Un dictionnaire, un polar, deux académiciens du Bassin à Pigalle

TALENTS DU   BASSIN (#24)

par Jean Dubroca

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LITTERATURE : Deux académiciens à l’ouvrage

 

 

Deux membres de l’Académie du Bassin viennent de publier deux ouvrages particulièrement intéressants. Jeanne Faivre d’Arcier a sorti « Les Encombrants », un original roman policier et les éditions « Sud-Ouest » lancent une nouvelle édition du fameux « Dictionnaire du Bassin » d’Olivier de Marliave.

 

1- « Les Encombrants » par Jeanne Faivre d’Arcier. Elle a abordé le roman policier en 2001 avec « L’Ange blanc s’habille en noir ». Auparavant, cette diplômée de Sciences Po-Paris, fortement attirée par l’Orient et d’autres cultures que la nôtre qui lui ont inspiré plusieurs ouvrages et, sans doute aussi, son goût pour les univers étranges, surprenants anormaux et même inquiétants. D’où une trilogie de romans centrés sur les vampires qui lui vaut une certaine renommée littéraire puisqu’elle est même comparée à Anne Rice, cette célèbre auteure américaine à laquelle La Nouvelle-Orleans a inspiré, notamment des romans fantastiques qui en font aujourd’hui la plus forte vendeuse de livres dans le monde, le tirage total de ses ouvrages dépassant les cent millions d’exemplaires. Quant à Jeanne Faivre d’Arcier, elle a su mêler les codes de la littérature fantastique à ceux du roman policier noir auquel elle succombe avec « L’Ange s’habille en noir » où l’on retrouve les univers intrigants qu’elle aime décrire puisqu’elle y mêle l’univers clinquant du monde de la pub à celui, très obscur, des sphères sadomasochistes. Puis, les paysages du Bassin, brumeux, aux rivages perdus et verdâtres, bloqués entre des flaques marécageuses et des ciels tourmentés par les vents de l’océan vont l’inspirer dans d’autres polars où elle décrit avec humour des mœurs locales qu’elle a bien observées puisqu’elle réside au Cap-Ferret. Mais elle sait aussi abandonner cet univers glauque puisqu’elle est un auteur reconnu en littérature jeunesse.  Elle a écrit, pour les enfants de neuf à douze ans, cinq bons policiers se déroulant sur le Bassin. Pour les plus âgés, elle a produit en 2016 chez Casterman « Le vampire de Bacalan » où elle relie son univers vampirique préféré aux décors de cette partie nord de Bordeaux qui change de monde et qui passe des usines désaffectés et des entrepôts délabrés à une architecture très contemporaine.

 

L’univers contrasté de Pigalle

Rien, par contre, pour les enfants, dans son dernier roman « Les Encombrants » (*) dont l’intrigue se déroule autour de la place Pigalle, dans le quartier de laquelle elle habite depuis plus de vingt ans, maintenant quelques mois par an, mais qu’elle connaît très bien. Son roman, c’est l’histoire de Cerise, une petite fille abandonnée dans le tiroir d’une commode déposée aux encombrants du secteur et qu’un travesti – qui va se rhabiller, comme chante Dutronc- découvre en allant prendre son café en pantoufles. Aussitôt, tout le monde se précipite pour cajoler le bébé, tous ceux qui composent la population hétéroclite de Pigalle : tonitruantes patronnes de bar, putes en mal de mère, intellos à la recherche de quelque chose de vrai, tout un monde de paumés, d’artistes ou de rêveurs que la douce enfance immerge dans des souvenirs heureux. Et chacun de ces personnages est décrit avec tendresse, humour et réalisme dans un style dense, dynamique et au vocabulaire précis. Evidemment, il y a une intrigue puisqu’un brigadier de police, Muriel Hardy, aussi perdue que son entourage, soupçonne vite quelque trafic d’enfants. Mais elle a beaucoup de mal à progresser dans son enquête car les « Pigaliens » cachent l’enfant afin de conserver ce rayon lumineux vivant qui manque tant dans leurs vies, notamment dans celle du vieux travesti, Antoine, qui décide d’élever Cerise. Mais un inconnu fracasse le crâne du vieil homme. Cerise passe alors de maisons en arrière-boutiques, de coulisses de cabarets en tripots les moins recommandables où chacun la cajole, comme un porte-bonheur. Alors, se demande l’enquêtrice, kidnapping, réseau de pédophiles, ventes d’enfants ? Et ainsi, le récit avance dans un mouvement qui oscille de la comédie au beaucoup plus gris car dans le quartier, même si les lignes des néons criards et bariolés n’imbibent plus un monde aussi sulfureux qu’il y a vingt ou trente ans, sévit toujours la violence. Et cependant, cette brutalité côtoie la justice, la solidarité, la générosité car Cerise apporte l’espérance, même aux plus paumés. Ce n’est pas la moindre leçon de ce roman touchant, plein d’humanité.

2- Le « Dictionnaire du Bassin » par Olivier de Marliave.

 

Que ce soit à travers ses films pour FR3 ou ses nombreux ouvrages, ce journaliste s’est toujours intéressé aux particularités des régions et des hommes qui y vivent. Il a d’abord fouillé le monde pyrénéen, depuis ses traditions, ses fêtes et ses mythologies, du pays basque à l’Ariège, jusqu’aux sanctuaires, aux légendes qui les accompagnent et aux sorciers qui rampent dans leur ombre. Puis il a arpenté les Landes à la passionnante recherche des sources et des saints guérisseurs qui ne manquent guère autour des « pradeys » isolés où l’on vient encore de loin pour soigner les yeux, les douleurs des épaules ou la stérilité. C’est pourquoi il ne pouvait qu’être attiré par les multiples visages du Bassin qu’il a évoqués dans un « Dictionnaire du Bassin » qui constitue l’une des meilleures ventes de l’éditeur « Sud Ouest » puisque, depuis 2002, l’ouvrage en est à la cinquième édition qui vient de paraître. (**) Il est vrai que le livre repose sur une idée simple mais d’autant plus extraordinaire que personne avant lui n’y avait pensé : établir un répertoire alphabétique de tout ce qui fait la richesse du Bassin. Illustré par des photos à la fois belles et explicites, le dictionnaire promène donc le lecteur –car c’est bien d’une promenade au hasard des mots qu’il s’agit- à travers tout ce qui fait la vie de « la petite mer » dans des aspects souvent méconnus.

 

Tout y est

 

Qu’il s’agisse de l’origine géologique du Bassin, des personnalités qui ont marqué sa longue histoire, du travail des hommes, des artistes, des écrivains qui l’ont illustré, de la flore et de la faune si particulières qu’on y trouve, de la richesse du patrimoine, et des lieux les plus insolites. Tout y est, en cinq cent entrées, de ce qui fait l’extraordinaire aventure humaine de ce « Bassin paradis » qui ne l’est que pour ceux qui n’y voient que des vagues, du soleil, des pinasses et de vaporeux nuages atlantiques. Et l’ouvrage est d’autant plus complet, que chaque nouvelle édition s’enrichit de rubriques nouvelles. Forcément, la dernière n’y manque pas puisqu’une vingtaine de mots nouveaux y apparaît. A « D » comme dromadaires il est question de ceux importés d’Egypte pour travailler dans les landes à drainer ou utilisés comme « promène couillons » pour trimbaler dans les dunes les touristes. A « F » de nouvelles photos illustrent les plus récentes découvertes archéologiques faites dans les flancs de la dune du Pilat ou au cœur le plus vieux de La Teste. A « M » est évoqué l’étrange et prétentieux château Mader de Gujan-Mestras qui a connu bien des déboires. A « S » est développée une histoire de la synagogue d’Arcachon récemment rénovée et à la lettre « A », on lira tout ce qu’il faut savoir sur l’Académie du Bassin. Le tout dans un format agrandi et à la couverture souple. Ainsi, voilà le dictionnaire de notre ami Olivier de Marliave relancé pour quinze ans de succès encore…

 

J.D.

 

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(*) « Les Encombrants ». Jeanne Faivre d’Arcier. Milady-Thriller ed. 324 p. 7,20 €.

(**) « Dictionnaire du Bassin ». Olivier de Marliave. 5è ed. « Sud-ouest Editions ».352 p. 28,50 €.