Gargantua au Bassin, nouvelles aventures (1, 2, 3)

1 / Comment Gargantua se trouvant face à une escadre anglaise

qui cherchait à entrer dans le Bassin d’Arcachon

lui en interdit l’entrée à coups de pignes

 

par Charles Daney

Ce jour-là Gargantua fut réveillé par un bruit sourd, roulant, insistant comme un orage lointain. Il ne fut pas long à s’apercevoir que ce n’était pas là bruit d’orage mais canonnade d’une bataille navale dans le golfe de Gascogne : une escadre française qui ramenait du rhum à Bordeaux venait d’y rencontrer une escadre anglaise qui allait chercher du Porto au Portugal. C’est fou le rôle qu’ont joué les liqueurs capiteuses dans le développement maritime des pays continentaux! On a connu des flottes du vin et même des barriques de wiskhy en perdition aux rivages où costoyaient des naufrageurs patentés.

La flotte française rompit le combat pour aller au plus vite porter à Bordeaux son précieux chargement : ce n’était ni le jour, ni l’heure de laisser percer les futailles pour faire plaisir aux goddams !

La flotte anglaise, qui avait subi des dégâts importants, cherchait un havre pour effectuer des réparations de fortune. Ignorant la présence incognito de Gargantua, elle se dirigeait vers le Bassin d’Arcachon en se guidant à l’amer de la dune.

Avec la célérité habituelle des décisions les plus inattendues le géant entreprit de leur en empêcher l’entrée, ce qui n’était pas du goût d’un ennemi devenu traditionnel depuis qu’ayant fui l’Aquitaine, il cherchait toutes les occasions de venger Castillon, ce Trafalgar britannique.

Ramassant quelques pignes il se mit donc en mesure de les repousser. Ses serviteurs lui en remplirent des musettes entières dont ils le ravitaillaient au vol en plein combat. Il y avait là des pignes vertes bien fermées comme grenades offensives, qu’il avait bien en mains et qui déchiraient les voiles ennemies, des semi ouvertes qui blessaient comme shrapnels et d’autres, toutes escarcaillées d’où tombaient des pignons comme grêlons un jour d’orage. On les entendait jusqu’à La Teste tant ils crépitaient en tombant sur les ponts des vaisseaux de Sa Majesté le Roi d’Angleterre. C’était le 31 du mois d’août. Après une musette vide, une musette pleine. Il pleuvait des pignes et des pignons comme à Gravelotte. Il arrivait même au géant de mettre le feu à des pignes bien ouvertes que ses serviteurs avaient entrelardées de galips enflammés en place de pignons avec le secret espoir d’incendier quelque voilure. C’était sa façon de dégoupiller les pignes.

Beau comme un Dieu, un pied sur la Salie, l’autre sur le Ferret, dans l’attitude du colosse de Rhodes, Gargantua interdisait l’entrée du Bassin d’Arcachon aux inglishes. Un sculpteur local voulut l’immortaliser dans cette attitude de semeuse-grenadier-voltigeur. Peu soucieux de la mitraille anglaise, d’ailleurs inopérante, l’artiste prit les mesures du colosse, en particulier l’entre-deux-pieds qu’il jaugeait en lieues marines. Un « patac de biterne »[1] qu’il prit pour un coup de semonce, le fit tomber à la renverse dans la passe sud où il s’est noyé. Ce fut la seule victime de cet engagement naval et la raison pour laquelle les géographes perdirent à tout jamais l’occasion de savoir quelle était la véritable largeur des passes en ces temps bénis de la Renaissance.

(à suivre)

[1] Coup de tonnerre en langue occitane

Image du colosse

2 / Comment Gargantua fit ripaille au cours d’un festin donné en son honneur

 

Le Captal de Buch ayant organisé un grand repas en l’honneur de son hôte incognito pour le remercier de son intervention contre les anglois, le grand Gargantua s’y rendit derechef.

Nous avons retrouvé le menu de ce jour, calligraphié sur parchemin et accompagné de figures grivoises comme il s’en trouvait alors aux feuilles volantes portant lais et chansons modernes de troubadours que des colporteurs vendaient aux foires et assemblées.

Vous me direz que c’est peu de chose à cousté des mets assemblés par Grandousier son père en son château de Touraine mais les habitants de Buch sont gens malingres qui ne bâfrent pas autant que géants qui se goinfrent de bœufs, génisses, moutons, chevraux moissonniers, moutons, gorets de lait, perdrix, bécasses, chapons, poulets, pigeons, galinottes, levrauts et sangliers, sans compter ramiers, oiseaux de rivière, cercelles, courlis, pluviers, craouans, vaneaux, hérons, poules d’eau et autres volatiles en quantités énormes tel qu’il est dit au chapitre XXXVIII des mémoires de Gargantua, ni jambons de Baionne, force langues de bœuf fumées, abondance d’andouilles, bœuf salé et provisions de saucisses comme raconté en son chapitre III ou de tripes à s’en lécher les doigts qu’on trouve au chapitre IV…

Menu

Soupe de poissons à l’Arcachonnaise

Plat de fruits de mer

Fritures de poissons du bassin noyés au saindoux

Turbot de la màr sauce piquante accompagné de pieds de cerfeuil

Bécasseaux du jour

Poularde à pattes jaunes de Chalosse farcie au bidaou

et servie aux cinques légumes

Agneau des landes aux cèpes de Bordeaux

Carbonade de Vache sauvage des dunes flambée au ladouney

Carré de sanglier au vin claret

Trou gascon au vieux marc

Assortiment de charcuteries du pays

Fruits du jardin : pêches de vigne,

arbouses, nèfles et sorbes à volonté

Fraises au claret adouci au miel de bruyère

~ VINS ~

Vins du plat et du haut pays vieillis en coloquintes neuves et mis en gourdes de peau de bouc au donjon.

Le Captal fit placer Gargantua en bout de table afin qu’il put être vu de tous entouré de deux gentes dames de haut lignage, toute jeunettes et fraîchement émoulues du couvent des thélémites où se peaufinait l’éducation ès courtoisie des donzelles de ce temps. Gargantua mangeait en buvant, buvait en parlant, parlait sans manger, buvait sans parler, postillonnant à droite et à gauche jusques sur les corsages des donzelles où durcissaient de jeunes rondeurs sous cet outrage de bon aloi. Ce qui ne l’empêchait point de se faire expliquer les plats par le chef cuisinier tremblant comme une feuille d’impôts entre les mains d’un contribuable.

Étonné de ce qu’on ne servit pas de rouille avec la soupe blanchie du pays il se fit expliquer les différences entre les ouystres de Buch, celles du pays de Médulle et les vertes qu’il avait vues à Marenne et dont il n’avait pas voulu goûter en raison de leur couleur. Il avouait préférer les premières. Il fit quelques observations sur le cerfeuil qu’il appelait fenouil chez lui et les cinques légumes, choux, navets, oignons, céleri et panais dont il aurait volontiers sorti les oignons pour les remplacer par des porreaux. Il avait bien apprécié le trou gascon dont il reprit jusqu’à dix fois et le vin de pays qu’il se complut à boire à la gourde en en vidant cinq à la suite à chaque goulayade.

Il n’est point resté pour le bal champestre mais a voulu remercier tout un chacun de ces ripailles.

3/ Comment Gargantua remercia ses hôtes

et fit promesse de revenir

 

Gargantua fit transporter son siège au lieu où se tenait l’orchestre et fit venir ses deux gentes voisines qu’il installa chacune sur une de ses cuisses, ce pourquoi on avait dû lever les donzelles à bout de bras de quelques gaillards montés sur des échelles doubles afin qu’elles pussent s’installer à leur aise sur les genoux du géant. Après qu’il eut obtenu le silence à coups de gueule qu’il avait tonitruante le géant commença ainsi son discours.

« Gentils hommes et gentes dames, et vous, foules populacières, chers amis, merci.

Un pays où l’on mange frais et boit sec n’est pas un méchant pays. Les étourneaux étaient bien un peu petits mais en amuse gueule, çà passe. Bien des hommes sont morts en festin par poison, poignard ou dénonciations à commencer par la Cène où s’ourdit la fin de Jésus. Je vous sais gré de ne m’avoir point servi d’ouystre boudeuse, ni de vin aigre, ni d’alcool frelaté.

« Votre pays est un pays de cocagne, de ceux où se pratiquent aisément tous les péchés capitaux : la gourmandise où m’entraîna chaque jour plus de moult centaines d’huîtres de taille raisonnable, la paresse qui me prit au lit de Leyre, la volupté proche de la luxure que me firent sentir vos pignes rondes dont je me peignis le pubis voluptueusement, l’orgueil que j’eus de repousser tout seul à coup de pignes une armada anglaise. Je voudrais parler aussi de l’envie que j’eus de détruire le donjon que vous appelez Pilat, échec qui a déclenché en moi une avalanche cholérique dont je ne fus soulagé que par le rappel des gros mots qu’on trouve en hilh de pute macarel le tant merveilleux dictionnaire occitan des Nouvelles éditions Loubatières. Je dois cependant faire amende honorable à cause qu’ayant entendu de mauvaises langues parler d’invitations de gascons je les crus sur paroles. Vous m’avez prouvé le contraire et je prendrais bien encore un coup de marc pour délier ma langue afin de pouvoir terminer mon discours.

Ayant bu son saoul d’un alcool râpeux en diable, Gargantua poursuivit ainsi. :

J’ai tant fort aimé ce pays de la Teste où l’on Teste et testonne journellement tant de braves filles et tout le Bassin où on les Hume et – Mestras ou Mestras pas -, on les aime en culottes de costes qui nous font fantasmer et tout autant sans, où elles apparaissent mieux encore surtout quand elles ont dans les yeux ce regard à incendier la forêt usagère qu’un de vos troubadours y vit certains jours.

Ayant su ce que votre ermite a fait l’an dernier pour ces braves testerines à la Vierge fidèle, je me propose d’amener prochainement ici frère Jean des Entommeures afin qu’il y bâtisse un couvent frère de l’abbaye de Thélème que j’ai pensé appeler Nostre Dame des passes afin d’y vénérer la vierge enceinte, ce qui nous changerait de tous les bigots, cagots, fayots, goths et ostrogoths, bedeaux, badauds, parpaillots et huguenots, costeyeurs vicieux et voyeurs honteux des nudités tartinées sur sable.

Je vous propose de boire encore un coup à cause du vent qui est salé, de l’eau de mer qui l’est tout autant et de la gorge qui m’assoiffe souvent.

Crions et buvons ensemble : Vive la Teste de Buch et Vive le Bassin d’Arcachon.

Ce faisant et dans l’enthousiasme du discours, levant haut le hanap que ses serviteurs lui remplirent incontinent, oubliant les deux gentes filles qu’il avait sur les genoux, il se dressa d’un coup et les fit tomber en telles postures que tout un chacun put voir qu’il n’y avait pas que dans leurs yeux qu’il y avait de la braise.

Et le bal put commencer, entraîné par la bouhe au souffle des musiciens que le discours de Gargantua et la chute des demoiselles avait ragaillardis.