Jean Dubroca
De l’Académie du Bassin d’Arcachon
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THÉRAPIES
À
L’ARCACHONNAISE
Association Interculturelle d’Arcachon le 21 Février 2018
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EN 1919, le docteur arcachonnais Fernand Lalesque, (1853-1937) publie un ouvrage intitulé « Arcachon, ville de santé ». Cette bonne réputation ne vient pourtant pas de ce qui fait l’ancestrale valeur sanitaire d’un lieu. Tel celui de Lamothe (Le Teich) où jaillit la fontaine miraculeuse Saint-Jean, si célèbre que même des trains de pèlerins vers Lourdes s’y arrêtaient et y trempaient des chiffons qu’ils appliquaient sur leurs maux. Mais l’abbé Boudreau, curé du Teich jusque dans les années 1970, est formel : les guérisons par cette source reviennent au peroxyde de fer qu’on y trouve et qui est très bon pour soigner les ulcères et autres suppurations. Pour l’abbé, il n’est de miracle qu’à Lourdes. La Teste aussi possède une source Saint-Jean mais beaucoup moins réputée que la précédente.
Une source bienvenue.
Mais voilà qu’en 1923 Arcachon comble son retard en matière d’eau soignante puisqu’on découvre, aux Abatilles, une source d’eau minérale ! Ce jaillissement, associé à la bonne image de marque d’Arcachon serait un pactole. Cette année-là, sous la conduite de l’ingénieur Louis Le Marié, la Société des Hydrocarbures recherchait du pétrole dans le secteur. Ce qui n’était pas une erreur puisque, depuis, on en a trouvé approximativement dans le même secteur. Mais les moyens techniques et peut-être financiers de l’époque- étant moins puissants que ceux actuels, voilà qu’arrivés à 465 mètres de profondeur, les foreurs voient jaillir « jusqu’à huit mètres de hauteur », affirme le docteur Robert Fleury, «un geyser d’eau, chaude à vingt-cinq degrés, au débit de 69 000 litres par heure, l’un des plus puissants de France », garantit la presse de l’époque. Cette eau, qui sent bon le souffre, a franchi diverses couches de roches qui l’ont filtrée. Elle est même « faiblement minéralisée, radioactive, comme les eaux du Mont d’Ore », commente Guy de Pierrefeu. L’éminent docteur Boudry, consultant des enfants à La Bourboule, le confirme en écrivant : « C’est essentiellement une eau de lavage (…) qui décalamine le moteur humain, provoque une profonde diurèse et assure le bon fonctionnement du filtre rénal ». C’est déjà beaucoup !
Devant toutes ces vertus, un industriel bordelais, Gabriel Maydieu, organise rapidement l’exploitation de cette eau inespérée. On baptise la source « Sainte Anne ». D’abord parce que Louis Le Marié est Breton et, ensuite, parce que sainte Anne a longtemps été la patronne d’Arcachon. Le Marié bâtit un petit centre qui a l’allure de celui d’Eugénie-les-Bains. Au milieu d’un parc boisé et orné de jardins, s’élève une jolie buvette, qui, plus tard sera entourée de vitraux colorés où joue la lumière comme irisé par l’eau. A côté, dans un style néo-basque, un établissement thermal offre douches sous-marines, bains chauds ou massages divers. Au bord du parc, on joue au tennis sur plusieurs courts et l’on pratique l’équitation. Salon de thé, restaurant et magasins de bon aloi complètent un ensemble ouvert aux élégances arcachonnaises qui viennent y danser en plein air. Tout ce qu’il faut pour qu’Arcachon redevienne une station thermale.
Boire et déboire
Mais cette bonne affaire ne se développera pas bien car on est alors en pleine querelle entre les partisans d’Arcachon, ville médicale et ceux qui préfèrent y développer une station purement balnéaire. Le maire d’alors, Ramon Bon, est plutôt partisan des premiers, ce que ses opposants critiquent avec véhémence. Il faut dire que la population d’alors dépasse les dix mille habitants qui constituent un corps électoral avec lequel il faut commencer à compter. Si bien que Bon ne va donc pas tenter le diable en défendant la source. Ce qui n’empêche pas que les élections de 1929 lui seront défavorables. Le parti opposé au pouvoir médical local devenu majoritaire ne va guère favoriser l’activité autour de la source Sainte- Anne.
Toutefois, la Source Sainte-Anne commercialise son eau, en bouteilles de verre ou en bonbonnes, dans toute la région. Les affaires marchent bien lorsqu’en 1960, les maires de Vittel et d’Arcachon patronnent la prise de contrôle de la Source Sainte-Anne par la Société des eaux de Vittel. On croit au pactole étant donnée la puissance financière de Vittel. Ce sera un mariage de dupes car Vittel fera tout pour éviter une concurrence sur le plan national. Il en sera vite fini des rêves arcachonnais ! Néanmoins, l’eau continue de couler et on continue de la vendre en bouteilles, avec force publicité, comme dès ses tout débuts. La source, “ La plus profonde de France “, en 1985, devient “ L’eau d’Aquitaine “ en 1992 ; en 1998, elle incite “À boire pur ” et elle s’affirme “Comme la meilleure eau pour les bébés ”. Un joli bambin rose orne l’étiquette des bouteilles. Elle est aussi, suivant les époques,” Cristal Abatilles, l’eau de table”, ou bien : “La sauvegarde des reins “. Ensuite, devenue propriété du groupe Nestlé, elle clame “J’Abatilles “, dans un néologisme audacieux. Puis elle est acquise par divers entrepreneurs et, aujourd’hui, elle produit près de vingt millions de bouteilles par an, sur des secteurs qui dépassent largement l’Aquitaine. Ainsi, Arcachon a attendu longtemps pour avoir « sa » source sanitaire mais elle a bien rattrapé le temps perdu !
Un évêque arcachonnais
Une autre forme de thérapie très ancestrale, c’est le recours à toutes sortes de guérisseurs. Ici, rien encore qui, vers 1920, n’égale la réputation internationale de « la sorcière de Gazinet », cette Mme Mathieu que d’aucuns appellent « la Bonne dame » tant elle est généreuse. Elle soigne avec des herbes médicinales, « Pour cinq francs », précise même François Mauriac dans « Les Chemins de l’amour », roman paru en 1925. C’est dire sa notoriété prouvée encore par le fait qu’elle eut d’Anunzio soi-même pour client.
Mais Arcachon aura -enfin- son guérisseur notoire vers 1950. Il s’agit de Robert Gaston Jean-Marie Martin. (1918-1966). Professeur de lettres au lycée Saint-Elme, il consacre beaucoup de temps à la culture physique et, habitué à des voyages en Angleterre, il y prépare une thèse de doctorat qui l’amène à étudier la métaphysique. Persuadé que des processus immatériels peuvent agir sur des éléments physiques, il développe son pouvoir de guérir par l’imposition des mains,.
En 1952, il ouvre un cabinet de consultations aux Abatilles. Bientôt Sa clientèle afflue et même de loin car il soigne grâce au « World telepsychic service », au moyen de lettres, de mèches de cheveux ou de photographies du malade. Profondément mystique, il s’attache avec ferveur à l’Eglise gallicane et, le 11 novembre 1965, le Saint Siège ecclésial de Genève le nomme évêque titulaire de Glastonbury. Mais la même année, les choses tournent mal pour le professeur Martin : il est cité à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Bordeaux pour exercice illégal de la médecine. Il cesse alors ses activités et décède en 1966. Sa statue que l’on peut voir dans le parc des Abatilles, réalisée par Claude Bouscaud dès 1962, est financée par des malades reconnaissants et prouve sa célébrité. Dans cette histoire, que seuls se montrent goguenards ceux qui, un jour, n’ont plus su à quel saint se vouer pour guérir !
Le bain de mer.
Bien évidemment, la source Sainte Anne et le professeur Martin ne suffisent pas à expliquer pourquoi Arcachon a pu établir une part de son développement depuis le XIXème siècle sur sa bonne réputation de ville de santé. Deux événements fournissent cette explication. Le premier, c’est celui du développement la mode des bains de mer lancée en 1815, en France, à Dieppe, par la duchesse de Berry. Au début, cette mode naît du simple plaisir de profiter des joies de se plonger dans l’eau du Bassin au cours d’un séjour qui plonge le visiteur dans un univers tout neuf. En 1825, un client du premier hôtel arcachonnais, justement baptisé « Bel Air », celui de François Legallais, le journaliste bordelais Edmond Géraud rapporte ainsi ces plaisirs aquatiques arcachonnais : « Les hommes et les enfants se baignent souvent deux fois par jour, tandis que, pendant ce temps, à quelques pas d’eux, les dames se baignent, enveloppées dans de grandes robes de cotons ou de laine faites exprès. Pendant ce temps mon beau-frère, M. Hyppolite, m’apprend à nager dans diverses attitudes ». Et ces joies de la baignade qui rythment le séjour de la famille Géraud, sont entourées de plaisirs simples qui donnent toute sa saveur à la vie. Et Edmond Géraud de citer : « les délicieux repas où abonde le poisson le plus frais et le plus savoureux, tandis qu’à d’autres repas, nous serons occupés uniquement à manger des huîtres fraîches ». Le tout pour six francs par jour. Un beau matin, beaucoup des pensionnaires de M. Legallais, « pieds nus et retroussant jupes et pantalons », se risquent à longer le rivage en découvrant son univers « les étoiles de mer, les crabes les plantes marines en forme de houppes (…) les hippocampes qui ont tant de grâce, (…) et les ailes azurées et diaprées du grondin, comme celles du papillon.
Des bains sur ordonnances.
Mais la naissance de ces bains de mer est bien antérieure à 1815 et déjà très marquée par son aspect médical, puisque c’est en 1750 qu’un médecin britannique, le docteur Richard Russel, est le premier à publier un ouvrage décrivant les bienfaits des bains de mer sur diverses maladies. C’est en partant de ses conseils que le roi George III, surnommé « le fou », est plongé dans l’eau de mer à Brighton. Cependant le remède est insuffisant puisqu’en 1810 Georges III doit abdiquer. Quoi qu’il en soit, il apparaît très tôt qu’il faut vraiment une bonne raison –fut-elle la folie- pour se jeter dans de l’eau froide, une opération jugée saugrenue et même dangereuse si elle n’est pas sérieusement contrôlée par le corps médical. En voici des preuves. En 1869, un certain docteur Decaisne publie un « Guide médical et hygiénique du voyageur » dont un long chapitre est consacré aux bains de mer. Dont le touriste doit se méfier. On peut y lire ceci : « On croit que l’eau de mer est inoffensive : c’est une erreur très grave ; il ne faut la considérer que comme un stimulant énergique dont on doit user avec une entière réserve, si l’on ne veut s’exposer à de très grands inconvénients ». En 1851, le médecin bordelais Aubert publie un ouvrage intitulé « Le guide médical du baigneur à la mer ». Il assortira ses remarques de conseils essentiels à la survie du nageur, à savoir, par exemple :
- Après les émotions vives ne te baigne pas.
- Après une nuit d’insomnie, ne te baigne pas.
- Déshabille-toi lentement mais entre aussitôt dans l’eau.
- Jette-toi dans l’eau tête la première mais si tu ne sais pas nager, immerge-toi en un instant.
- Coiffe-toi d’un chapeau à larges bords.
- Préfère le bain chaud qui fait pénétrer dans le corps beaucoup des substances contenues dans l’eau de mer.
- Abandonne le bonnet à taffetas qui donne des névralgies.
- Sors de l’eau avant le second frisson, etc.
La médecine va donc s’emparer de la surveillance de la bonne santé des baigneurs, ce qu’attestent, entre autres, des publications médicales émanant de médecins arcachonnais. C’est ainsi qu’en 1853 le docteur Emile-Louis Pereira écrit un mémoire sur le thème « De l’influence des bains de mer d’Arcachon ». En 1855, le docteur Gustave Hameau publie « Quelques avis sur les bains de mer d’Arcachon » et, entre 1856 et 1866, il va multiplier les communications sur les bienfaits des bains de mer locaux et sur le climat arcachonnais. Tellement que le milieu médical français reconnaît l’intérêt de ses publications, comme on peut le lire dans « Le Journal de médecine et de chirurgie pratiques à l’usage des médecins », publié à Paris en 1872.
C’est mieux ici qu’ailleurs
Il est vrai que le docteur Gustave Hameau a produit des observations chiffrées très précises sur l’eau du Bassin et sur le climat arcachonnais. Des informations que l’on retrouve dans le « Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales », publié dans les années 1870 et qui permettent de comprendre comment on soigne par l’eau de mer et pourquoi c’est mieux ici qu’ailleurs. A la rubrique « Arcachon », on peut d’abord noter les particularités physiques de la plage locale : « Les baigneurs peuvent aller, à marée haute, à pied, jusqu’à cent mètres du lieu où ils se mettent à l’eau. La disposition du sol faiblement inclinée permet d’abandonner les enfants à leurs ébats ». Néanmoins, il existe par pure précaution « des baigneurs de profession chargés de les garantir ».
Certes, peut-on lire : « le site très protégé ne permet pas les bains à la lame, ceux qui conviennent le mieux aux malades qui ont besoin d’une action tonique. Par contre, c’est un avantage pour les malades qui contractent aisément des rhumes sans réaction facile qui peuvent se baigner longtemps et sans danger dans les eaux calmes et chaudes du Bassin ».Il n’y a pas que les rhumes qui sont soulagés : « Les bains de mer prolongés pendant deux heures dans les eaux du Bassin réussissent presque toujours dans les métrorrhagies antérieures, rebelles aux traitements les plus rationnels. L’écoulement sanguin diminue quelquefois même dès le premier bain et ne tarde pas à s’arrêter tout à fait ». Ces guérisons s’expliquent, dit le dictionnaire, parce que, selon des analyses menées scientifiquement avant 1870, les eaux d’Arcachon contiennent beaucoup plus de « matières fixes » que les eaux de l’Océan ou de la Méditerranée. On y remarque en particulier, précise le dictionnaire, qu’elles sont nettement plus riches que les autres en chlorures de sodium, de magnésium, de calcium, en sulfate de magnésie, de chaux ou de soude et surtout de carbonate de chaux et de magnésie.
Autre sérieux atouts d’Arcachon par rapport aux stations concurrentes relevés dans ce même dictionnaire : la protection complète de la plage contre les vents d’ouest fait que « l’on s’y baigne comme dans une vaste piscine d’eau de mer où l’eau est même quelquefois trop chauffée par les rayons de soleil durant les jours caniculaires ».
Dans un établissement de bains
Cependant des établissements de bains chauds se sont créés. Il est intéressant de visiter les deux installations qui existent en 1870, telles que des médecins les décrivent : « Ils sont bâtis sur pilotis afin que lorsque la mer bat son plein leurs rez de chaussée ne soient pas immergés. Ils se trouvent sur la plage d’Arcachon, l’un à droite, l’autre à gauche du vaste et bel hôtel de la Plage. Le grand établissement, à gauche, se compose de deux étages, l’inférieur à deux mètres environ au-dessus de la plage est traversé par deux couloirs conduisant aux dix-huit cabinets sans vestiaires, dont neuf sont destinés à chaque sexe. Ces cabinets de deux mètres carrés contiennent des baignoires de cuivre dont l’intérieur est émaillé et au-dessus desquelles sont scellés deux robinets qui versent à volonté l’eau de mer froide ou artificiellement chauffée. Seize de ces cabines sont exclusivement réservées aux baigneurs à l’eau de mer, les deux autres reçoivent de l’eau douce pour bains simples ou médicamenteux.
Le premier étage du grand établissement contient onze compartiments dont neuf servent de vestiaires à une seule personne et deux à quatre ou cinq personnes à la fois. C’est l’étage consacré aux baigneurs à l’eau froide qui descendent directement dans le Bassin pendant la marée haute ou vont chercher le flot après avoir revêtu leurs costumes. Cependant, lit-on encore : « Les deux établissements d’Arcachon manquent d’une installation balnéaire suffisante. Il y manque par exemple un système de douches variées, suppléant, au gré du médecin, à l’indication quelquefois formelle d’administrer des douches générales ou locales, fortes ou faibles, à plein jet ou à jet capillaire, descendant, montant ou horizontal en pluie chaude ou froides, suivant les règles d’un traitement méthodique par l ‘hydrothérapie marine ». Bref, il ne reste plus qu’à inventer la thalassothérapie ! Mais, rétorquent les médecins arcachonnais, « ces bains chauds ont beaucoup moins utiles à Arcachon que sur les bords de la Manche, par exemple, où le climat ne permet pas aux malades délicats de se baigner chaque jour dans l’eau de mer ». De plus, les bains arcachonnais ont un sérieux avantage, ajoutent ces médecins: « les bains de décoction d’aiguilles de pin y sont assez souvent employés. Ils s’emploient pour la cure des rhumatismes et des maladies auxquelles une médication balsamique est appropriée ». Tant et si bien que si, en 1858 on compte déjà ici 6 308 baigneurs, l’on en verra 11 000 en 1864, dont plus de mille étrangers. Ils profitent d’une « saison » que ces mêmes médecins situent de la deuxième quinzaine de mai et finit aux derniers jours du mois d’octobre.
La bonne réputation des bains de mer arcachonnais est donc si bien établie que l’on peut lire dans le premier tome du « Dictionnaire général des eaux minérales et d’hydrologie médicale », paru en 1860 : « Nous ne connaissons aucune station qui offre un ensemble de conditions médicinales plus favorables qu’Arcachon ». Et plus loin : « La mer tiède et peu agitée d’Arcachon constitue un bain médicamenteux qu’il est toujours possible de prolonger et la station peut s’accommoder à bien des conditions de constitution ou de maladie auxquelles d’autres stations marines ne pourraient convenir ».
Du bain de mer au bain de sable
Mais le bain de mer ne serait rien sans la plage. Citons à nouveau l’encyclopédie au sujet d’Arcachon : « Une plage au sol sablonneux, très fin et très doux que la mer découvre deux fois en vingt-quatre heures, à peine recouverte de quelques coques et de quelques bancs de varech ». Les spécialistes précisent à ce sujet : « les sujets lymphatiques ou scrofuleux se trouvent bien très promptement de passer la majeure partie des jours sur le sable uni et peu longtemps humide à marée basse. » D’ailleurs, le docteur Arthur Bourcart souligne en 1890 : « Le corps médical n’a cessé d’attirer l’attention sur les bons effets obtenus par ce traitement ». Et dans son très sérieux rapport sur « L’absorption cutanée des médicaments », publié en 1900 par le docteur Gérard Encausse, on lit, pour corroborer cette remarque : « Les bains de sable d’Arcachon ont une efficacité très grande pour améliorer les tumeurs blanches et les adénites scrofuleuses ». Ces bains participent à ce que les médecins locaux les appellent « L’arénation ». Oscar Dejean l’explique dans son si précieux guide paru en « Arcachon et ses environs », paru en 1858 : << Quand le soleil a fortement chauffé l’arène, le malade se fait recouvrir tout le corps ou seulement une partie si le siège du mal est peu étendu, de cinq à six centimètres de sable brûlant. Il reste ainsi exposé à l’ardeur du soleil autant que ses forces le lui permettent en ayant soin de de tenir sa tête à l’abri d’un parasol ou d’un berceau de feuillage. Lorsque sa figure est ruisselante, on enveloppe le malade dans une couverture et on le met au lit, en lui faisant prendre au besoin un consommé et même un verre de vin >>.
C’est dans l’air
Autre élément vital de base qui fait d’Arcachon une « Ville de santé » : son air. En 1850, déjà, le romancier Saint-Rieul-Dupouy écrit : « Le charme d’Arcachon, (…) c’est d’être tout le jour, assis nonchalamment à l’ombre en respirant cet air tout chargé d’effluves pélagiennes et du parfum des pins que le vent vous apporte de cette immense forêt qui n’a pas moins de cinquante lieues et qui va jusqu’en Espagne ». Plus prosaïque, mais tout aussi enthousiaste, le « Journal de médecine et de chirurgie pratiques à l’usage des médecins praticiens », paru à Paris en 1872 souligne : « Des études justement louées par le rapporteur à l’assemblée de l’Expansion scientifique française, ont été publiées par le docteur Hameau où l’on remarque que le climat d’Arcachon a d’intéressantes influences dans quelques maladies de poitrine ».
Comme on l’a dit, le docteur Gustave Hameau a fait des études considérables sur le climat local qu’il a publiées dans plusieurs ouvrages dont ses observations climatiques relevées dans on ouvrage « De l’influence du climat d’Arcachon sur des maladies de la poitrine ». Plusieurs tableaux comparatifs, bourrés de chiffres, conduisent Hameau à des conclusions précises. Par exemple, sur six ans, il constate qu’en hiver, relevées à midi et à l’ombre, les températures à Arcachon sont supérieures de trois degrés C. en moyenne à celles de Bordeaux.
Un autre tableau montre ceci, dit Hameau : « les températures arcachonnaises ne sont pas soumises à des variations brusques, dans la forêt surtout à aucun moment de l’année et particulièrement pendant les mois froids ».
En ce qui concerne la pluviométrie, les chiffres cités par Hameau montrent qu’il y a en moyenne 103 jours de pluie contre 255 jours « sereins », comme on peut le lire sur le tableau ci-dessous. Des relevés récents confirment bien que l’on trouve ici 2200 heures de soleil par an en moyenne (2700 à Ajaccio) ; la température moyenne de l’air est de 13° et de 5° pour le mois le plus froid (janvier) alors que la pluviométrie est relevée à 800 mm pour un jour de pluie sur trois. On a donc affaire à une variante de climat océanique doux, hiver comme été, sans forts contrastes néfastes aux organismes, comme l’a souligné Hameau.
De plus, des auteurs de l’énorme encyclopédique des sciences médicales » parue à partir de 1840 écrivent déjà : « A Arcachon, l’hygromètre à cheveu de Saussure marque en moyenne à Arcachon à huit heures du matin, 91° d’humidité et 89° à midi si bien qu’il est peu de jours où les malades soient privés de se promener dans la forêt dont le sol ne retient pas l’humidité qui n’est réellement perçue que par des temps de brouillard relevés quatre jours par an en moyenne ». Autre citation du même ouvrage : « le papier de Bérigny atteint dans la forêt d’Arcachon, après quelques heures d’exposition seulement son plus haut degré de coloration ce qui démontre la quantité considérable d’ozone que son air résineux contient ». Or, précisent des rapporteurs du 4ème congrès de Climatologie : « L’ozone augmentant le nombre des globules rouges du sang, la forêt d’Arcachon est aussi conseillée aux neurasthéniques irritables ou anémiques ». Gustave Hameau va alors s’attacher à démontrer l’« Action du climat maritime sur les affections de la tuberculose ».
Mais c’est bien avant les constatations de Gustave Hameau qu’ont été notées les premières remarques sur les vertus du climat arcachonnais pour lutter contre les maladies pulmonaires. Déjà, en 1843, le docteur Joseph Emile Pereyra, un médecin bordelais, a livré ses remarques sur le fait que la tuberculose pulmonaire ne frapperait pas les marins et les résiniers testerins, malgré leurs mauvaises conditions de vie. Il a constaté aussi les effets bienheureux sur la santé de certains de ses patients qu’il envoie en séjour prolongé à Arcachon. Donc, il écrit en 1843 dans son ouvrage « Traitement de la phtisie pulmonaire » : « Je ne doute donc pas que la plage d’Arcachon ne soit fréquentée un jour par beaucoup de personnes atteintes de phtisie commençante et que leur constitution n’y soit modifiée de la manière la plus heureuse ». En 1853, renforcé par dix ans d’observations, le docteur Pereyra diffuse une communication notant : « l’influence des bords du Bassin d’Arcachon sur les tuberculeux pulmonaires et les malades du cœur et sur l’habitation de cette plage pendant l’hiver par les personnes atteintes de maladies chroniques ». En même temps, le docteur Jean-Isidore Sarraméa, spécialisé dans les maladies infantiles, livre un mémoire intitulé « Pour la fondation sur les bords du Bassin d’Arcachon d’une colonie de jeunes détenus lymphatiques, scrofuleux ou tuberculeux ».
Un peu plus tard, le 6 juillet 1857, dans le journal La Gironde, le docteur Pouget, médecin-inspecteur des bains de Royan, et qui, de ce fait, ne peut être soupçonné de partialité, écrit : « Arcachon s’occupe activement d’organiser pour les malades une saison d’hiver ; nulle localité ne se prête mieux à la création d’un établissement de ce genre, puisqu’elle possède (…) les émanations balsamiques de ses vastes forêts de pins ». Quant au docteur Mels, médecin hollandais chargé d’inspecter par son gouvernement des stations hivernales françaises, il a écrit au docteur Pereyra, à la fin de l’année 1856 : « les phtisiques ne sauraient trouver ailleurs qu’à Arcachon, de meilleures conditions hygiéniques et médicales ». En 1868, le docteur André Dupouy écrit dans sa thèse : « Pour les soins des voies respiratoires qui conservent une certaine réaction, Arcachon jouit du privilège d’être à l’abri des vents de tous côtés et d’être situé dans une zone où les pins résinés apportent le concours bienfaisant de leurs émanations balsamiques qui viennent s’ajouter à celles de l’air et de l’eau de la mer. C’est cette circonstance qui donne à Arcachon une supériorité si grande dans bien des cas de phtisie sur les rivales de la Méditerranée ». On le constate, en moins de vingt-cinq ans, la bonne réputation d’Arcachon sur la thérapie des maladies pulmonaires n’a fait que croitre et embellir. D’autant plus que l’on cherche par tous les moyens à vaincre la tuberculose, une véritable plaie. « Il faut songer qu’à l’époque, relève le docteur Robert Fleury, la phtisie, comme on disait alors et dont on ignorait les causes, massacre 90 000 Français par an, dont beaucoup de jeunes ».
Le docteur Fernand Lalesque et la cure libre
En 1857, l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Bordeaux et Arcachon va faciliter l’arrivée de malades dans la ville. Leur nombre va s’accroître avec la construction de la ville d’hiver. Curieusement, la vie mondaine que ses créateurs souhaitent y développer va cohabiter avec une innovation des médecins arcachonnais en matière de thérapie contre la tuberculose : la cure libre. En quoi consiste-t-elle ? C’est le docteur arcachonnais Fernand Lalesque qui en est le théoricien et qui la résume ainsi dans son ouvrage « La cure libre de la tuberculose pulmonaire », publié en 1899 et réédité en 1904. Il en parle d’autant mieux, que, deux médecins normands ont écrit : « La dénomination, la réglementation et la propagation de la cure libre appartiennent à Lalesque ». Ils ajoutent : « Pour la première fois, il a imprimé le mot cure libre, l’opposant à la cure fermée ».
Le principe de cette cure repose sur une méthode conçue par la célèbre infirmière britannique Florence Nightingale (1820-1910) et expérimentée sur lui-même avec succès, en France, par le docteur Henri Bennett. Mais, écrit Lalesque, « soit routine, soit crainte de heurter les préjugés de leur clientèle ou les idées régnantes, les médecins français ont négligé cette méthode ». Or, le courage de Lalesque, appuyé par deux de ses confrères arcachonnais, les docteurs Festal et Paulier a été, dès 1894, de faire œuvre de praticien en appliquant sur le terrain, à destination du public et pour la première fois dans le monde, la thérapie qu’il préconise. Pour la désigner, il reprend le mot « l’aération » et, en 1904, il parlera même de « suraération ». Il la résume ainsi : « Le tuberculeux doit vivre en air pur, frais, renouvelé par tous les temps, il doit être soumis à l’aération diurne et nocturne après enveloppement approprié du corps et des extrémités, à l’opposé même des malades pour qui toute l’hygiène consiste à se calfeutrer en air confiné et à s’étioler en atmosphère sèche, surchauffée à 20° ». Il précise aussi : « Le froid, la chaleur, la sécheresse ou l’humidité ne sauraient devenir une contre-indication à cette cure de suraération continue ». On en verra une illustration ci-dessous.
Cette thérapie s’oppose aussi à la cure d’altitude ou en grands sanatoriums. Effectivement Lalesque écrit : « Certains médecins ont cherché à faire du sanatorium un système absolu. En réalité, tous les principes de la cure libre sont applicables à domicile ». Il insiste aussi sur le fait qu’il « faut apporter aux malades une sollicitude constante ». Ce qui explique que les cures libres à Arcachon, souvent accompagnées par la famille du malade. Mais il ajoute, ce qui correspond assez peu à l’éthique médicale : « Ces soins sont applicables au domicile des malades d’une fortune suffisante ». Il est vrai que les tarifs de cure sont élevés. En 1903, à l’hôtel des Pins, il faut compter 22 F. par jour et par personne (125 €), l’hôtel « Moderne » (Ex Sanitas) revient à 27 F. par jour (136 €). La location d’une petite villa ne coûte que 150 F. par mois (900 €). Quant au « véritable jus de bifteck » la pharmacie Centrale en vend 3,50 F. le petit flacon. (19 €). A cette époque, le salaire moyen journalier d’un ouvrier à Paris, calculé sur trente-quatre emplois est de 4,73 F. On voit donc que, si la cure libre connaît une limite, elle est évidemment d’origine sociale, d’autant plus qu’elle doit durer plusieurs mois.
Sur le strict plan médical pour défendre sa conception de la cure libre, Lalesque a analysé 252 cas en se basant sur les observations conduites par les malades eux-mêmes. Il en a tiré des données dont les professeurs Chuquet et Proust ont dit : « Lalesque a publié des statistiques encourageantes ». Mais ils ajoutent prudemment : « Est-ce au climat d’Arcachon ou à la stricte règles de la cure hygiénique qu’il faut attribuer les succès obtenus ? ». Cependant, Lalesque dit de ses résultats : « Ces chiffres sont relatifs soit à des aggravations, soit à des améliorations, soit à des guérisons, tout au moins apparentes et dont quelques une sont devenues définitives. » Quelques unes seulement… En1867, Gustave Hameau avait cité des chiffres : sur cent cas de phtisie, il avait relevé trente-six décès, huit guérisons, douze aggravations et quinze améliorations. Mais, fait observer Lalesque : « La réalité de nos statistiques est faussée par le fait que de malheureux phtisiques viennent mourir chez nous après avoir demandé aux sanatoriums classiques ce qu’ils ne pouvaient leur donner ». Il n’en reste pas moins que le chiffre de 6,5 % de guérison est admis.
Autre élément de la cure libre préconisée par Lalesque : à la cure d’air doit s’ajouter la cure de repos. Un des cas étudiés par Lalesque en en 1894 donne une idée de ce qu’elle peut être. Elle doit se dérouler dans des locaux adaptés, dans une chambre sans tapis ni rideaux, largement ouverte de 6 h. du matin à 9 h. du soir. Le malade doit rester toute la journée dehors sur une chaise longue abritée.
Voici un document qui illustre trois des autres grands principes de la cure libre. On remarque ceci :
- C’est le malade lui-même qui établit le relevé de ses observations car il faut qu’il soit actif dans sa cure. Un exemple de cette activité qui lui est demandée : il doit apprendre à discipliner sa toux.
- L’organisme doit être renforcé. D’où une nourriture abondante. Lalesque recommande aussi la consommation d’huîtres, riches en iode et l’ingestion de « remèdes à base d’œufs, de viande crue et de jus de bifteck ».
- On renforce aussi l’organisme par sa capacité à résister au froid.
On notera, dans le détail des menus, les grosses quantités d’aliments ingérés ainsi que, pour ce jour du 21 décembre, les dix-neuf heures, sur vingt-quatre passées dehors par le malade.
Puis Lalesque intègre à la cure libre un « matériel » mais des plus simples car débarrassé, dit-il de « tout cet attirail » utilisé en cure fermée (Machine respiratoire calorifère à air chaud, miroirs pour capter le soleil, courbure des chaises longue, vitres perforées, etc.) Dans le « home sanatorium » qu’il préconise, on peut utiliser « le paravent abri » le « hamac portatif » ou enfin, la galerie installée au cœur de la forêt. La cure en bateau se révèle aussi très efficace, souligne Lalesque. Il publie plusieurs exemples de son bénéfice, car, dit-il, « Elle met le malade dans un état contemplatif, proche de la vie végétative, exempte de toute passion qui est la première condition de sa guérison ».
Un habitat adapté aux malades
Enfin, c’est l’habitation du malade qui doit faire l’objet d’un aménagement particulier, tel que l’on parlera même de « villa hygiénique », conçue par l’architecte Eugène Ormières, l’inamovible architecte arcachonnais à l’époque. Après « Laennec », une vingtaine de ce type de villas a été construite et on peut encore les voir aujourd’hui. Elles se reconnaissent facilement, d’abord car leur taille est beaucoup plus petite que les grandes maisons de la Ville d’hiver. Ensuite, on remarque que leur conception repose sur les principes suivants : la maison est surélevée de façon à être isolée de l’humidité du sol, l’air et la lumière y entrent à foison grâce à de larges et hautes ouvertures sur une façade toujours exposée au midi. A l’intérieur, les appartements doivent avoir une forte hauteur sous plafond, des murs sans aucun angle saillant. Ils doivent être peints, sans reliefs, sans capitonnage ni rideaux aux fenêtres, les planchers seront unis grâce à des revêtements spéciaux et les cuisines aérées et lumineuses.
Ces règles essentielles d’aménagements de ces maisons hygiéniques on devrait les retrouver dans les hôtels de la « ville hygiénique », tel le tout nouveau « Hôtel Sanitas », construit selon les conseils de médecins locaux et dans lequel il semble bien avoir eu des intérêts financiers. Des médecins visiteurs le décrivent ainsi : « Installé en forêt, pourvu de chambres vastes et ouvertes sur très larges baies et toutes munies d’un balcon pour l’installation d’une chaise longue. C’est un progrès sérieux timidement installé dans quelques villes de France ». Devenu hôtel Moderne, on lit sur sa « réclame » : « Aménagement selon les dernières règles de l’hygiène, mobilier aseptique, parquet en xyolite », un revêtement uniforme et lisse qui imite le bois et qui facilité le nettoyage.
Quant à la prophylaxie, elle doit jouer un rôle essentiel. Aussi Lalesque insiste-t-il par exemple sur l’indispensable crachoir de poche, encore peu répandu et remplaçant le mouchoir habituel. En 1899, les pharmaciens arcachonnais en ont vendu 760. Enfin, Lalesque ajoute à la pratique de la cure libre l’importance de la désinfection qui permet d’éviter la contagion. Une blanchisserie communale et un Comité d’hygiène communal seront même créés.
Scepticisme et hostilité
On se doute bien que la cure libre arcachonnaise a soulevé un certain scepticisme. Michelet, dans son ouvrage « Renaissance par la mer », écrit en 1861 : « Arcachon est aussi très doux dans ses pignadas résineuses qui ont une si bonne odeur de vie ». Mais il ajoute aussitôt : « Sans l’invasion mondaine de Bordeaux de cette grande et riche Bordeaux, sans la foule qui, à certains jours, afflue et se précipite, c’est bien là qu’on aimerait cacher ses chers malades ». Deux professeurs de médecine ne sont guère enthousiastes. Le Bordelais Xavier Arnozan dit : « À Arcachon, on meurt moins qu’ailleurs » et Paul Carnot observe : « Arcachon ne convient qu’aux petits tousseux ». La cure libre soulève même de franches oppositions. La Société des Chirurgiens de Paris beaucoup plus hostile décrète : « La mer ne pourra jamais soigner la tuberculose ». Quant à l’Académie de Médecine elle se montre encore plus incisive : « Nous contestons les bienfaits de cette cure ». Dans le « Guide des Stations hivernales françaises » paru en 1868, le docteur Chapouillon, après avoir exposé « les vicissitudes atmosphériques du climat hivernal arcachonnais », ajoute avec ironie : « le patronage d’une puissante compagnie financière peut triompher de bien des obstacles, mais elle ne peut vaincre les éléments ». La banque Pereire est clairement visée ! Si bien que le docteur conclut : « je maintiens cette résidence dans la liste des stations hivernales mais sous toute réserves et en dégageant entièrement ma responsabilité ». Ainsi, les critiques ne manquent pas mais l’un des plus sceptiques serait ce chef de gare arcachonnais qui aurait déclaré : « Ils arrivent en sleeping, ils repartent en fourgon ». Mais pour proférer cet avis, il n’a que le pifomètre basé sur les avis de l’opinion publique et il lui manque les références scientifiques des autres détracteurs d’Arcachon ! Ce à quoi Lalesque rétorque en insistant sur les nombreuses constatations qui prouvent les bons effets de la cure libre et qui, de toutes façons, constitue une alternative aux soins prodigués dans les grands sanatoriums où le malade subit sa maladie plutôt qu’il ne la combat.
Des confrères pour Lalesque
D’autres médecins arcachonnais ont montré leur attachement à la cure libre. Ce sont d’abord les deux compagnons de Lalesque déjà cités: les docteurs André Festal et Joseph Pauliet. Le premier, installé à Arcachon vers 1890 il ne fut officiellement reconnu par le conseil municipal qu’en sa séance du 25 juillet 1947 « comme praticien bienfaiteur de la cité en raison de son activité scientifique dans le domaine du climatisme ». Il est vrai que spécialisé dans la médecine de cure, il avait fait de nombreuses communications dans des congrès médicaux consacrées aux effets des traitements climatiques sur la coqueluche, sur la tuberculose ou sur l’importance de la stérilisation.
Quant à Joseph Pauliet (1862-1926), un Bordelais installé à Arcachon en 1892, après une carrière en Algérie, il montre son attachement au bio- climatisme de Lalesque d’une manière qui va marquer l’histoire d’Arcachon. Ephémère adjoint de Veyrier-Montagnères, il lui réclame en 1897 : « la création à Arcachon d’un lycée climatique et colonial. Climatique car le climat exceptionnel de ce bassin marin permet d’y installer un établissement scolaire sain et aéré remplissant toutes les conditions exigées par l’hygiène moderne. Colonial car il enseignera les devoirs qui incombent aux colons afin de préparer une ère nouvelle de solidarité et de paix ». Comme il ne reçoit que très peu d’appui de la part de ses confrères médecins et de ses collègues du Conseil municipal de l’époque, son idée n’aboutira qu’en 1952 avec la création, sur un terrain communal du lycée climatique, le plus grand de France, un modèle du genre, largement ouvert sur la forêt grâce à des baies amovibles, doté de terrasses et de rotondes ensoleillées, conçu ainsi par l’architecte Paul Domenc, grand prix de Rome d’architecture en 1935.
Ces quatre médecins arcachonnais ont eu un précurseur et un successeur. Le précurseur, c’est Jean Hameau, le père de Gustave Hameau. En 1835, il envoie à l’académie de médecine de Bordeaux « Quelques avis sur les bains de mer » où il exprime son constat sur « le grand nombre de malades venus de pays lointains à Eyrac pour se baigner et souvent se retirer guéris ou soulagés ». Il constate aussi l’effet favorable des bains de mer et du changement de climat chez les enfants scrofuleux. Il annonce ainsi, écrit le professeur Jacques Battin : « la future vocation d’Arcachon pour soigner les tuberculeux ».
Pour les enfants malades
L’important successeur c’est le docteur Arthur Armingaud. Dans le Blayais où il a passé sa jeunesse, ce médecin bordelais (1842-1935) a été sensibilisé aux mauvaises conditions de vie des journaliers agricoles devenant ainsi souvent tuberculeux. Il va donc se battre pour que soit développée, au niveau national, une politique de prévention de la tuberculose, notamment tournée vers les enfants. En 1881, au Congrès scientifique d’Alger, dans le même esprit qu’Armaingaud, le docteur arcachonnais Bonnal déclare : « Il faut songer à la classe ouvrière et principalement à ces pauvres enfants des grandes villes qui vivent dans l’air vicié des galetas sordides où ils deviennent la proie de maladies incurables ». Les interventions de ce genre se sont multipliées si bien que le congrès international d’hygiène de Genève de 1882 charge Armaingaud d’établir un rapport sur l’installation de sanatoriums pour enfants. À travers la France, il donne alors de nombreuses conférences sur la création de ces hôpitaux. Ce sera le début d’un vaste mouvement national en faveur de tels établissements sanitaires. Voulant prêcher d’exemple, appuyé par un groupe d’amis, il ouvre dans une villa d‘Arcachon un petit établissement de soins pour vingt enfants scrofuleux nécessiteux, désignés par des sociétés de secours bordelaises. C’est un gros progrès social car, il faut bien le reconnaître, les cures arcachonnaises restent onéreuses comme le prouve ceci : en 1902, dans son ouvrage sur « Le traitement médical de la péritonite tuberculeuse », le docteur François Grange écrit: « Le cadre naturel d’Arcachon et son air sec et transparent sont autant de motifs qui permettent au médecin de diriger vers cette station ses petits clients riches ».
Avec Armingaud, on est donc loin d’une conception élitiste de la médecine. Si bien que les demandes d’admissions pour les enfants pauvres affluent. Mais Armingaud et ses amis n’ont pas de fonds. Par chance, en 1887, ils rencontrent à Arcachon Mme Engrémy dont le mari avait fait un legs à la ville pour « la construction d’un établissement charitable ». Avec l’appui de la Ligue française contre la tuberculose, elle peut ainsi participer au financer du projet d’Armingaud. Après certaines hésitations –les réticences financières de la ville et une pétition des riverains craignant la contagion- Armaingaud finit par disposer d’un beau terrain communal de deux hectares au Moulleau où, en 1887, il peut édifier un préventorium maritime destiné aux enfants entre deux et seize ans et pourvu, en particulier, de salle de classes. C’est aujourd’hui Saint Vincent-de-Paul. D’autres établissements suivront : un préventorium protestant et la Fondation Lalanne, ouverte avec l’appui de la ville de Bordeaux. C’est aujourd’hui « La Dune ». Rapidement, ils recevront chacun près de cinq cents enfants chaque année et ils seront les prototypes de ces écoles de plein air qui deviendront très nombreuses notamment après la seconde guerre mondiale en France et naturellement tout autour du Bassin, jusque vers la fin de dans les années 60. Pour diverses raisons politiques, économiques et médicales, Arcachon abandonnera bientôt son statut de ville sanitaire. Vers 1930, un reportage sur Arcachon, paru dans la revue du Touring Club de France ne comporte aucune mention sur la thérapie à l’arcachonnaise. Le guide Diamant-Hachette va dans le même sens lorsqu’il écrit simplement, en 1934 : « Arcachon est une ville de sports et la station par excellence de la navigation de plaisance ». D’ailleurs, à cette époque avec la municipalité Gounouilhou, Arcachon se vendra, comme « La Ville la plus sportive de France », grâce à ses nombreux équipements ». Désormais, le slogan arcachonnais ce sera : « la santé par le sport ».
Ils furent des précurseurs.
Néanmoins, près de 120 ans après les publications de Fernand Lalesque et celles d’autres médecins locaux, d’intéressantes observations montrent que l’importance qu’ils donnaient à la forêt de pins n’était pas une erreur. Le biologiste Jean-Marie Defossez vient de publier : « Sylvothérapie, le pouvoir bienfaisant de l’arbre ». Il y cite des chercheurs japonais qui, analyses à l’appui, ont démontré qu’après des marches en forêt, l’hormone du stress a diminué chez les marcheurs, que leur système immunitaire s’est renforcé et que leurs inflammations avaient été réduites. Il a observé aussi que contrôler son rythme respiratoire en forêt produit une cascade de modifications physiologiques et provoque un état de conscience modifié. Souvenons-nous que Lalesque demandait au malade de contrôler sa toux. Une autre étude est citée dans ce même livre : elle constate que les patients ayant vue sur des arbres depuis leur chambre d’hôpital avaient un taux de guérison plus important. D’autres observations montrent encore que respirer de la térébenthine accroit le transport d’oxygène ou que les bourgeons frais de pins sont minéralisants. On ne peut s’empêcher de rapprocher ces deux études, la première de la remarque de Lalesque disant l’importance vitale des « émanations térébinthacées » et la seconde de la fabrication d’extraits de sève de pins dont l’absorption redonnait des forces à son consommateur.
Alors, s’il ne devait rester qu’une chose, une seule, des travaux de Lalesque et de ses confrères arcachonnais, on la trouverait dans la conclusion de son ouvrage « La Cure libre des tuberculeux » publié en 1904 : « C’est notre honneur d’avoir établi que le malade pouvait être le moteur de sa propre guérison et qu’en disciplinant sa vie il pouvait rester en espérance ». En somme, Lalesque et ses amis ont montré la puissance de la volonté de l’homme face à la maladie. Ils ont fait confiance aux forces de la vie. La cure libre porte donc bien son nom puisqu’elle repose sur la liberté du malade qui lui donne de la force pour vaincre son mal. Ainsi, par la philosophie humaniste qui la sous tend, appuyée sur ces éléments vitaux que sont l’air, l’eau, le sable, et l’arbre et ainsi comme reliée à la sagesse des médecines asiatiques millénaires, la thérapie à l’arcachonnaise se raccroche à l’ universel.
Jean Dubroca
21, février 2018.
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