironique n’est que le résultat d’une conjonction de faits économiques que le livre met bien en valeur. Il y eut d’abord sa conception : il n’était qu’un gros pavillon dans ce parc d’attraction qu’était alors la ville d’hiver. Etait-il prévu pour durer ? Il y eut ensuite la désastreuse politique arcachonnaise plombée par le coût du casino et qui ne pouvait que le passer d’un concessionnaire à l’autre, de professionnels du spectacle et de l’animation à des personnages avides de faire de bonnes affaires en peu de temps, jusqu’à quelques escrocs d’envergure. L’ouvrage montre leur valse, leurs efforts, les espoirs et les désespoirs des municipalités qui se trouvent assez souvent face à des « saisons » au déroulement plus ou moins aléatoire, entraînant des polémiques en cascades, des crises politiques, des élections agitées et des démissions bruyantes dont l’ouvrage rend bien compte

D’autres causes du déclin se découvrent encore. Le Casino Mauresque a souffert de sa situation géographique. Perché en haut d’une dune, il se trouve éloigné des plages juste au moment où les activités balnéaires se développent et attirent des investissements. Tels ceux consentis par la Compagnie du Midi pour ouvrir le Grand Hôtel au bord du Bassin dès 1866, soit seulement trois ans après l’inauguration du Casino. Tout aussitôt, les luxueux salons de l’hôtel et les fêtes, galas et réceptions qui y sont donnés attirent une riche clientèle qui amoindrira celle du casino. Autres concurrences : celle du Théâtre Deganne qui deviendra l’Olympia doté d’un dancing et bientôt d’autres établissements s’ouvriront comme l’Eden-Théâtre. Quant à l ‘ouverture du Casino de la Plage en 1903, depuis longtemps souhaitée par beaucoup, elle porte un coup énorme aux finances du Mauresque. L’existence de deux casinos ne fait alors qu’exacerber les conditions d’attribution des jeux d’argent, déjà aléatoires et qui placent le Casino d’hiver dans une incertitude quasi permanente car l’autorisation de les pratiquer varie selon les circonvolutions politiques de chaque municipalité ou du pouvoir central. Il résulte de tout cela, écrit l’auteur : « une cascade de faillites et de procédures entre 1890 et 1914 » qui, régulièrement, affaiblit le Casino à la veille de la saison d’été ou de ce qu’un préfet appelle « la saison des malades ».

Après 1918 la Casino essaie           de se relancer. Il faut entièrement rénover le parc et le bâtiment. Evidemment, cette opération entraîne de vives critiques d’autant plus vives qu’un escroc devient concessionnaire ! Bref, comme le constate Michel Boyé : « De 1914 à 1945, les malheurs se succèdent ». Cependant, les années d’après guerre sont marquées par la résurrection d’une « Société anonyme du Casino mauresque » qui parvient à rétablir la situation et même à lui donner une certaine prestance, bien que « l’enfer des jeux » qui brûle entre les deux casinos envenime une situation qui, fin 1976, aboutit à l’échec de la Société du Mauresque et la mairie ne lui trouve pas de remplaçant. La voilà avec son casino sur les bras ! C’est ainsi, inexorablement, que l’on va vers le drame, selon un calendrier que Michel Boyé établit clairement.

 

Fin 1974, un entrepreneur arcachonnais, par ailleurs conseiller municipal, a demandé qu’un ensemble « moderne » remplace le Mauresque ce que, début 1975, les Bâtiments de France refusent. Le maire, Lucien de Gracia s’oppose à ce refus, intervenant à plusieurs reprises vers le plus haut niveau de l’Etat, arguant de faits très peu historiques et confondant allégrement Léon Lesca et Cécile Pereire. Le 15 décembre 1976, il y ajoute des frais de remise en état considérables. Mais La Commission des sites maintien sa décision que successivement confirment deux ministres de la Culture. Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1977, le Casino mauresque brûle entièrement. Il ne sera jamais reconstruit. Un dernier état de faits qui rend le livre de Michel Boyé passionnant pour qui s’intéresse à la non moins passionnante histoire d’Arcachon.

 

J.D.

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– « Le Casino mauresque, casino maudit ». Michel Boyé. 256 p. Broché. Illustré. 16 x 24. 15 €. Librairie Générale, Arcachon.