Ya qu’la foi qui sauve…un beau moulin à Salles !

TALENTS DU BASSIN (#32)

par Jean Dubroca

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Patrimoine : Le moulin à eau « de Dubern » à Salles.

 

 

 

Ce moulin à eau, le seul de ce type en Gironde encore en activité, a échappé à la disparition de ces petites installations due au passage à l’ère industrielle des minoteries. Connu, sinon célèbre à Salles, « le moulin de Dubern »(*) comme on dit encore là-bas, appartient à Jean-Yves Dufaure et c’est sa fille, Isabelle, qui, aujourd’hui, le gère.

Son arrière-arrière-grand-père l’avait acheté en 1904, voilà déjà plus d’un siècle et cinq générations. Mais ce n’était là encore que sa prime jeunesse car plusieurs documents prouvent qu’il existait, dès le XVème siècle et sur le même site qu’aujourd’hui, au bord de la petite rivière Dubern. D’où son nom. Le plan du site montre bien son emplacement : le cours du ruisseau, l’étang servant de retenue d’eau, et le canal l’amenant pour qu’elle tombe sur les « rouets » reliés à des meules. Un système dont l’origine se perd dans la nuit des temps et qui faisait, du meunier comme du forgeron, des personnages essentiels pour la vie du village. Et ce maître du pain deviendra quasiment un notable lorsque son moulin aura échappé au contrôle du seigneur du lieu, avec la Révolution. Ce qui peut expliquer pourquoi c’est au XVIIIème siècle que le moulin de Dubern fut reconstruit. Au XIXème siècle, on le retrouve, toujours solide, toujours tournant, sous le nom de « Moulin de Menespher ». Ses nouveaux propriétaires, des membres de la famille Lussau-Dufaure, l’équipent de trois paires de meules et ces meuniers continuent de ne pas dormir ! Car depuis plus de cent ans, l’institution s’inscrit vaillamment dans le patrimoine du Pays de Buch, aujourd’hui véritable témoin anachronique d’une époque révolue mais d’un patrimoine industriel à conserver.

M.Dufaure explique l’étonnante solidité de l’aventure. « Cette survie ne dépend pas d’une logique économique. C’est la foi en notre métier qui fait que notre moulin existe encore». Il est vrai qu’il s’agit du pain, un aliment symbolique dans beaucoup de religions et qui ne doit pas être maltraité. La foi, donc. Mais qui oblige, dit-il encore « à beaucoup de travail et de sérieux qui nous ont permis de maintenir le cap ». Evidemment, le moulin ancestral est devenu une minoterie. Des moteurs ont remplacé l’eau bien paisible du Dubern. Avec un appareil à cylindre, « double, SVP ! » et deux bluteries installés en 1930, des modifications en 1949, un moulin pneumatique en 1960, le passage du blé en de broyeurs en claqueurs et en convertisseurs pour finir dans une récente ligne d’ensachage, le moulin est aujourd’hui entièrement mécanisé. Le pittoresque y perd mais la rentabilité y gagne. Il le faut bien pour assurer sept salaires et produire deux tonnes de farine de haute qualité par heure pour les pains de seigle, de blé et de pâtes à pizza. Ces produits sont vendus essentiellement en Gironde, sur un de ces circuits courts fort recherchés aujourd’hui, pour cent cinquante boulangers.

« Une clientèle fidèle », se réjouit M. Dufaure qui insiste sur les bonnes relations qu’entretient son moulin avec elle. « Et nous sommes capables de les dépanner n’importe quand et à meilleur prix», ajoute-t-il, fièrement. Voilà une souplesse industrielle loin de la rigidité des trois grosses firmes qui produisent 70% du marché des farines en France et qui contrôlent même des chaînes de boulangeries. Si bien que le « Moulin de Dubern » constitue plus qu’une usine. C’est un jalon essentiel dans la longue lutte des gens d’ici pour maintenir la solidité d’un patrimoine ancestral.

J.D

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(*) Isabelle Dufaure. 37, lieu-dit « Moulin de Dubern ».33770 Salles. Tel : 05 56 88 40 23.