Trois dates clés pour raconter l’essor du Pays de Buch

TALENTS DU BASSIN (41)

par Jean Dubroca

 

Littérature. Histoire : « La ruée vers l’or bleu ». Michel Boyé.

 

 

Voici un nouvel ouvrage de Michel Boyé, consacré à l’histoire locale, dans laquelle il retient trois dates qui jalonnent l’épanouissement moderne de l’économie du Pays de Buch. Selon lui, 1823, 1836 et 1859 marquent des étapes essentielles pour l’évolution de cette économie. C’est aussi l’avis d’un autre spécialiste de l’histoire du Bassin, Fernand Labatut, qui écrit : « ces trois moments ont donné le signal de l’ouverture économique du Pays de Buch ».

La première de ces dates clés, 1823, marque l’ouverture par François Legallais d’un hôtel de luxe, pour l’époque et le lieu, sur la côte de la rade d’Eyrac. Comment expliquer le succès commercial de l’hôtel Bel Air ? Ses hôtes soulignent l’excellente qualité de l’établissement et beaucoup se réjouissent de l’accueil que Legallais leur y réserve. Commerçant habile, il leur offre bonne table, atmosphère chaleureuse, divertissements nombreux et ouvertures sur le monde du Bassin, comme un précurseur du Club-Med ! Mais l’originalité de Michel Boyé, c’est de montrer que cette réussite de Legallais, ne tient pas comme il le dit « d’opération du Saint-Esprit ». (1) On sait que cet auteur tient à agir en historien, qu’il s’en tient aux faits et qu’il détruit des légendes que des écrits laudatifs d’Arcachon ont répandues et répétées. Or, c’est justement la « grande histoire » qui vient mettre à mal la légende du « corsaire » Legallais. Car toutes ses qualités d’entrepreneur visionnaire n’auraient pas suffit à remplir son hôtel et à y attirer de riches bourgeois bordelais, rebutés par les ornières et les marécages du « chemin de Bordeaux ». S’ils sont venus à Arcachon – grande cause, petits effets- c’est à cause de Napoléon Ier ! La thèse est intéressante. Lorsque, de 18O6 à 1814, l’Empereur impose le Blocus continental afin de priver l’Angleterre de ses débouchés en Europe, certes il y favorise l’activité industrielle ou agricole mais il appauvrit des ports comme Bordeaux. Dès lors, les nombreux navires américains venant en France trouvent dans le Bassin un accès plus facile. Résultat : les commerçants bordelais, pour continuer leurs affaires ,se rendent à Eyrac dès le tout début du XIXème siècle et, suivant l’exemple de la duchesse de Berry qui a lancé à Dieppe en 1815 la pratique des bains de mer, les négociants bordelais découvrent cette activité. Pour la suite, 1823, c’est comme la date officielle de la création du tourisme arcachonnais.

Deuxième date : 1836. Cette année-là, soixante-douze marins-pêcheurs du Bassin périssent dans les passes car leurs chaloupes, non pontées, ne résistent pas aux vagues inattendues qui y sévissent. C’est le dramatiquement célèbre « Grand malheur » dont les autorités maritimes veulent éviter le renouvellement. C’est pourquoi, nous dit Michel Boyé, elles encouragent la mise au point à Arès  par le capitaine Louis-David Allègre du « Turbot » et de « La  Sole », deux navires de pêche à vapeur de 125 CV, capables de résister aux passes. En 1843, Legallais, décidément précurseur, investira dans l’entreprise ce qui le ruinera. Quant aux pêcheurs locaux, ils n’adoptèrent pas alors le bateau à vapeur, sans doute pour des capacités financière réduites et plus sûrement par l’attachement à leur indépendance ou par crainte de la fiabilité de l’engin. Il n’en reste pas moins que Michel Boyé peut fixer à 1836 la naissance de la pêche industrielle pour le Bassin et non point au moment de la création des Pêcheries de l’Océan en 1865 par l’armateur bordelais Harry Johnston comme il est coutume de le dire.

Troisième date, enfin : 1859. Michel Boyé rend à Pierre-Ostinde Lafon ce qui lui revient. En 1855, ce Testerin publie un premier ouvrage sur « La reproduction des huîtres de Gravette dans le beau bassin d’Arcachon ». Mais c’est son livre suivant qui, justement en 1859, prend toute son importance dans l’histoire locale. Michel Boyé rappelle qu’en cette année-là, Lafon publie « Observations sur les huîtres d’Arcachon » avec lequel il va réussir intéresser le gouvernement de Napoléon III au problème que posent ces huîtres. En effet, on ne les cultive pas ; pêcheurs et vacanciers la ramassent à grandes brassées sur des gisements naturels, la pillent et la mettent en voie de disparition. L’empereur envoie alors Victor Coste (18O7-1873) en mission sur le Bassin. Ce savant a inventé l’ostréiculture dans le golfe de Naples et à Saint-Brieuc. En 1859, avec deux millions d’huîtres, il ensemence trois sites du Bassin qui deviendront « des parcs impériaux » et il jettera ainsi, mais avec bien du mal, les bases de l’ostréiculture locale. En même temps, dès 1860, il réglemente cette activité. Michel Boyé souligne bien l’importance de son œuvre mais regrette surtout que l’on oublie beaucoup trop le rôle joué par Pierre-Ostinde Lafon dans la création de ce qui deviendra dès lors le troisième piler de la richesse économique du Bassin.

Voilà donc des vérités historiquesrétablies et une intéressante nouvelle approche sur l’origine de ses richesses économiques modernes. Mais, et ce n’est pas là le moindre mérite du livre de Michel Boyé, c’est qu’il l’a intitulé « La ruée vers l’Or bleu ». Il explique pourquoi.  « L’or bleu, c’est l’eau du Bassin. C’est elle qui fait la richesse de la « petite mer. C’est notre bien le plus précieux ».  D’où sa conclusion qui ouvre un vaste chantier et un point sensible dans des relations fort divergentes : « Il faut donc protéger cette eau, peut-être mieux qu’on ne le fait actuellement ».

 

(1) « Sud-Ouest » du 16 juillet 2017.

Jean Dubroca.

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– « La ruée vers l’or bleu ». Michel Boyé. 160 p. 12 €. Librairie générale et Maison de la Presse à Arcachon. Intermarché « Miquelots » à La Teste.