Polars en vrac…une moisson d’énigmes pour l’été !

TALENTS   DU BASSIN (#28)

par Jean Dubroca      

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LITTERATURE : Polars en vrac (I) : David Patsouris, Patrice Vergès, Fabrice Duffour,

 

– Le Pays de Buch et le Bassin inspirent beaucoup d’auteurs de romans policiers. Soit parce qu’ils y résident et donc qu’ils connaissent bien son atmosphère ouatée l’hiver et tourneboulée l’été, soit parce que son cadre aux formes, aux couleurs et aux contrastes rares leur semble le meilleur lieu pour y installer des intrigues originales.

Soit, peut être aussi parce que les éditeurs savent bien que le vaste public qui vient là en vacances forme une clientèle avide de découvrir des énigmes dans un milieu local dont ils découvrent des aspects inattendus en se prélassant sous le soleil aquitain. Allez donc savoir ! Toujours est-il que la moisson de polars « maisons » est fructueuse en ces prémices de l’été. Petit inventaire.

 

1-« Ainsi débute la chasse » par David Patsouris. Journaliste à l’agence de « Sud-Ouest » d’Arcachon depuis plusieurs années, il vient de publier « Ainsi débute la chasse » (*) qui, comme son précédent ouvrage, « Cognac blues », situe son intrigue dans le pays charentais dont l’auteur est originaire. C’est à Royan maintenant que tout se passe. Mais un Royan hivernal où, sous le regard sarcastique de l’auteur, les pensionnés déambulent et où il voit « une ville de retraités, bouffée par la promotion immobilière et par l’allongement de la durée de la vie ». Le ton moqueur qui court à travers les chapitres du livre est inspiré par ce décor qui ressemblerait bien à celui de la rivale arcachonnaise si Patsouris ne se sentait tenu par un certain droit de réserve professionnel. De toutes façons, quand un roman policier s’occupe de milieu social, c’est qu’il montre déjà un gage de qualité. Le héros de cette chasse, c’est Charly, un truand méchant qui se définit comme un tueur mais qui se déteste car il en assez de vivre du côté du mal. Toujours trop prés des morts qu’il a traités, comme on traite une affaire pour un paquet de billets, mais depuis, hantés par l’ombre de ce vigneron de Cognac qu’il a autrefois écrasé à coups de batte de baseball, un type qui incarne tant ses remords que Charly en dort très mal. Si mal, qu’il a pensé oublier tout ça en s’exilant en Martinique. Mais qu’y faire ? On n’échappe à son sort.

 

Malgré le soleil et les palmiers, le fantôme du vigneron Bellion continue tant de le harceler, et même depuis des années qu’il ne peut que revenir dans la Charente de ses méfaits qui l’endolorissent. Et comme son malheur le poursuit, il y rencontre alors Véroncle, dont, lit-on, « le véritable job c’est l’extorsion, la corruption, la pression », une brute polie, intelligente mais qui pousse le vice jusqu’à croire que Charly lui a piqué 50 000 € dans une de ces affaires putrides où il y a toujours des types à corrompre, du pognon à choper pour se goinfrer au passage, des enveloppes de billets qui feront roupiller ceux qui ne voulaient pas construire des immeubles avec vue sur mer. Et pourtant Véroncle lui confie un nouveau contrat mais c’est pour mieux l’étouffer, le pendre, le sulfater, l’écarteler parce qu’il croit savoir que Charly saurait des secrets où l’autre n’aurait pas le droit d’entrer. Voyez comment se noue le drame en perspective. Car, comme les deux truands n’ont chacun aucune limite, comme Charly au cœur trop tendre dans un monde corrompu n’est pas du tout du genre à se laisser faire car il se hait autant qu’il hait l’autre, on voit qu’on est en plein dans un polar noir mais pas courant, où l’on parcourt six jours en moins de deux, en plein suspense de vie, de sexe et de mort où ça cogne et où ça brûle. Et si on y ajoute que le récit est écrit dans un style au rythme fascinant, le roman de Patsouris apporte un vrai plaisir.

– « Les disparues de la Garonne » par Patrice Vergés. (**)

– Journaliste spécialisé dans l’automobile, il réside désormais à Gujan-Mestras qu’il n’a jamais vraiment quitté au fil de quarante ans d’essais de plus de 1500 voitures, sur toutes les routes d’Europe. S’il vous décortique facilement un système de freinage pas tout à fait au point, il est aussi historien de la voiture ce qui se traduit pas de beaux livres comme « Michelin à la conquête de l’automobile » ou comme « Ces belles sportives dont mon père a rêvé »@ mais aussi « Opel, 50 ans de voitures sportives ». Mais son autre plaisir c’est le polar dont il connaît les règles aussi bien que celles du montage d’un cardan et où il n’hésite jamais à injecter une bonne dose de bagnoles mais à touches discrètes pour créer l’ambiance du moment. Si bien qu’il en est aujourd’hui à son cinquième livre du genre dont le premier « Fleur bleue » se déroulait dans le milieu de la course automobile. Les trois suivants constituent une véritable saga qui se passe autour des années 60 que notre auteur aime bien, peut-être parce qu’elles furent une grande période de la voiture, celles de la DS-Citroën, de la Facel Vega et des virées sur la N7. Vont alors se succéder », « Tempête sur le Bassin », « On a marché sur Arcachon » et « Sale temps sur Arcachon » (voir Bassin Paradis du 1èr septembre 2016) tous ouvrages qui ne manquent pas de saveur car on y suit avec jubilation des personnages pittoresques liés par une belle amitié et qu’un libraire qui attire les embêtements entraîne dans des mésaventures sanglantes dans un Arcachon assoupi par les hivers Atlantiques troubles et pluvieux. C’est dans un monde tout aussi poisseux du Bordeaux brumeux que se débat David Vincent, le héros des « Disparus de la Garonne ».

 

David, ancien taulard repenti devenu paisible jardinier reste tout de même, par pure amitié, acoquiné avec un bon pote, petit trafiquant de bagnoles. Un type qui aurait dû se méfier car les copains et amies de David finissent toujours par échouer dans de sérieux embêtements sans nombre. Ce qui ne manque pas d’arriver lorsqu’un des clients de David lui donne des fauteuils avachis. Petite cause, grands effets : dans l’un sièges pourris, il découvre la photo de sa femme, Elodie, elle qui devrait être plus morte que morte depuis plusieurs années. Or, surprise : sur la photo, il la voit s’exhiber en tenue d’entraîneuse, aguicheuse à souhait. Mais alors, serait-elle vraiment morte bien que la police l’ait portée disparue dans les eaux glauques de la Garonne alors que David était interné à Gradignan ?

 

Il n’en faut pas davantage pour qu’il se lance à la recherche de la vérité, à la fois pour redonner un sens à sa vie et comme preuve d’amour. Dans une enquête haletante qu’il mène avec ses amis contre des malfrats bordelais, les uns et les autres bien décidés à ne pas s’épargner mutuellement. Au milieu d’un tas de dangers, David finit par découvrir que d’autres femmes ont disparu, elles aussi noyées dans la Garonne lors de circonstances qui s’avèrent être des assassinats déguisés en suicides ou en accidents. Afin de connaître la vérité, il poursuit une descente aux enfers d’une ville dont il dévoile les aspects glauques de clubs échangistes et autres lieux peu recommandables, ce qui nous vaut quelques pages coquines plus drôles qu’érotiques mais qui ne manquent pas de sel… A partir de là, les rebondissements ne manquent pas car nos enquêteurs ont mis leur nez dans une fourmilière nourrie de petites combines et de gros intérêts ce qui donne une vision inconnue de Bordeaux et l’on découvre que ses belles façades de pierre blonde cachent bien des turpitudes. Le tout écrit comme des dialogues de cinéma, de scènes divisées en plans étouffants et en séquences nerveuses qui ajoutent au plaisir de courir après ces « Disparues de la Garonne ».

3- « Des vagues sur la baie d’Arcachon » par Fabrice Duffour.

-On connaissait bien jusqu’ici ici ce Bordelais d’origine qui réside sur la presqu’île, pour être le concepteur d’un nouveau type de bateau de plaisance, le « Beacher », certains en font « une plate de luxe », dont toute la gamme inventive se caractérise par sa conception qui combine goût pour le bateau classique traditionnel et techniques modernes. Ce diplômé de Tech de coBordeaux, fut directeur commercial chez divers fabricants de bateaux, qu’il a quittés voici vingt ans pour faire construire à La Teste ses propres navires : des bateaux à moteur qui permettent de vivre confortablement de vraies vacances estivales sur le Bassin et qui, de ce fait, connaissent le succès. Voilà déjà un premier talent de M. Duffour au service de l’économie locale. Son second talent qu’on ignorait par contre et qui vient de se révéler, c’est qu’il est auteur d’un roman policier que, dit-il, « il a écrit lorsqu’il voyage », une manière originale de conserver un lien avec le Bassin et avec certains de ses personnages hauts en couleur qu’il connaît bien. Il en résulte ce roman policier noir, « Des vagues sur la baie d’Arcachon », (***) où l’on retrouve toutes les règles d’usage dans le genre, mais enrichies et originales car bien marquées par le pittoresque de la vie locale. Si l’auteur réussit à métamorphoser les lieux, le Bassin devenant une « baie », il n’en oublie pas pour autant qu’il secrète de durs débats entre habitants et promoteurs de tout poil qui y séviraient sans vergogne s’ils n’étaient farouchement surveillés par des autochtones au caractère bien trempé. Et leur lutte devient d’autant plus virulente qu’un port « à la Jules Verne » doit y être construit. D’où une succession de sabotages, de disparitions, d’accidents inexpliqués et de meurtres tout aussi mystérieux les uns que les autres dont il faudra bien trouver l’origine au bout de 370 pages écrites dans un style imagé pour évoquer les bagarres entre plaisanciers et ostréiculteurs. Voilà encore un bon moment de lecture au bord des vagues du Bassin tout de même plus tranquilles que celles qui soulèvent des tempêtes dramatiques et mouvementées, mais, au fond amusées, sur la baie.

J.D.

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(*) « Ainsi débute la chasse ». David Patsouris. Rouergue noir ed. 300 p. 21×15. 17,80 €.

(**) « Les disparues de la Garonne ». Patrice Vergès. Vents salés ed. » 336 p. 21x 15. 20 €.

(***) « Des vagues sur la baie d’Arcachon ». Patrice Duffour. Vents salés ed. 370 p.21×15. 19,90 €.