Leurs héros : policiers et gendarmes qui ont tant à raconter

TALENTS DU BASSIN (#29)

par Jean Dubroca

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LITTERATURE : Polars en vrac (II) : Dominique Dayau, Danielle Thiéry, Simone Gélin.

– Dominique Dayau : « Le 13ème Choc »

 

– La biographie de Dominique Dayau est formelle : « cet écrivain est un pur arcachonnais ». On y apprend aussi qu’il est ancien commandant à la police judiciaire et que, pendant trente-cinq ans, les malfrats du grand banditisme et du crime organisé ont été son gibier de choix. On sait aussi qu’il est écrivain et qu’il a notamment produit sept polars, en sus d’autres ouvrages consacrés au vocabulaire du Bassin ou à la tauromachie.

En ce domaine, il a de qui tenir puisqu’il est le petit-fils de Jean-Pierre Darracq, afficionado réputé, auteur d’ ouvrages et articles nombreux sur le sujet. Bref : le talent en héritage. Son dernier roman s’intitule « Le 13ème Choc » (*) et il ne manque pas d’originalité dans un genre qui aurait, chez d’autres, tendance au mimétisme. Or, lui il a eu la bonne idée de bâtir l’intrigue de son roman autour d’une idée que le cinéma américain a utilisée : le retour de retraités dans le métier et qui n’ont pas perdu la main pour cuisiner de bonnes vieilles recettes. C’est Max, le chef du Bureau de lutte anti-terroriste, qui fait appel à eux afin de mettre la main sur deux fauves dangereux, Malek l’évadé de Fresnes et Marouane, deux terroristes qui exacerbent la patience des ministres parce qu’ils ont réussi à échapper à une traque impitoyable de tous les service de police.

Théorie du pacha : faire choper ces deux malfrats par des types dont ils se méfieront pas parce qu’ils ont plutôt l’allure de qui va à la pêche à la ligne et en cure à Dax. L’intérêt de la formule choisie pour ce récit, c’est que Dominique Dayau y aborde une évocation de son métier de flic, non pas avec ses propres souvenirs, mais à travers les portraits d’anciens qui savent bien que la police se fait sur la connaissance des idées tordues des pourris et en arpentant le terrain pour consolider tout ce que pondent les machines à espionner. Cette démarche, l’auteur la décrit comme elle se passe vraiment, sans ornements, dans un quotidien qui n’est pas fait de coups de pétoires et de gnons échangés mais plutôt de planques astucieuses et de procédures trop encombrantes alors qu’il faut déjà se débrouiller avec le souffle court, le cœur en pagaille et la démarche bancale. Et comme tout cela est raconté sur un ton qui va de l’ironie à l’humour acide ou tendre, au cœur des réalités de la vie, le lecteur ne peut que se régaler. Notamment avec des portraits de personnages peu ordinaires bien étudiés, savoureux ou parfois émouvants. Telle Lucienne Berrichon, « la souris à chignon », secrétaire de l’équipe « surnommée Miss Braguette par les mauvaises langues qui insinuaient que l’agilité de ses doigts ne concernait pas uniquement son pianotage énergique sur la machine à écrire ». Ou encore le terroriste Marouane : «un prisme, une surface solide qui déviait toute source de lumière, un dispositif réfractaire qui ne faisait voir que l’orgueil ou les préjugés. (…) un prisme déprimant, des morceaux de triangles opaques, genre triangle des Bermudes, de la géométrie variable où l’on ne se retrouvait jamais. Un fondamentaliste sans fondement ». Et parmi l’équipe des ancêtres, voici : « Marie-Odile Lanux, 65 berges au compteur, dite La Limande à cause de sa position couchée sur sa moto » ; Jacques Folan « appelé Cartouche eu à son égard pour la boisson, les dames et son savoir dans les explosifs et la balistique » ; et encore Raymond Alibert, dit Kaolin « à cause de son teint pâle, un hypocondriaque spécialiste de l’automédication ». Avec de tels comparses de lecture, on devine qu’on ne va pas s’ennuyer au fil des pages

Mais ce n’est pas tout. Reste même l’essentiel : la langue de Dominique Dayau. Elle est truculente, elle sonne avec des accents du faubourg qui font rire l’oreille dans de savoureux dialogues. Les grammairiens distingués et désireux de ne déplaire à personne parleraient « d’un registre familier » mais c’est, en vérité, les tons musicaux de la vie qu’on entend là. Un concert où dominent les solistes qui interprètent leurs œuvres sur des bandes enregistrées que Max décortique pour y trouver un moindre indice. Récital : description d’un paysage de cité : « Pas un arbre. Rien. Juste quelques bagnoles carbonisées (…) des tas de ferrailles fumantes, des épaves où les gonzesses finissaient de perdre leur virginité et leurs dernières illusions » ; propos d’un jaloux : « Pourquoi j’ai jamais travaillé avec Marouane Hattabi ? Cette enflure ! Sans l’antenne parabolique, il n’y aurait jamais eu de Marouane. Il n’aurait jamais quitté sa Play Station qu’il n’avait même pas chouravé lui-même, c’est dire. C’est quand il a commencé à coincer son groin sur l’écran télé de ses vieux qu’il a dévissé (…) Le pompon, c’est quand il s’est mis à suivre les vieux à la mosquée, un gymnase délavé où t’aurais même pas voulu tirer une frangine sur le tapis tellement c’était crado. Mais il fallait plus lui parler de frangines au Marouane. Il s’était acheté une virginité et la robe de mariée qui va avec. Il se souvenait pas de la petite Rom qu’il avait plus ou moins engrossée. Pourtant c’est notre bande qui lui avait sauvé la mise quand la clique des romanos s’était rappliquée avec des rifles et des idées noires. (…) Mais qu’est-ce qu’il avait dans les boursouflures du ciboulot, l’enfoiré. Une fois qu’il nous les brisait trop avec ses sourates, son Coran et tout le toutim, on l’a pécho dans un coin et on lui a rasé sa broussaille de barbu ! Il en chialait de rage, le repenti ! » Voilà un petit florilège de ce que Max peut entendre dans ses bandes espionnes. Et il y en a cinq de cette mouture, tout autant drôles qu’émouvantes et surtout navrantes au regard de l‘image de notre société. Ainsi, dans sa préface, Hervé le Corre, ce professeur de lettres bordelais maître es-polar, a bien raison de résumer l’intérêt du livre ainsi : « On touche là à l’essentiel du texte : faire chanter la langue, la cajoler, la chahuter, la tourner sept fois dans sa bouche avant de lui donner voix. (…) Pour Dayau, écrire consiste à mettre en harmonie et en rythme la langue française au service de l’histoire qu’il raconte ». Si bien qu’on pense à Audiard ou à Queneau, ceux qui ont su donner au langage populaire ses lettres de noblesse. Et comme Dominique Dayau a prévu une trilogie pour suivre ces anciens, on n’a pas fini de jubiler.

– Danielle Thiéry : « Les fantômes de l’école de police ».

 

-On connaît bien ici cette écrivaine, installée à Mios et qui produit de nombreux romans policiers de qualité. Et pour cause : c’est l’une des premières femmes à avoir accédé au grade commissaire divisionnaire et elle a tout connu dans la police. Ses diverses fonctions l’ont amenée de la protection des mineurs jusqu’à la lutte antiterroriste dans des cibles vulnérables comme les trains et les avions, en passant par la lutte contre le proxénétisme et les enquêtes dans la police criminelle. Elle a ainsi acquis une connaissance des crimes et délits en tous genres, ainsi que le fonctionnement intime des services policiers ce qui lui permet d’écrire en parfaite connaissance de son sujet. Si parfaite qu’en 2013 elle a obtenu le prestigieux Prix du Quai des Orfèvres pour son roman : « Des clous dans le cœur ». Dernièrement, elle a publié « Tabou » qui se déroule dans de sombres lieux de la forêt testerine et dont nous avons parlé (cf. : Talents du Bassin » du 16/12/2016). Elle nous revient avec son dernier livre : « Le fantômes de l’école de police » (**) mais cette fois destiné aux 9-13 ans qui y retrouveront des héros récurrents, les jumeaux Lily et Lucas. Les voilà installés à l’école nationale supérieure de police où leurs parents sont employés. Or, les rumeurs de la présence d’un fantôme sur les lieux se répandent très vite. Il s’agirait de celui d’un palefrenier assassiné là un siècle plus tôt et dont le meurtrier est inconnu. Et voilà qu’un élève policier a lui aussi disparu y a six ans dans des circonstances mystérieuses. Il n’en faut pas plus pour que nos deux enquêteurs juniors veuillent expliquer ces deux événements. Auraient-ils un lien ? Quel rôle trouble joue donc un jeune apprenti au comportement suspect ? Quelle est cette ombre qui rôde dans le cimetière voisin ? Quels sont ces souffles lourds qu’a ressentis Alice, la mère des jumeaux ? On est donc en plein thriller surnaturel avec ses frissons garantis et une intrigue, qui mêlée aux détails documentaires, très réalistes, apportés par l’auteure sur la formation des officiers policiers, fera naître des vocations chez les jeunes lecteurs, d’autant plus que les deux intrépides jumeaux dénoueront toute l’affaire. Les enfants devraient adorer en évoluant entre mystère, action et trouille.

– Simone Gélin : « Le truc vert ».

 

– Simone Gélin a déjà produit plusieurs romans policiers noirs depuis 2010 dont « Le truc Vert ». Installée au Cap Ferret, cette ancienne enseignante connaît bien la presqu’île et son lieu-dit « le Truc vert » l’a intriguée. Un nom bizarre mais tout à fait dans la ligne des nomenclatures pittoresques du Bassin et qui a suffit aussi à l’inspirer, surtout, que là, dit-elle : « j’ai retrouvé mes racines profondes. J’aime marcher sur la plage, nager, pêcher et apprivoiser les mots ». Une opération qu’elle réussit fort bien puisqu’elle a été sélectionnée lors du salon « Toulouse-Polars-Sud » pour le Prix de l’Embouchure, décerné par un jury de policiers. Des connaisseurs, tout comme Danielle Thierry, ci-dessus citée, qui a préfacé l’ouvrage.,« Le Truc Vert », (***) c’est une fiction contemporaine très réaliste, une histoire sur la parole et le courage des femmes. On y rencontre Simon, un policier opiniâtre qui mène une enquête pleine de pièges sur des disparitions mystérieuses dans les trains entre Montpellier et Bordeaux. Mensonges, malversations et connivences brouillent les pistes suivies par Simon. D’autant plus brouillées que le procureur contrôlant l’enquête se trouve compromis dans une troublante spéculation immobilière que découvre Simon. Son enquête va lui faire rencontrer Valentine. Son mutisme l’étonne mais il la sent impliquée dans ces crimes du train et il finit par percer le secret qui mine la jeune femme. C’est au Truc Vert qu’il approche de la vérité mais le pouvoir veut faire coup double : étouffer et l’affaire et Valentine. Laquelle montre sa détermination : « Je prends cette fois des risques insensés mais je pense que l’on ne doit jamais transiger avec sa conscience (…) Il peuvent bien user de toutes leurs menaces et de toutes leurs combines ou autres, je ne braderai rien, j’irai jusqu’au bout (…) J’ai peur. J’essaie seulement de l’oublier parce que je n’ai pas le choix. Ils ne m’ont pas laissé le choix ». Il ne resterait plus que le silence si Valentine et Simon ne tenaient bon sous l’orage. Le dénouement se fera sur les bords du Bassin, au milieu des gens d’ici, avec leur caractère et leur personnalité imprégnés du climat, des paysages, des habitudes et de l’ambiance des lieux dont les contrastes accentuent les crispations des nerfs des lecteurs. C’est réussi en ce domaine, tout comme sont réussis le sensible portrait de Valentine et les descriptions hivernales du Bassin.

A signaler la très récente sortie d’un autre livre de Simone Gélin : « L’Affaire Jane de Boy ». L’intrigue commence dans ce quartier au nord de la presqu’île du cap Ferret au cours des années 1960. Sur la plage du village, disparaît une petite fille et aussitôt le commissaire Lasserre et son adjoint Hippolyte suspectent un jeune couple espagnol dans un mystère qui sent le crime politique autant que crapuleux. L’enquête se poursuit dans divers quartiers bordelais pittoresques, se corse dans celui des Bassins à flot tandis que l’auteur fait revivre les méandres des couloirs et des escaliers du mythique hôtel de police de Castéja au cœur de l’enquête.

J.D.

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(*) « Le 13ème Choc ». Dominique Dayau. Ed : Vents salés. (Col. Noire). 323 p. 21×15..

19,90 €.

(**) « Les fantômes de l’école de police ». Danielle Thiéry. Ed : Syros (Col. Souris Noire) Mars 2017. 160 p. 18×12. 6 €.

(***) « Le Truc Vert ». Simone Gélin. Ed : Vents salés (Col. Pourpre) 364 p. 21×15. 22 €.