TALENTS DU BASSIN (#38)
par Jean Dubroca
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– PATRIMOINE : Depuis 150 ans la Société scientifique d’Arcachon anime le musée-
aquarium de la ville
En 1867, Victor Duruy, alors ministre de l’Instruction publique, écrit : « Il faut entrer ici dans quelques détails touchant cette belle institution scientifique qu’est le laboratoire associé à l’aquarium de la Société scientifique d’Arcachon. (…) Ce laboratoire, que la Société va encore agrandir, a déjà fourni un emplacement suffisant pour les recherches simultanées de plusieurs anatomistes ou expérimentateurs. Tel est cet établissement fondé par les seuls efforts de l’initiative privée. Tel, il est ouvert généreusement à tous les hommes de science que la Société a conviés par tous les moyens de publicité dont elle dispose, à venir profiter des couteux sacrifices qu’elle a faits. (…) Ainsi, a été fondé, ainsi est entretenu, ainsi est ouvert aux savants par de simples particuliers, un établissement scientifique qui n’a son analogue nulle part en Europe, un établissement d’utilité publique de l’ordre de ceux dont la création incombe à l’Etat. Une telle chose faite et faite en France dispense de tout commentaire louangeur ».
On ne saurait mieux dire de tout ce qui fait, cent cinquante après cette déclaration et alors que depuis trois Républiques se sont succédés, l’intérêt scientifique, historique et patrimonial de l’actuelle station biologique d’Arcachon, ainsi désignée en 1901, dont l’histoire étonnante illustre parfaitement l’enthousiasme et l’ambition de la toute nouvelle ville dont elle reste emblématique. Et un fleuron aussi puisque, encore aujourd’hui, elle contribue à maintenir ici un important centre d’enseignement supérieur, appelé à se développer dans les années futures. A peine dix ans après sa création officielle d’Arcachon comme commune, mais qui reste alors une petite ville, deux notables arcachonnais, l’abbé Mouls et le docteur Gustave Hameau, ont l’audace, en 1863, de lancer cette société scientifique, prémices d’une « station zoologique ». Georges Fleury, en 1954, explique pourquoi : « Rien n’étonne ni n’intimide Mouls. Il comprend que la science est une œuvre collective et que l’avenir appartient à la science et aux pays qui la servent ». Dès le mois de décembre 1864, le docteur Hameau, devenu président de la Société, décide rien de moins que « d’entreprendre une exposition internationale de pêche et d’aquaculture dans le but de fonder un musée et une bibliothèque ». Patronage de l’Empereur, appuis de plusieurs ministres : l’exposition va regrouper 588 exposants, dont 150 étrangers. C’est un sucés public aussi parce que, pour l’occasion, a été construit un aquarium qu’André Rebsomen décrit ainsi : « long de trente mètres, conçu en marbre des Pyrénées et en glace de Saint-Gobain par l’architecte Alexandre Lafont il était composé de vingt bacs, dont dix-huit avaient une capacité de 720 litres, complété par six larges bassins de dix à vingt-cinq mètres cubes destinés aux grands poissons et même aux phoques ainsi qu’aux expériences physiologiques et aquicoles ». En même temps, la Société conserve des concessions de terrains et des locaux. Mais elle hérite aussi d’une situation financière déplorable ! Le docteur Hameau se démène pour obtenir des subventions, précisant alors l’effacement personnel des membres de la Société. Il écrit en 1867, « leur but réel est de conserver l’établissement du musée, de l’aquarium et du laboratoire afin d’instituer des études scientifiques et de mettre gratuitement au service des hommes de science un moyen d’explorer un champ trop peu connu encore ».
Finalement, à force de dévouement et de déploiement d’activités culturelles et commerciales variées elle parvient à se développer. Dès ses débuts, elle a confié la direction de la Station à des professeurs des facultés des sciences ou de médecine de Bordeaux, entamant ainsi une collaboration qui allait développer sa notoriété et son efficacité. Le musée s’étend alors à d’autres disciplines que l’aquaculture, la bibliothèque s’étoffe, l’aquarium, que visitent plusieurs dizaines de milliers de personnes, est reconstruit en 1927, à peu près tel que nous le connaissons aujourd’hui. Quant aux laboratoires, ils peuvent recevoir conjointement douze chercheurs de haut niveau.
Mais on pourrait dire que la Société scientifique est victime de son succès. Avant qu’éclate la guerre, en 1939, les bénévoles ne peuvent plus dépasser le stade obtenu et amener la station à un niveau plus moderne. Le conflit portera un coup fatal à l’établissement qui se trouve ruiné et délabré en 1945. Finalement, de laborieuses discussions entre la Société, qui veut rester indépendante et l’Etat, qui veut contrôler ce qu’il finance, on parvient, en décembre 1948, à la création d’un « Institut de biologie marine de l’Université de Bordeaux », rattaché au CNRS. La plus ancienne des stations biologiques de France, destinée aux recherches fondamentales est sauvée. Elle pourra poursuivre son essor qui rayonne aujourd’hui en Europe, même si elle n’égale pas encore la réputation et les moyens de centres comme Roscoff ou Banyuls et même aussi si son aquarium reste bien modeste par rapport à ceux qu’on peut voir aujourd’hui à Biarritz, à La Rochelle ou à Lisbonne. C’est pourquoi on peut attendre beaucoup des projets d’extension de la station, déjà solidement financés par l’Etat.
Actuellement, la vieille et grande dame fort digne qu’est la Société scientifique existe toujours. Mais son président, Pierre-Jean Labourg, activement secondé par le secrétaire Claude Cazaux, tous deux spécialistes de biologie marine, le reconnaissent : « Aujourd’hui et bien qu’il reçoive plus de 20 000 visiteurs par an, le musée-aquarium survit plutôt qu’il ne vit et voilà seize ans, depuis que le projet de déplacement est lancé que la situation est plutôt difficile ». Mais, avec leur Bureau, ils ont le grand mérite d’avoir conservé l’esprit des créateurs de la Société : accueils de nombreux chercheurs et étudiants ou aquarium consacré essentiellement à des espèces locales présentées avec toute la rigueur scientifique réclamée. Quant au musée, on peut dire qu’il s’agit d’un « musée des musées » tant il est resté dans l’aspect général qu’il pouvait présenter voici un siècle. A cette époque, on montrait tout ce que l’on avait recueilli, mais dans un classement rigoureux. Résultat : si le musée déçoit nombre de visiteurs, il exhibe de magnifiques collections naturalistes mais aussi archéologiques ou historiques. De quoi faire des expositions thématiques pendant des années dans des locaux à l’image de ceux qui permettent une muséographie autant éducative que spectaculaire.
Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui la Société scientifique a permis de conserver, contre vents et marées, un des fleurons du patrimoine du Bassin. Et qu’elle a une longue vie devant elle.
Jean Dubroca.