TALENTS DU BASSIN (#36)
par Jean Dubroca
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– Patrimoine : la défense des prés salés ouest de La Teste.
– L’association de défense des près salés ouest est le dernier avatar actuel d’une situation testerine qui se perd dans le temps. Cette zone, en partie endiguée, ne fut jamais formée de véritables près salés comme l’avait démontré Jacques Ragot. Par contre, c’est véritablement un monde bien particulier, non seulement parce qu’il constitue un paysage typique des rives du Bassin, mais aussi parce qu’il est présent dans l’histoire testerine depuis…1368.
Un fait très récent à ce sujet : l’emplacement des vastes près salés ouest continue d’exacerber l’appétit de promoteurs de toutes sortes qui se tiennent en embuscade. Parmi ces financiers, figurèrent jusqu’en 1994, la famille Couach et de la S.A.R.L. Couach. Mais à cette date, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté leur requête sur la propriété de ces terrains.
C’est l’aboutissement d’un très long procès dont les attendus sont particulièrement intéressants car ils montrent bien l’importance prise dans l’histoire testerine par ces près salés. Les Couach faisaient valoir que ces près salés n’appartenaient pas au domaine public maritime et leur revenait. Or, la Cour a d’abord observé que le testament du 20 mars 1368 du captal Jean de Grailly, puis que les lettres patentes du roi Louis XI, du 17 mai 1462 ainsi que la baillette de mai 1550, signée par le captal Frédéric de Foix, ne pouvaient être opposés au décret du 18 juin 1859. Un décret qui fixe les limites du domaine public maritime en tenant compte de l’édit de Moulins de 1566 pris par le roi Charles IX. Et qui précise bien que le domaine royal est inaliénable, en tout ou en partie. De ce fait, pour revendiquer un droit sur une partie de ce domaine public, il faut pouvoir montrer un acte de propriété antérieur à 1566. Si bien que la Cour peut écrire :
« Le testament de Jean de Grailly, ne peut valoir titre de propriété car il concerne les terres qui seront attribuées par les lettres patentes du 17 mai 1462 qui ne constatent pas l’existence au profit du captal de Buch de droits de propriété antérieurs (NDRL avant 1566) sur le rivage de la mer ».
Par ces lettres patentes, le roi Louis XI remettait ces terres à Jean de Foix, à la suite de son ralliement à la cause française.
En ce qui concerne la baillette consentie le 23 mai 1550 par Frédéric de Foix, évoquée plus haut, la cour observe : « elle ne comporte aucune indication sur les terres et la nature des droits concédés et elle ne constitue pas au profit des bailleurs des titres de propriété acquis antérieurement à l’édit de Moulins sur le domaine public ».
Après avoir rejeté l’action des consorts Couach sur leur propriété des près salés ouest testerins et en s’appuyant sur une des bases essentielles du droit français, à savoir l’inaliénation du domaine public, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué, en s’appuyant sur les dispositions des décrets des 28 novembre et 2 décembre 1970. Elle précise : « ces décrets ne prévoient que l’acquisition par la voie de prescription de droits réels sur le domaine national que de biens dont le décret du corps législatif sanctionné par le roi avait préalablement autorisé l’aliénation ». Autrement dit, si l’édit de Moulins n’a pas précisément indiqué que des terrains royaux pouvaient être aliénés, ils devront toujours rester dans le domaine public. Or, justement, les près salés ouest ne figurent pas sur la liste royale autorisant leur cession, le cas échéant. Conclusion de la Cour : « Les requérants n’ont donc pu acquérir ces terrains par prescription en vertu du décret précité ». « Et voilà pourquoi votre fille est muette … ».
Une autre partie du conflit portait sur l’exactitude des constatations matérielles, faites en 1859, sur la délimitation du domaine public maritime, lequel a pour bornes la limite atteinte par les plus hautes eaux des marées. Pour ce qui est près salés, la Cour constate : « il ne résulte pas de l’instruction que les parcelles dont il s’agit n’étaient pas à l’époque recouvertes par la mer ». Ce qui complique encore la situation qui n’avait pas besoin de cela, c’est qu’une digue avait été construite dans les années 30 à la limite est des prés salés, en bordure du chenal du port de La Teste. Décision de la Cour : « Ces parcelles ont été mises hors d’eau à la suite de travaux non autorisés dans les formes prévues par les concessions à charge d’endigage et les modifications de fait du rivage n’ont pu avoir pour effet de les faire sortir du domaine public maritime ». Bref : la digue était illégale.
A la suite de cet acte, la commune de La Teste se trouve ainsi pleine et entière propriété des près salés. Elle en profite pour y prévoir une ZAC (Zone d’aménagement concerté) qui lui permettrait de les « équiper » afin, disait-elle, « d’ouvrir la ville sur sa façade maritime est ». Aussitôt, sortent des cartons des projets de port en eau profonde, de marina, d’île des loisirs, de mise en souterrain de la voie de chemin de fer, de résidences les plus diverses, etc. Deux architectes testerins, M. Niéto, d’abord puis, quelques années après lui, M. Dubrous, dessinent des projets. Il y eut aussi celui, étonnant ou farfelu, de Michel Joseph, spécialiste des travaux publics qui imagina que le port de La Teste pourrait retrouver sa place primitive, à l’ouest de l’église. Mais tout aussitôt naîtra, a la pointe ouest de la zone, à l’Aiguillon, sous l’impulsion du professeur Gérard Marty, une « commune libre du Lapin blanc », dont la devise sera : « Non au béton et au goudron, la nature à profusion ». Pendant six ans les nombreux opposants au projet de ZAC (écologistes, partis de gauche, associations de défense de l’environnement) ferrailleront avec la mairie testerine et le conflit prendra d’autant plus d’ampleur qu’une autre association, conduite par M. Badet, multipliera les initiatives favorables aux projets municipaux sous le vocable AFVAT (Association pour faire vivre l’anse testerine). Seule la défaite électorale du Dr Espied mettra fin à un débat particulièrement passionné.
Il n’en reste pas moins que le S.M.V.M (Schéma de Mise en valeur de la mer) publié un peu avant cette date reste assez équivoque sur les aménagements des près salés, bien que le sous-préfet de l’époque ait déclaré, en 2008 : « Il n’y aura pas d’autres infrastructures que celles prévues par le SMVM, il n’y aura pas plus de bateaux dans le Bassin ( !!) et il n’y aura pas de port en eau profonde ». Forte de cette décision, la nouvelle municipalité socialiste testerine décide, en 2009, d’une remise en eau partielle des près salés qui permet de nouveau la circulation de l’eau de mer et des eaux d’écoulement et elle crée un long cheminement piétonnier. Il permet l’observation de la flore, si particulière en ces estrans du Bassin et de la faune particulièrement riche, composée d’une flopée de hérons, aigrettes et canards des plus variés.
C’est aussi en 2009 que naît « L’association de défense des près salés ouest » où l’on retrouve Claude Badet, ancien et fort actif animateur de l’AFVAT, quelques mois après que le Conseil départemental eut clairement affirmé : « sa politique portuaire durable dans laquelle la mise en œuvre de ports à sec bien intégrés au paysage est souhaitée ». Mais comme le projet annonce aussi : « le Département se réserve un espace pour ses missions de dragage des ports », l’association de défense part en bataille pour « s’opposer au déversement des boues de dragage du port de La Teste dans les près salé ». Son vice-président, Charly Fuster, ancien maire-adjoint du Dr Espied, vient d’ajouter (*) : « Notre association est, certes, favorable au dragage indispensable de ce port mais pas n’importe comment ». Cette fermeté, précise-t-il, « a conduit au classement en espace naturel d’une partie des terrains prévue pour recevoir des bassins de décantation des boues de dragage ce qui interdit désormais ces dépôts ». Mais la menace n’a pas complètement disparu puisque le projet d’aménagement de la zone des près salés y prévoit un espace de 8000 m2 réservé au département qui, selon M. Fuster, « pourrait recevoir les sédiments à décanter issus d’un traitement hydraulique, le mot décantation étant remplacé par celui d’égouttage ». Il demande donc à l’association de rester vigilante afin que ce quartier ne soit pas impacté par des nuisances olfactives et visuelles qui furent le point de départ de nos inquiétudes ». Une vigilance d’autant plus nécessaire que la création d’un syndicat mixte pour la gestion des ports du Bassin peut relancer le désenvasement du port testerin.
Cependant, la médaille a son revers. Il faut se souvenir qu’en 2012, lorsque l’Etat a transféré les près salés ouest au Département, il lui transmet aussi le projet fixé par le SMVM qui précise bien : « ce site accueille diverses activités économiques, un espace dédié à une activité de port à sec de 600 places et un espace dédié au carénage ». Plus au nord, en bordure de la RD 650, celle qui relie La Teste à Arcachon, le Conseil départemental écrit clairement : « la façade cette zone devra présenter une forte attractivité commerciale ». (**) L’association de défense des près salés ouest se réjouit alors d’annoncer que l’appel à projets pour l’aménagement de cette zone vient d’être lancé et prévoit, affirme M. Fuster, montrant un plan des lieux, « des activités nautiques et un port à sec, avec un accès direct à la mer ». Il ajoute même : « On approche du but ». Mais alors, mais alors : où commence et où s’achève donc la défense de l’historique zone naturelle des près salés ouest testerins ?
Jean Dubroca
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(*) « Sud-Ouest » du 15 juin 2017, sous le titre « Les défenseurs des près salés restent vigilants » signé par Pascal Rigoullay.
(**) « Sud-ouest » du 2 février 2015, David Patsouris.