« Mourir à trente ans en 1814 » par Luc Frédefond.

TALENTS DU BASSIN (50)

par Jean Dubroca

 

Littérature/Histoire : « Mourir à trente ans en 1814 » par Luc Frédefond.

 

 

            Dans ses nombreux ouvrages, on s’aperçoit que Luc Frédefond aime vagabonder à travers l’histoire locale. Le dernier livre de cet Arésien n’échappe pas à la règle. Mais il est aussi une recherche sur la résolution d’un mystère : comment et pourquoi un certain habitant d’Arès, nommé Jérôme Jaffard, père de deux enfants, a pu mourir aussi jeune dans sa bonne ville d’Arès en 1814 où il est connu comme douanier et…instituteur ? Une double fonction qui n’était pas rare à l’époque où il était fréquent d’exercer plusieurs métiers, aussi mal payés les uns que les autres.

En ce 3 mai 1814, juste le jour où notre Arésien décède, rappelle l’auteur, Louis XVIII revient à Paris, Napoléon est exilé à l’île d’Elbe, la Restauration engloutit la Révolution. Déjà, depuis plus de trois mois, la Guyenne a été envahie par les troupes de la coalition des Anglais et des Portugais qui ont mené quelques combats jusque sur les bords du Bassin, lieu stratégique s’il en est car il permet d‘approcher facilement de Bordeaux. Mais le 12 mars, cette ville s’offre aux adversaires de l’Empereur. C’est cette période troublée et revancharde qui pourrait expliquer le décès du jeune douanier, suppute l’auteur.

 

Le village d’Arès, rattaché alors à la commune d’Andernos, compte 650 habitants, ce qui est relativement beaucoup puisque Lège n’a inscrit que soixante-deux électeurs sur ses listes et Mios 384. Or, en observant de près une carte du littoral arésien de cette époque, Luc Frédefond a découvert que sa zone côtière n’est occupée que par quelques cabanes de pêcheurs mais aussi par des établissements bains marqués « Jaffard et Templier ». Ce dernier appartient à une famille d’agriculteurs aisés et à une lignée de maire d’Andernos. Mais Jaffard ? Il découvre qu’il est le fils de Jérôme, le fonctionnaire décédé. Il se trouve qu’en 1814, Arès sort d’une situation politique troublée qui a vu son ancien maire-châtelain Martin Hirribarn, révoqué en 1808 pour contrebande alors que son fils marche sur les traces de son père, activité à laquelle il ajoute celle de pilleur d’épaves. Une occupation qui constitue depuis le moyen-âge qui l‘avait codifiée, une ressource importante sur cette côte océane. Mais les douaniers-militaires de l’Empereur veillent, tant et si bien qu’Hirribarn est arrêté pour ces délits en 1820, sur la côte de Piquey. Mais il est tout aussitôt libéré ce qui montre sa forte influence dans le pays.

 

Luc Frédefond constate qu’en 1814 le registre des décès où figure celui de Jérôme Jaffard n’indique aucune cause de sa mort. Alors, comparant cette époque de transformation et de revanche à celle de la Libération en 1944, il se demande si Jérôme Jaffard n’a pas été victime, à l’époque, d’une vengeance conduite par Hirribarn qui se savait déjà soutenu par le nouveau régime.

L’intérêt du livre vient donc de cet essai de résolution d’une énigme mais aussi de la reconstitution de certaines activités illégales mais courantes et ancestrales sur cette côte sauvage et qui faisaient l’objet d’une « omerta » mais que le douanier-instituteur Jaffard aurait combattues. En même temps que l’auteur donne beaucoup d’informations sur les relations qui existaient entre les familles de ces trois secteurs formés par Lège, Arès et Andernos. Par exemple la seconde femme de Taffard qui, après avoir épousé un certain Louis Nicolas Eudes, fut la mère de Louis Adolphe Eudes, un sculpteur célèbre né à Arès et demi-frère du fils de Jérôme Taffard. Au fil du récit, il dresse aussi quelques portraits de personnages qui ont vécu à Arès au moment des faits, tels le docteur Jean Hameau qui y fut officier de santé ou la petite-fille du marquis de Civrac, liée à une société secrète. Voilà donc un récit qui nous plonge au cœur même de la vie d’Arès au début du XIXème siècle et qui ne manque donc pas d’intérêt pour qui s’intéresse à l’histoire locale.

 

Jean Dubroca.