La musique, une libération !

          TALENTS   DU BASSIN (#22)

Par Jean Dubroca

_________________________

 

 

                     LITTERATURE : La musique, les enfants prodiges et Jacqueline Thibault.

 

 

La Gujanaise Jacqueline Thibault est une surdouée de la musique. Un fait qu’elle a étudié et expliqué dans deux ouvrages et qui éclairent différemment, par le récit et l’étude psychologique, le comportement des enfants surdoués. Surdouée comme elle puisqu’à trois ans elle restitue déjà bien des airs au piano. A quatre ans, ses études du piano à peine commencées, elle improvise des compositions personnelles qui font dresser l’oreille étonnée et admirative de sa famille et des professionnels.

A dix ans, la voilà au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où, en plus du piano, elle étudie toutes les techniques qui font une solide musicienne : solfège, harmonie, contrepoint, fugue, orgue et improvisation. Ses quatorze ans arrivés, elle chante en public des œuvres de sa composition en s’accompagnant à la guitare en même temps qu’elle se produit en récital de piano en France et en Europe. Et, comme son extraordinaire fibre artistique possède encore bien des dons, elle écrit et met en scène des petits spectacles musicaux. A dix-huit ans, ce sont des concerts d’orgue qu’elle donne dans plusieurs églises parisiennes et, notamment, au Sacré Cœur à Montmartre. Puis sa renommée la pousse jusqu’aux USA pour des concerts d’orgue et de piano où elle interprète aussi des œuvres de sa composition. Le tout en assurant une licence de lettres à la Sorbonne.

 

Vers le show-biz

Puis sa carrière, déjà extraordinaire, évolue étonnamment vers une autre forme de musique puisqu’elle fonde le groupe de pop music « Nanajo » avec lequel elle se produit sur scène et enregistre un premier 45 t. chez Vogue. Suivront, en 1974 puis en 1975, deux albums personnels : « Galaxy » et « Evening colors », publiés sous son pseudonyme de Laurence Vanney. A la même époque, elle assure avec son ex-époux, le fonctionnement du mythique studio d’enregistrement du château d’Hérouville, fondé par Michel Magne qui en a fait un véritable Abbey Road français où viennent travailler des célébrités mondiales de 1974 à 1985, tel David Bowie. Jacqueline Thibault les accompagne souvent au clavier, en même temps qu’elle compose pour Piaf, Higelin ou Moustaki tandis qu’elle produit ses deux nouveaux albums, diffusés sous le label international américain « Lion-Production ». Finalement, en tant que compositeur, arrangeur et interprète, elle compte plus de trente albums à son actif. Ce qui lui a valu de subir l’incompréhension de ses pairs classiques auxquels elle rétorque : «  Ce nouvel univers, complètement décalé traduisait avec sincérité ce que je ressentais alors ». Sans doute comme une libération puisqu’elle dit : « Je me suis longtemps sentie comme anormale, dans le mauvais sens du terme, en tous cas comme ma mère me voyait ».

 

 

Aider et découvrir

 

On comprend alors pourquoi, en 1985, elle entreprend des recherches sur la musicothérapie en collaboration avec des médecins et des psychologues, afin de créer des ateliers pour que des enfants s’expriment par la musique. Elle se consacre aussi à la composition et à la diffusion de musique de relaxation dont certains morceaux sont destinés aux enfants, accompagnés de contes musicaux. Ses activités la conduisent alors au Centre Maurice-Ravel à Paris où elle poursuit ses travaux vers les enfants et elle crée l’association Cristal Musique, destinée à promouvoir de jeunes artistes et des compositeurs qu’elle diffuse avec le label Diem qu’elle dirige. En 1992, elle s’installe à Gujan-Mestras où elle se consacre à la musique assistée par ordinateur tout en continuant la composition de chansons, pour Balavoine, notamment. Mais elle n’abandonne pas pour cela son travail vers les enfants puisqu’elle anime des ateliers musicaux pour des enfants placés par la DDASS au Centre Vincent-de-Paul d’Arcachon, en même temps qu’elle prépare une nouvelle forme de thérapie musicale pour les adultes. Et ses activités ne se relâchent pas : concerts, création du festival « Nouvelles musiques et chansons », ateliers de créativité musicale, série de conférences ou création des concerts « Découverte d’artistes ». Encore plus original : en 1999 elle favorise la naissance du collectif d’interprètes « B 612 », du nom de l’astéroïde du Petit Prince, où chacun peut venir jouer la musique de son choix. Suivront, par exemple, le lancement du label de disques « Assyel-Productions » qui a permis déjà de faire connaître huit chanteurs, en dehors des circuits commerciaux habituels. Elle organise des ateliers musicaux dans une crèche ou encore d’autres favorisant l’épanouissement des musiciens, etc. Depuis 2012, elle se spécialise dans des concerts où elle improvise sur des thèmes proposés par les auditeurs et elle développe ses activités vers l’apprentissage musical d’enfants et d’adolescents précoces.

 

Deux ouvrages originaux

 

Un long et talentueux C.V qui prouve que les deux ouvrages qu’elle a consacrés à aux enfants surdoués repose sur une longue expérience riche, variée et étonnamment créatrice. Le premier de ses livres s ‘intitule « L’oreille absolue » (*). Elle y explique le phénomène qui lui a permis de découvrir précocement la musique. Elle raconte : « Déjà toute petite, je n’entendais pas la musique comme tout le monde puisqu’immédiatement je discernais un fa dièse ou un do majeur et, si mon émotion était trop forte, je pouvais me laisser porter sans déchiffrer et je comprendrai plus tard une notion difficile à expliquer : les ondes sonores sont impalpables et ceux qui les captent sont, par la force des choses, dans l’impalpable ». Ce don explique sa carrière. Mais sa volonté d’aller vers les autres et, en particulier, vers les enfants, vient aussi de sa qualité d’aînée d’une famille de six frères et sœurs dont elle se sentait responsable et qu’elle devait occuper. Elle se souvient alors de ses créations de chorale familiale et de mises en scène de spectacles joués par ses frères et ses sœurs. D’où cette empathie qui marque ses actions éducatives et cette faculté, évoquée dans son premier ouvrage, à discerner chez autrui les tourments, à exprimer le besoin de les aider et de les comprendre. D’autant plus, explique-t-elle encore, que son enfance a été marquée par une éducation austère qui l’a poussée à travailler toujours plus. « Je n’allais jamais en récréation, il fallait que toujours j’étudie la musique, comme me l’ordonnait ma mère et je me sentais face à un mur d’incompréhension ». Une situation difficile mais qui a le mérite de la pousser aujourd’hui à accompagner, à travers son livre et ses actions, les enfants précoces car elle sait, comme elle l’explique : « qu’ils montrent une hypersensibilité, une forme de différence qui peut les isoler des autres car ils se sentent différents et c’est pourquoi, lorsque l’on a identifié cette précocité on peut mieux comprendre leurs difficultés avec les autres ». Le partage de son vécu dans « L’Oreille absolue » (*) permet donc d’éveiller les consciences des adultes afin qu’ils discernent les différences qui peuvent maltraiter sournoisement les enfants précoces.

 

Le second ouvrage de Jacqueline Thibault, « Haut potentiel » (**) aborde le même thème. Elle a bien compris que ces enfants doués ont la volonté d’être semblables aux autres et qu’ainsi ils camouflent leurs qualités car ils se sentent anormaux. A travers des exemples concrets qui rendent son livre vivant, l‘auteure montre que ces jeunes se sentent incompris. Une situation qui peut les mettre en difficulté à l’école, non seulement à cause de leur hypersensibilité mais aussi de leur rapidité de compréhension. Ils ont assimilé une explication presqu’avant qu’elle ne vienne. Ils n’ont plus besoin alors d’écouter et le pédagogue, non averti, les classe aussitôt dans la catégorie des distraits, des inattentifs, des absents et même, sans l’exprimer vraiment, des débiles léger. Par crainte d’être enfermés dans de telles catégories, ils ont peur de s’exprimer et camouflent leur véritable personnalité dans un comportement qui peut inquiéter. « Haut potentiel » donne alors des pistes pour amoindrir ces difficultés, sinon les résoudre : « La première chose à faire, c’est de leur expliquer qu’ils ont le droit d’être ce qu’ils sont, qu’ils vibrent sur une fréquence particulière que les autres ne peuvent pas capter alors qu’eux, ils sont en mesure de capter toutes les autres ». Mais, ajoute-t-elle, « je leur dis aussi que cela ne leur donne aucune supériorité mais au contraire la responsabilité de transmettre ». La musique devient alors, conclut Jacqueline Thibault, ce parfait moyen de transmission car elle repose sur le partage, sur le dialogue sonore et sur l’émotion. Elle a étendu ce langage aux adultes et un homme de quarante ans, surdoué rentré, lui a confié : « Si j’avais su cela enfant, ma vie aurait changé ». « Haut potentiel » doit donc aider à mieux révéler, à eux mêmes comme à leur entourage, la richesse que possèdent ces enfants surdoués, à condition qu’ils ne soient pas de « ces Mozart assassinés » dont a parlé Antoine de Saint-Exupéry.

 

J.D.

 

_____________________________________________________________________

(*) « L’Oreille absolue » ». Jacqueline Thibault. Editions l’Harmattan. 188 p.18, 50 €. En librairie.

(**) « Haut potentiel ». Jacqueline Thibault. Editions l’Harmattan. 186 p.18, 5 €. En librairie.