L’huître, solidaire, du Bassin au Japon…

TALENTS DU BASSIN (#19)

par Jean Dubroca

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      Littérature : « Vies à vies » par Corinne Bret. L’huître en trait d’union.

 

 

Voilà un livre,  « Vies à vies »,* particulièrement intéressant, beau et original car, en plus de superbes photos et d’un texte bien documenté, Corinne Bret y associe, à travers leurs habitants, le Bassin d’Arcachon avec la baie de Kessenuma, au Japon. D’où le titre de l’ouvrage.

 

Ce lien, c’est l’huître. L’huître japonaise à laquelle les ostréiculteurs arcachonnais devraient accorder la reconnaissance que le religieux doit à la Providence car la « Gigas » nippone, venue de Mygagi, les a sauvés de la ruine et du désespoir lorsque nos vieilles portugaises ont envoyé leur âme de mollusque fatigué chez Neptune… Et, originalité supplémentaire, l’ouvrage est écrit en japonais mais traduit simultanément en français à condition qu’on le retourne tête-bêche. Le résultat est épatant : cette double écriture, comme un reflet dans un miroir, parvient à parfaitement rapprocher les paysages et les gens de ces deux agglomérations. Les deux « baies » (bien que le Bassin soit une lagune), sont des centres ostréicoles importants. Arcachon produit annuellement 10 000 T. d’huîtres, soit moins du dixième de la production nationale. Mais c’est, selon les années, le plus gros producteur de naissain de l’hexagone. Le groupe urbain de Kessunema (73 936 hab. en 2010), important centre de pêche en mer et d’activités aquacoles, vendait 57 000 T d’huîtres, un peu plus du quart de la récolte annuelle japonaise de l’époque. Voilà, forcément, qui crée des liens, d’autant plus visibles qu’ils sont soulignés de manière vivante par Corinne Bret, une amoureuse du Japon et, notamment, de sa langue « vibratoire, pragmatique, animiste », dit-elle et qu’elle a très vite apprise.

Le tsunami de 2011 .

 

De plus, ajoute-t-elle : « Je me suis sentie bien avec les Japonais parce j ‘avais des affinités naturelles avec eux et parce que leur manière de vivre et de concevoir les choses étaient proches de la mienne ». Elle s’est tellement vite intégrée à la vie de là-bas qu’elle a pu travailler sur le théâtre kabuki, une forme traditionnelle de cet art, vieille de quatre siècles. Puis, elle est devenue correspondante à Tokyo du journal « Libération », ce qui lui a permis de connaître de près beaucoup d’aspects, sociaux et culturels du pays. Et voilà que, le 11 mai 2011, se mettent à trembler toutes les sonneries de tous les téléphones et de toutes les issues de secours du musée qu’elle visite. Le bâtiment, monté sur vérins, vibre comme un bateau pris dans la tempête de ce tremblement de terre de 8,9, le double de ce qui se produit habituellement et qui soulève le tsunami ! Malgré un sentiment d’abandon, elle revient en France comme elle l’avait prévu avant la catastrophe. Elle confie : « J’ai mis six mois à m’en remettre. Physiquement, je souffrais et j’étais en mal de repères. J’ai donc voulu faire quelque chose pour aider la région sinistrée. Pour cela, j’ai organisé un concert et fait venir ici des musiciens japonais. C’est à travers l’un d’eux que je suis revenue à Kessenuma en avril 2014, parce que, bien que dévastée, elle est oubliée de Tokyo ». Sur les lieux, en pleine et longue reconstruction, Corinne Bret, qui vit aujourd’hui entre Bordeaux et Andernos, a tout aussitôt observé que les cultures tout à fait différentes de ceux qui vivent de la mer, ici et là-bas, montrent des qualités humaines tout à fait semblables et se veulent tout aussi décidés à protéger, très concrètement, un riche milieu naturel qui permet le développement de l’ostréiculture et favorise une bonne qualité de la vie.

D’où cette double galerie de portraits puisés à même la vie quotidienne, photographiées au Japon par Masayuki Kato et par Marion Bastien, ici. Et voici donc des rencontres de personnages qui évoquent le tsunami, qui montrent la nécessité de reconstruire des villes différemment ou comment renaît une école élémentaire à Oschima, un village de la baie. D’autres expliquent la culture du Wakamé, une algue calorique et riche en fibres. Comme en écho, Corinne Bret dresse les portraits de personnages du Bassin qui, deux aussi, veulent un nouvel avenir. Catherine Roux, par exemple, ostréicultrice à laquelle son métier « permet de rester libre avec la proximité de l’eau et l’horizon infini ».

 

 

Ou encore Arnaud Nadau, le défenseur des hippocampes, Michel Villetorte, éleveur d’anguilles en liberté dans les prés salés, Benoît Bartherotte en lutte contre vents et marées, ou Aurélie Raymond, protectrice de la forêt. On le comprend bien avec ce magnifique livre de Corinne Bret : de part et d’autre des mers et des océans, des hommes et des femmes, tous semblables dans leur combat, délivrent un message d’espoir pour Shigeru, ce vieil ostréiculteur de Kesennuma qui, devant sa cité engloutie, clamait : « En mer, tout est redevenu normal. Mais combien d’années à remettre en état les exploitations aquacoles de nos enfants ? Que le monde veille sur nous. S’il vous plaît. S’il vous plaît… ».

J.D.

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(*) « Vies à Vies ». De Corinne Bret. Photographies de Masayuki Kato et de Marion Bastien. Bilingue. 21×25. 80 p. Cartonné. 15 €. En librairie.