TALENTS DU BASSIN (33)
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Patrimoine : Scaph-Pro défend la mer du Bassin aux Philippines.
– Tout navigateur sur le Bassin le constate aisément : les herbiers de zostères y diminuent rapidement et même à vue d’œil de crabe. Or, ces longues et souples plantes marines jouent un rôle indispensable dans l’écosystème maritime. Et d’un : leurs herbiers, formés de longues herbes vertes, contribuent largement à l’oxygénation des eaux car elles captent le gaz carbonique, ils favorisent aussi la pénétration lumineuse en stabilisant les vases, permettant ainsi leur propre développement, dans un de ces cycles de vie qu’un simple élément perturbateur peut dérégler et pour longtemps. Et de deux : les zostères sont essentielles au développement de la faune aquatique qui y trouve des lieux de reproduction, des refuges pour les alevins de toutes espèces, des cachettes pour les animaux adultes et de considérables réserves de nourriture.
Vers les années 1950, on pouvait observer que le Bassin constituait la plus grande superficie d’herbiers des zostères marina d’Europe, assurant ainsi une vie prodigieuse dans les eaux du Bassin et y procurant des ressources piscicoles, abondantes depuis des siècles. Mais les quarante-huit membres bénévoles de l’association Scaph-Pro qui, comme l’indique le nom de leur groupe, qui plongent dans le Bassin (*) le constatent : « Depuis une trentaine d’années, on y observe une vraie transformation de la biodiversité », note leur président, Jean-François Marailhac. De son côté, Sylvain Coudougnan, responsable du département de biologie marine de Scaph-Pro, souligne : « on a remarqué que la turbidité de l’eau conduit à régression des zostères parce que ce sont des organismes qui réalisent la photosynthèse. Pour vivre et se développer, ils ont besoin de lumière mais, plus l’eau est trouble, moins ils y parviennent ». Si bien que les herbiers poussent peu en profondeur, ne protégeant plus les espèces qui pourraient y vivre. On le voit bien par un exemple frappant : les anguilles ont quasiment disparu du Nord-Bassin, au grand dam des amateurs de leur délicieuse friture !
Ces conclusions navrantes des plongeurs ne sont point des approximations. Au contraire : elles proviennent de l’observation, gérée par un protocole et menée depuis dix ans, sur dix-huit sites situés sur la côte noroît, entre Arès et la Plage des Américains. Sur chacun de ces points, les spécialistes déroulent une ligne de 60 mètres qui sert de guide pour poser des cadres qui permettent de compter exactement le nombre de pieds de zostères au mètre carré. Résultat : en moins de dix ans, on constate une forte régression de ces plantes, voire leur disparition. Le comptage s’accompagne parfois d’observations nocturnes qui facilitent une étude comparative en divers lieux grâce à des eaux plus claires. Et le constat est alarmant. A Grand Piquey, nord et sud, au Canon, centre et nord les quelques touffes remarquées en 2016 ont complètement disparu au 15 juin courant, tout comme à Arès et à Pirailhan, sur des fonds vaseux. A l’Herbe, nord et sud, les herbiers régressent. Cependant, quelques améliorations sont notées au Canon-sud et à l’Herbe-médian et vers les passes. Mais pour combien de temps ? Encore que, devant ces remarques Sylvain Coudougnan s’interroge : « Y aurait-il un cycle dans ce phénomène, puisque, vers 1930, on a observé une régression proche de celle constatée aujourd’hui ? ».
Alors, comment expliquer ces phénomènes néfastes ? Pour Jean-François Marailhac les causes sont évidemment multiples mais la principale est, dit-il : « la turbidité des eaux ». Il affirme que ce phénomène provient aujourd’hui de la sur-fréquentation du Bassin par les bateaux à moteur et des dragages de plages ou de ports qui rejettent beaucoup de vase en suspension. De plus, la pêche des moules et des pétoncles n’arrange rien comme le prouvent les traces laissées par les chaluts sur le sol. Autres éléments nuisibles : la pose mal étudiée d’enrochements, les déports de sable provenant des réensablements des plages et des dépôts d’algues filamenteuses sur les herbiers qu’elles étouffent. Ces algues naissent de la pollution des eaux, due à des rejets de déchets les plus divers, mais aussi, disent les gens de Scaph-Pro, à des incidences chimiques de produits utilisés pour peindre les coques de bateaux et qui contiennent du zinc ou du cuivre.
Des solutions existent-elles ? Evidemment, il faudrait réduire les différentes pollutions chimiques ou physiques à l’origine du phénomène. Même si le plan de gestion accepté en mai dernier par le Parc naturel marin du Bassin a placé dans ses priorités la volonté de retrouver les cent hectares de zostères qui existaient en 2000, il s’agit dune lutte de longue haleine difficile à mener car elle touche aux intérêts du tourisme ou à ceux des pêcheurs. Cependant, comme il ne faut pas tarder, deux membres de Scaph-Pro, MM. Coudougnan et Borde-Süe, ingénieur aquacole, ont proposé au Parc naturel marin et à la mairie de Lège-Cap Ferret, un repiquage, durant trois années, de pieds de zostères sur les sables de certaines zones mortes de trente mètres de côté. Les boutures, prélevées dans des lieux où ces plantes sont nombreuses, seraient plantées selon des lignes espacées de trois à quatre mètres. Ce travail permettrait d’observer les différents paramètres de l’opération et, ainsi, de définir la meilleure méthode à utiliser par la suite. De telles opérations de bouturages ont déjà été menées dans des lagunes méditerranéennes mais il est difficile de s’en inspirer directement car les conditions aquatiques y sont différentes de celles d’ici.
Il y a cinq ans, Scaph-Pro a réalisé un DVD, « Flore et faune sous-marines du Bassin d’Arcachon » qui a résumé l’action de l’association. Elle dépasse la topographie marine qu’elle mène afin d’élaborer un plan de prévention des risques littoraux. Elle s’intéresse aussi à la biologie et à l’immersion de récifs artificiels à l’est de « Chez Hortense » au Cap Ferret qui ont pu fixer le sable. Le document filmé relatant tout cela s’est vendu à plus de 2000 exemplaires ce qui a permis à Scaph-Pro de financer une activité d’envergure mais bien loin du Bassin. Lorsqu’en 2013, le typhon Yolanda s’est abattu sur un archipel situé aux Philippines, à l’est du Vietnam, dans une commune de la province de Quezon, Scaph-Pro lui a proposé son aide. C’est ainsi qu’elle y a monté un programme d’installation de récifs artificiels. Reconnue alors comme O.N.G. (organisation non gouvernementale), l’association a développé là-bas ses activités. Sept de ses employés travaillent maintenant à fabriquer des récifs en bambou. Ils sont immergés dans une zone corallienne dévastée par la pêche et ils permettent d’y récréer la vie en formant un abri pour les alevins. La revitalisation biologique du milieu permet aussi un développement écotouristique du site en favorisant la plongée au milieu d’une faune et d’une flore développées. En effet, une étude menée par un étudiant de la faculté de Maasin sur ces récifs artificiels montre que le nombre des invertébrés a doublé et que celui des vertébrés a doublé. Scaph-Pro est ainsi encouragé à poursuivre son œuvre mais aussi à la développer au Sénégal, avec un autre programme de récifs artificiels.
Ainsi Scaph-Pro entreprend une protection de l’environnement et du patrimoine naturel, non seulement ceux Bassin mais aussi ceux de pays étrangers. A ce titre, son action, associée à la générosité, est exemplaire.
J.D.
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(*) Jean-François Marailhac, 22, avenue de la Dune-Blanche. 33950 Petit Piquey. Tel : 05 56 60 59 60. Courriel : jeff@scaphpro.com