TALENTS DU BASSIN (#25)
par Jean Dubroca
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LITTERATURE : « Vierge » par Amélie Lucas-Géry.
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Amélie Lucas-Géry est née à Arcachon en 1982 où réside sa famille et un passage de son dernier roman, « Vierge », décrit le Bassin. C’est son deuxième ouvrage, tout à fait dans la veine du premier, intitulé « Grotte » (*) paru en 2014 et qui connut un bon succès, sans doute à cause de son étonnante originalité. Qu’on imagine : le narrateur est le gardien d’une grotte préhistorique ornée de précieuses peintures. Il peut l’ouvrir à qui il choisit et le livre, mi-sérieux, mi-ironique, comprend la description saugrenue des personnages qui la visitent. Mais, derrière la loufoquerie apparente du récit, se déclinent des réflexions sur la place de l’homme dans la société, sur ses moeurs, sur sa liberté par rapport à sa grotte qu’il croit être un lieu de vie mais qui devient, au fil du récit, centre d’éternelle jeunesse d’amour mais aussi de mort.
Cette étrangeté, cette quête du symbolisme, ce côté « déjanté » comme on l’a écrit, mais aussi cette imagination incontrôlée servie par un style classique, on les retrouve dans « Vierge » (*), Qu’on en juge. Il était une fois l’étrange histoire d’une jeune femme, embarquée sur un paquebot blanc, « Le Saint-Louis », presqu’un bateau fantôme, inconsistant, qui navigue à l’infini en Méditerranée. Elle y raconte sa légende, « comme elle l’entend », à d’évanescents officiers du navire sur les circonstances de sa naissance tout à fait mystérieuse puisque sa mère, Emmanuelle, est tombée enceinte à l’âge de seize ans sans avoir connu d’hommes. Cette mère, serait-elle la déesse d’une religion à construire ? Pourrait-elle être Marie, elle-même ? Mais qui la croirait puisque la nouvelle de cette grossesse virginale a suscité dans sa ville, Saint-Denis, la cité des rois, une telle incompréhension, un tel émoi, une telle remise en cause de l’ordre des choses que l’on croit naturel et immuable que se développe une longue et puissante hystérie collective provoquée par le bouleversement que serait la naissance d’une sœur de Jésus. Une si terrible tempête sous les crânes que la jeune fille décide de quitter sa ville à la recherche, soit de son père, soit de l’origine du miracle qui a permis sa naissance. A moins qu’il ne s’agisse, se demande-t-elle, d’une anomalie biologique ou d’une parthénogénèse qui bouleverserait l’ordre humain. Comme elle sombre dans ce foudroyant besoin de savoir ce qu’elle est vraiment, elle abandonne son amoureux, Jonathan et s’engage dans une longue pérégrination aventureuse, extravagante et fantastique la conduisant, d’ombres en ombres, dans les confins de contrées devenues étranges jusqu’à Aigues-Mortes, la cité d’où Louis IX s’embarqua pour la huitième croisade et dont il ne revint jamais. Et ce n’est donc pas un hasard si le paquebot où elle parle à ses disciples s’appelle « Saint-Louis » car il doit être la nef du roi qui vogue éternellement dans cet espace où les dates s’entremêlent, où les mythologies se conjuguent, où les croyances s’enchevêtrent, donnant ainsi le vertige au lecteur. L’héroïne passe par Clermont-Ferrand dont la noire cathédrale écrase la ville, comme un énorme démon à deux cornes aigües démolit le réel. Un jour, elle arrive à Arcachon, sa ville natale, dont elle évoque la Bassin au sujet duquel elle dit : « C’est une excentricité géologique. Il est mouvant comme mon écriture, j’avais imaginé les passes en écrivant, je voulais aussi parler de la forêt et des dunes ».
Des événements anormaux
Bien entendu, elle ne pouvait éviter Lourdes où sa mère aurait enfanté. Elle traverse des villes et des villages, où, comme à Saint-Denis, des évènements anormaux se déclenchent sur son passage : des foules s’endorment, des jumeaux deviennent amants, des villageois se livrent à des rituels secrets, un homme est sauvagement mis à mort, les élites voient leur pouvoir intellectuel dilué dans celui de la puissance de l’homme charnel, des trains roulent sans horaires et un père hurle de désespoir perché au sommet d’une grue. Forcément, après ces événements, le lecteur ne sait plus dans quelle époque l’emmène l’auteure, dans quel rêve ancré dans le réel ou dans l’imaginaire elle le réduit mais son but est qu’il la suive, malgré tout l’imbroglio invraisemblable des situations. Il y parviendra s’il comprend qu’il s’agit plus du récit d’une jeune femme qui souhaite se révéler à elle-même plutôt que de découvrir l’origine de sa vie. Rien d’étonnant alors, dans ce labyrinthe anarchique, qu’il se trouve enserré autant dans un roman picaresque que dans récit initiatique ou encore dans une épopée homérique où des monstres côtoient d’énormes voitures, bestiaires d’une mythologie moderne à la fois scabreuse, scatologique même et pourtant mystique. De plus, il navigue sans cesse entre autrefois et aujourd’hui, il erre des réalités scientifique aux images fantastique où des danses tribales deviennent ce carnaval effrayant mais lumineux, éclatant ou très sombre qu’elle découvre à Angers, issus de ces formes que Jean Lurçat tisse dans sa tapisserie de l’Apocalypse et qui serait le point de rencontre entre la mort, la vie, la naissance et la maternité. Si bien que le lecteur, embobiné par ce roman à facettes, ne sait plus très bien s’il virevolte dans un conte, dans une tragédie ou dans une énorme incongruité. Amélie Lucas-Gary serait-elle alors parvenue à son but qu’elle définit ainsi : « Démontrer que la grossesse est un moment ambigu –un corps vivant dans un autre- et qui interroge, en les mêlant, le passé, le présent et l’avenir dans lesquels tout paraît possible comme dans la vie qui s’annonce ». Malgré tout, c’est un message d’espérance qu’elle délivre puisque tout s’achèvera en calme et en volupté. « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »…
J.D.
N.B : Amélie Lucas-Gary sera à la Plage aux écrivains, les 13 et 14 mai prochains.
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(*) « Vierge ». Amélie Lucas-Géry. Editions du Seuil (Collection Fiction & Compagnie). 178 p. 14×20. 17 €.