Haïtza : fidèle et … réinventé !

TALENTS DU BASSIN (#34)

 

par Jean Dubroca

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Patrimoine : Sophie et William Téchoueyres et la renaissance de l’hôtel Haïtza

 

 

Les stations balnéaires françaises de renommée internationale sont nées dans la seconde moitié du XIXème siècle, en lien avec le développement du chemin de fer et de la forte activité économique de l’époque. Autour des années 1970 et durant les « Trente Glorieuses », l’organisation du tourisme de masse a entraîné la création d’autres de ces villes balnéaires, sur le littoral languedocien.

Mais entre ces deux périodes, peu, « ex nihilo », de constructions de stations balnéaires de haut niveau en France, notamment entre les deux guerres. Pilat-Plage, est l’une des très rares puisque conçue en 1928. A cette création, s’attache le nom de Louis Gaume. Ce compagnon du Devoir fonde à Arcachon une entreprise générale du bâtiment en 1920. Bien dirigée par un connaisseur, elle prend rapidement de l’ampleur et comptera jusqu’à deux cents employés. Appuyé par Daniel Meller, propriétaire foncier de Pyla-sur-Mer, Gaume construit de belles villas pour ces fortunés acheteurs de terrains qui s’appellent Philippe de Rothschild, duc de Cases ou Henri de Monbrison. Mais il veut aller plus loin si bien que, huit ans plus tard, il finance, conjointement avec le comte de Fraramond, la Société Immobilière de Pilat-Plage qui acquiert des terrains au nord de la Grande Dune. Naît ainsi une station qui va profondément modifier le paysage testerin, y créer une dynamique économique importante et donner au Bassin un tourisme de haut niveau qui l’a déserté depuis que la renommée européenne d’Arcachon a faibli.

En effet, l’ample beauté du lieu encore sauvage, ne peut qu’attirer, malgré la crise, une riche clientèle avide de sites nouveaux et d’un environnement de haute qualité, d’autant plus que la conception générale du lotissement est marquée par un rigoureux cahier des charges, favorisant les grands terrains et par une urbanisation bien intégrée au paysage naturel sans le défigurer.

 

Mais Louis Gaume sait bien que le développement d’une station de classe internationale ne peut se réaliser qu’à travers une forte structure hôtelière rendue d’autant plus nécessaire par l’essor du « grand tourisme » automobile. Gaume sait alors convaincre Philippe de Rothschild et le duc de Cases de l’intérêt financier de construire à Pilat un palace et trois autres hôtels bien adaptés à divers besoins. C’est ainsi que nait Haïtza. Le bâtiment, conçu en style néo basque, selon la mode de l’époque, se trouve ainsi au cœur même de l’histoire de Pilat-Plage et de sa conception globale. Par son élégance, son cadre forestier, sa proximité immédiate avec une plage déjà océanique, par la chaleur intime de ses salons et de son restaurant, rustique mais imposant, il va rapidement attirer des « peoples » des années folles qui, parfois, achèteront là des terrains et, la Société de Pilat-Plage n’hésitant à jouer la banque prêteuse de fonds, ils y feront construire des villas, à « un prix d’amis » proposé à condition qu’ils utilisent les services de l’entreprise Gaume. Le renom jouant, une riche clientèle nationale, internationale et régionale s’offrira là pignon…sur mer.

A présent, Louis Gaume souhaite développer encore plus sa station dont on dit qu’il veut en faire le « Cannes de l’Atlantique ». Effectivement, il y prévoit la construction d’un vaste palace, un « Carlton » de trois cents chambres et d’un casino qui serait dirigé par Henri Rulh soi-même. S’il n’existe aucun document relatif au Carlton pilatais, par contre, le réputé architecte Siclis va, dès 1933, conduire les travaux d’un casino au style très épuré, construit en bord de Bassin. Des difficultés administratives et surtout la crise économique qui s’accroît à partir de 1935 mettront fin aux projets ce qui fera tanguer des sociétés du groupe. Jusqu’en 1974, un squelette de béton sera l’image d’un grand rêve plutôt que d’un échec. C’est pourquoi Haïtza reste le véritable emblème de la belle ambition de Louis Gaume, un peu comme sa statue.

 

Après la guerre, Haïtza, devenu caserne, renaît des occupations militaires nazies puis françaises puisque Bigeard y dirigera une école des cadres de notre armée renaissante. Louis Gaume, jusqu’à sa mort en 1962, saura réanimer sa ville et, de nouveau, Haïtza jouera son rôle de perle de la couronne. Ses successeurs s’acharnent ensuite à conserver ses hôtels dont il a fait le centre de son système économique. Mais, il y a maintenant une dizaine d’années, Haïtza a, certes, bien vieilli mais vieilli quand même ! Des tentatives pour le relancer, notamment avec l’appui d’une filiale Mercure, échouent surtout face à l’opposition de quelques habitants du Pilat qui craignent pour leur tranquillité. Louis Gaume, son petit-fils, cinquième du nom à présider l’entreprise, cède entièrement Haïtza à Sophie et William Téchoueyres qui exploitent déjà un autre fleuron du groupe, la Corniche, qu’ils ont rénové. Avec eux deux, l’hôtel aux trente-huit chambres ou suites, devenu « Ha(a)ïtza », a retrouvé tout son lustre, mais point ostentatoire. Il a gardé la légèreté de ses balcons, l’asymétrie de son toit à la basquaise, les protubérances solides du rez-de-chaussée et son cadre forestier. Tous ses aménagements modernes ont su se faire discrets tandis qu’à l’intérieur Philippe Starck a su jouer avec les lattes de pins et la blancheur des pièces qui révèlent des images disparates, des masques étranges et des fenêtres à carreaux colorés. Une élégance cossue mais originale où subsiste la chaleur du cadre qu’offrait déjà Haïtza, qui, en langue basque, signifie « roc ».

 

Ainsi, ce « roc » s’affirme comme une solide image d’un homme exceptionnel qui a marqué l’histoire du Bassin et son patrimoine architectural. On doit le maintien de ce « roc » à Louis Gaume, l’actuel président du groupe qui a voulu le conserver alors, dit-il, « qu’il aurait été facile en période de crise de construire un immeuble ou des blocs d’appartements qui auraient été beaucoup plus rentables pour l’entreprise ». Si lui l’a sauvegardé, Sophie et William Téchoueyres, aujourd’hui à la barre de cet établissement, ont su le faire revivre, retrouvant ainsi le lien avec le brillant passé de Pilat-Plage.

 

Jean Dubroca.

 

 

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