TALENTS DU BASSIN (#27)
par Jean Dubroca
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NDLR/MCC : Difficile d’être juge et partie, à la limite du désormais célèbre « conflit d’intérêt » ! Nous avons laissé apprécier Jean Dubroca, le professeur exigent, dont le talent égale largement celui – dit-il- des auteurs… Merci Jean.
– Littérature : « Lexique amoureux du Bassin d’Arcachon ».
Denis Blanchard-Dignac, Marie-Christiane Courtioux, Charles Daney.
Photographies de Jean-Christophe Lauchats et collections particulières, dont Régine Rosenthal
– Trois des membres de l’Académie du Bassin ont mis trois mains à la pâte et beaucoup de cœur pour produire un intéressant « Lexique amoureux du Bassin d’Arcachon » (*) Etant donné l’ampleur et la variété du sujet, il fallait bien trois regards, trois sensibilités et trois talents pour l’exprimer.
Bien qu’amour et prudence soient tout à fait antinomiques, les auteurs ouvrent leur « A » sur un avertissement précautionneux destiné aux éventuels lecteurs pointilleux : « Quand on aime (…) on cultive la légende. (…) Plus amoureux qu’historiens, nous ne prétendons qu’à donner envie (…) de céder au charme du pays le plus troublant, fort et fragile à la fois, doux et irritant, don du ciel ou tentation de l’enfer ». Et même s’il n’est point de véritable amour sans passion, pas question, toutefois, de se laisser aveugler par trop d’ardeur car écrivent ses auteurs, « il ne voile pas quelques déceptions ou regrets face à des situations insatisfaisantes ».
« Ce n’est pas un guide, c’est une invitation …», précisent-ils encore. Certes, il ne contient aucun renseignement pratique. Toutefois, appuyé par des sous-titres savoureux issus du meilleur journalisme, il décrit les lieux les plus touristiques ou les plus emblématiques du Bassin : la dune du Pilat « un bijou de sable » le banc d’Arguin, les cabanes tchanquées, le Cap-Ferret, l’île aux Oiseaux ou la conche du Mimbeau, par exemple. Rareté de conception : ils sont parfois groupés en d’amples ensembles comme « Les jetées », « Les ports » et « Les golfs » du Bassin, ou les divers quartiers de La Teste, de Lège ou de Lanton.
Mais, et ce n’est pas là le moindre intérêt de ce «Lexique », on y trouve des évocations de sites bien moins connus, sinon secrets qui constituent le charme discret du Bassin. On pourrait citer, au hasard de l’alphabet, des bâtiments qui échappent à une visite touristique rapide et qu’il faut pourtant détailler tels l’hôtel de Baleste, le château de Ruat « celui d’un captal » ou les villas « Les Hirondelles » et « Thétys », véritable « Grèce rêvée » ou comme la chapelle des Marins, trop dans l’ombre et pourtant, depuis des siècles, l’âme du Bassin, depuis que Thomas Illyricus s’avéra en être le premier promoteur.
Mêmes surprises lorsqu’il est question d’hommes qui ont façonné, parfois mutilé mais le plus souvent humanisé le Bassin. Alors, bien sûr, on trouve des célébrités, celles opportunément associées : Brémontier qui a seul recueilli le mérite d’avoir sauvé La Teste, ses vignes et ses près des montagnes qui la menaçaient et Chambrelent qui assécha la lande. Et de plus célébrissimes encore, comme la brillante lignée des Captaux de Buch « au service du prince noir », Napoléon III, prince de la finance et de l’industrie, certes mais qui souleva « le rêve d’Arcachon », concrétisé par les frères Pereire, Deganne ou Lamarque de Plaisance qui furent les thuriféraires du monarque. Mais à côté d’eux, nos auteurs n’ont pas oublié les petites mains qui ont œuvré au ras du sol ou de l’eau : Coste, « le premier qui vit pousser une huître » Couach et son siècle d’inventions, Gaume, qui ouvrit « la saga d’un bâtisseur », ou Lesca qui fit d’une presqu’île un jardin. C’est donc très bien que le livre fasse un large part aux « ouvriers » du Bassin, ceux qui y forent des puits de pétrole, ceux qui y bâtissent, ceux qui cultivent les huîtres, ceux qui s’échinent sur des chalutiers, ceux qui les construisent et ceux qui font voler les avions. Enfin, voici des personnes que l’histoire du lieu oublie trop souvent, « Les Dames du Bassin » : Sarah Bernhardt et Sophie Wallenstein.
Au fil des sujets, s’il fallait leur trouver un lien, ce serait bien la présence de la nature dont peut-on lire : « elle a toujours ici le dernier mot », peut être parce que, plus qu’ailleurs, le Bassin étant, selon Jules Michelet, « l’antichambre de l’océan », elle a la particularité de s’ouvrir aux vastes horizons : la forêt, les incessantes marée, les vents subtils qui ne peuvent que s’essouffler ici et les migrateurs qui, par milliers, animent de leurs silhouettes les brumes de l’automne et rythment le temps qui passe.
Attention : nos trois académiciens l’ont bien souligné : ils ne se veulent pas des historiens. Pourtant l’Histoire tient une bonne place dans leur lexique amoureux. Les récits sur le canon du Moulleau, sur le Mur de l’Atlantique, sur le phare du cap Ferret, sur le château de Certes, cœur d’un village disparu et pourtant « chargé d’histoire », sur le médecin Jean Hameau, sur le poète Jean Cocteau ou sur la vie politique de Pierre Dignac, soulignée par sa biographie officielle pour la première fois publiée ainsi que par la reconnaissance de « sa faiblesse » sous Pétain. Un dernier détail qui fera taire bien des polémiques ! Autant de précieux témoignages, appuyées par de bons documents que sont les illustrations de l’ouvrage. Certes, les photos sont belles mais elles ont la sagesse de ne pas sacrifier à l’esthétisme afin de rester avant tout informatives et elles donnent ainsi une véritable solidité aux divers propos tenus, tout comme y participe le vrai souci déployé au fil des pages de citer les sources de ces propos.
Mais tout cela serait incomplet si l’on ne trouvait pas dans ce livre l’essentiel de ce qui fait le charme du Bassin : son impalpable air « balsamique et marin », cette âme faite d’imperceptibles « vibrations », ce « scintillement magique de la Côte d’Argent », ces lueurs toujours changeantes découvertes sur ces « chemins singuliers » qui serpentent presque secrètement à travers la lagune…
Et puis, un autre charme du livre, vient de ce qu’il exprime la sensibilité particulière à chaque auteur. L’un parsème ses textes d’un humour goguenard ou ironique qui n’épargne pas les vanités, genre « première lignes » ou s’amuse des légendes locales ramenées à des proportions plus réalistes ; l’autre cède à la nostalgie de l’enfance et des souvenirs brûlés du casino mauresque ou bien encore succombe aux saveurs des cuisines locales tandis que le troisième se fait historien, architecte et poète. Finalement, grâce à leur variété, la volonté des auteurs est atteinte : « offrir au visiteur de passage une vision globale du Bassin au travers d’histoires racontées avec style et affection ». Mais ceux qui ont déjà eu le bonheur de lire « Le lexique amoureux » savent aussi que les autochtones y prendront intérêt et plaisir. La preuve, c’est que déjà certains ont dit leur plaisir d’avoir découvert « ces coups de cœur pour le Bassin qui sont des coups d’éclat, éclats d’eau de sable et de lumière, éclats d’histoire, de villes et de villas ». ( Photo Régine Rosenthal)
Voilà donc un livre précieux pour tous ceux qui aiment le Bassin car, s’il déploie la richesse de ses paysages, de sa lumière de ses villes, de ses villages et de ses villas, il dit aussi combien on y travaille dur, comment on s’y dispute, comment on y vit des plaisirs simples, sensuels, sportifs et gourmands. Un livre qui démontre aussi comment, malgré les fortes foules heureuses qui y affluent pour trouver quelques lueurs d’un bonheur auquel tout le monde a droit, malgré les tentatives d’y fondre du béton, des routes et des immeubles, le Bassin réussit à sauvegarder son originalité, son pittoresque et son étrangeté.
J.D.
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(*) « Lexique amoureux du Bassin d’Arcachon ». Denis Blanchard-Dignac, Marie-Christiane Courtioux. Photographies de Jean-Christophe Lauchas et collections privées par M.C. Coutioux. Editions Cairn. 327 p. 24 €.
Chers amis,J’ai beaucoup apprecie ce « periple »amoureux.Nous sommes tous amoureux du Bassin et de la petite mer de Buch.AmitiesJean Mazodier
Envoyé de mon Galaxy S6 Orange