« A Gujan, « Barbots de tous temps »

TALENTS DU BASSIN (#37)

par Jean Dubroca

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– Patrimoine : A Gujan-Mestras, les « Barbots de Tous temps » fêtent le souvenir de la pêche à la sardine.

– Etonnement des promeneurs : voilà qu’en fin de matinée d’un de ces derniers dimanches, les berges du port de Larros voient déferler des dames portant benèze dentelé et d’hommes revêtus du pantalon rouge et de la vareuse bleue traditionnels sur le Bassin, tandis que sur les eaux du port naviguent des pinassottes chargées de sardines argentées. On les débarque à grands cris, en se passant les baquets de mains en mains, on chante en chœur et on se retrouve en longues tablées pour déguster les « royans », comme on disait ici, cuits sur les braises et assaisonnés à point. Et si on les accompagne de « patates bouillies » tièdes et d’un Grave blanc, on se procure des souvenirs jusqu’à la prochaine fête. Car il s’agit bien d’une réjouissance organisée, pour la huitième année consécutive, par l’association « Les barbots de Tous temps » qui évoque le traditionnel retour de pêche à la sardine, pendant que Guy Dubourdieu commente l’événement tandis que la présidente, Jacqueline Legrand, veille au grain. C’est qu’il s’agit de se souvenir combien Gujan-Mestras fut marqué par l’importance prise sur le port par la pêche à la sardine.

Il y a belle lurette que les marins du Bassin la pratiquaient et même en risquant leur peau, pour rapporter ce poisson particulièrement énergétique. Or, comme on en mange toute l’année et que les temps étaient durs et la nourriture assez rare, il fallait sortir du Bassin en plein hiver en franchissant les capricieuses passes. Ce qui ne se fait pas en se fiant à son bon sort mais en se basant sur une organisation collective dont on célèbre aussi le souvenir. Les « chardinayres » forment d’abord une équipe permanente très solidaire de deux parents ou de deux amis, chacun apportant soit la pinasse, soit les voiles et le mât et tous les deux embarquent avec leurs propres avirons. Au retour, comme on a partagé les risques, les difficultés et les efforts, on se répartit équitablement les bénéfices. La même organisation collective existe pour les filets dits « sardinières ». Comme il en faut une quinzaine de mailles différentes selon la grosseur évaluée des sardines, les filets sont achetés ou loués par les deux marins. Si cela n’est pas possible, les filets sont fournis par un armateur. Chaque dimanche, on fait alors les comptes : l’armateur a droit à trois parts du bénéfice, le patron obtient une part et demie et le reste va aux autres marins, même à celui qui a été malade. Une solidarité qui explique en partie pourquoi fut créé à Gujan-Mestras par Camille Dignac le premier syndicat français de marins, en 1884.

Si, du printemps à l’automne, la pêche se pratique facilement dans le Bassin où les gros bancs de sardines sont entrés, l’hiver, il a fallu s’adapter aux dangers de l’océan et des passes. C’est ainsi qu’est née une association communautaire regroupant jusqu’à deux cents bateaux venus de la rive sud du Bassin. Ce qui suppose une organisation qui se doit d’être efficace, tant les risques du franchissement sont grands. C’est pourquoi les pêcheurs désignent des « prud’hommes », choisis selon leur connaissance de la navigation dans cette zone dangereuse. Il s’agit pour eux d’apprécier les heures de mouvements de la flottille selon l’état des passes, à l’aller comme au retour. A l’aide d’un code communiqué par drapeaux, comme dans toute marine qui se respecte, ils indiquent si le passage de la barre et la navigation sur l’océan sont possibles. Et pas question de désobéir. Malgré toutes ces précautions, de nombreux naufrages n’ont pu être évités, tel celui du 28 mars 1836, resté dans la mémoire collective sous le nom de « Grand malheur » qui fit soixante-dix-huit morts. On fait aussi appel pour réussir la pêche à un autre spécialiste : le « chardinayre ». Son expérience lui permet de repérer les bancs de sardines en observant la couleur de l’eau, les imperceptibles mouvements de la mer dus à la présence de gros poissons venus se nourrir, tout comme les mouettes qui survolent les lieux. On leur fait alors à tous une sévère concurrence en appâtant les sardines avec des œufs de morues salés mélangés à du sable, une mixture qui sent la rage, appelée « raba » en gascon. Toutes pratiques donc qui montrent que ce type de pêche repose en grande partie sur une solide organisation commune, ce qui en fait son originalité.

 

C’est au début du XXème siècle que les ports du Sud-Bassin vont connaître un véritable âge d’or de la pêche à la sardine. Avant cette époque, la Bretagne était au cœur de cette activité. Probablement à cause d’un changement de la température des eaux, les bancs descendent alors vers le sud, ce qui fait le bonheur des Arcachonnais. D’autant plus qu’à partir de 1905 apparaît la « pétroleuse », une pinasse à moteur embarquant environ une douzaine de marins, certains d’entre eux utilisant, arrivés sur les lieux de pêche, un petit canot à rames d’où on jette les filets. Le butin est hissé ensuite sur le bateau principal. Non seulement, l’organisation traditionnelle disparaît mais on s’oriente vers une structure presque industrielle de l’activité. C’est alors aussi que les pêcheurs Bretons, privés de leur ressource, arrivent en nombre sur le Bassin, avec femmes et enfants, une main d’œuvre d’autant plus nécessaire que beaucoup de locaux se sont tournés vers l’ostréiculture, plus lucrative. Si bien que, si les armateurs sont Arcachonnais, 80 % des équipages sont bretons.

 

Les conserveries industrielles bretonnes suivent les pêcheurs. On en comptera plus d’une dizaine dans le Sud-Bassin, pour la plupart montées avec des capitaux bretons, mais aussi, un plus tard, bordelais ou arcachonnais. On peut estimer à un millier de marins le nombre de ceux qui pêchent la sardine, tandis que leurs épouses travaillent dans les conserveries, selon des horaires variant avec les heures d’arrivée du poisson qui a été vendu à l’encan. Jusqu’au début des années 50, on verra encore naviguer le long de la côte, des lignes de pinasses chargées à ras bord de poisson. On construira même des bateaux spécialisés appelés …« sardiniers ». Puis les bancs de sardines migreront vers le sud de l’Atlantique. Comme le fut Gujan-Mestras, les côtes marocaines deviendront alors le nouvel eldorado pour cette pêche. Des bateaux et des usines arcachonnais s’installeront désormais là-bas. La vieille et traditionnelle pêche à la sardine aura vécu sur les rives du Bassin. C’est pourquoi iI est vraiment bien que les bénévoles de « Barbots Tous temps » commémorent le souvenir de cette forte activité économique qui a marqué ici la première moitié du XXème siècle, tout comme ils ravivent ainsi la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui ont mené une vie quotidienne très dure, marquée d’angoisse et d’efforts, autour de cette pêche à la sardine.

 

Jean Dubroca.

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