59- Talents du Bassin.
par Jean Dubroca
– Littérature (Roman) : « L’Imparfait sortilège ou Le Déni de l’absence». Paule Lapeyre.
– Paule Lapeyre est née à Arcachon en 1935 où elle réside une grande partie de l ‘année. Docteur ès-lettres, elle est spécialiste de Rimbaud et de Verlaine auxquels elle a consacré plusieurs ouvrages. Son intérêt pour la poésie, elle l’a traduit aussi dans un livre original et rare : « Enseigner la poésie au lycée ». L’an dernier, elle avait publié « La Mer en Cendres » qui avait été sélectionné par le jury du Prix de l’Académie du Bassin. Sous ce titre figure une saga familiale algérienne qui s’étend de 1954 à 1962 où elle évoque la guerre d’Algérie et l’exode des « Pieds noirs » à travers des drames quotidiens mais aussi en décrivant avec exactitude tous les sentiments qui ont traversé cette population, ses rêves, ses illusions, son aveuglement et ses espoirs qui restent sa force.
Elle nous revient en 2018 avec un roman qui serait tout à fait différent du précédent s’ils n’avaient en commun la qualité d’un style classique, fait de phrases équilibrées, de mots précis et d’un rythme qui ne manque pas de variété ni de souffle.
Dans « L’Imparfait Sortilège ou le Déni de l’absence», (*) on pénètre dans l’univers subtil où navigue l’enfance et où flottent des sentiments aussi délicats que la force du souvenir, l’irréalité du rêve et de la présence de l’oubli qui ne veut pas fuir.
Tout commence lorsque la mort d’un proche n’est pas acceptée par toute une famille qui vit dans le refus de faire son deuil. C’est alors que le récit exprime toute son originalité car ce traumatisme est particulièrement dur à vivre pour les jeunes enfants de la maison. Paule Lapeyre décrit leur malheur de manière fort originale en réussissant à mêler la réalité à leur imaginaire et le souvenir du passé aux mouvements du présent. Un univers qui s’exprime par la description des jeux des enfants associés à la complexité de leurs inventions et des sentiments qu’elles recouvrent. C’est à dire la force des désirs inassouvis mêlés aux réalités de la vie. Un échange que les enfants réalisent par leurs jeux mais que les adultes ne peuvent maîtriser.
Tout cela est accroché à une intrigue qui tient le lecteur en haleine car l’impossible est attendu toujours, d’autant plus que des événements troubles se mêlent au récit. Et nous voilà au centre d’un écheveau de faits passés qui reviennent pour s’ajouter à un mystère et qui donnent une véritable densité dramatique au récit.
Image de couverture @Régine Rosenthal
Le roman se passe chez nous. Avec des personnages dont les portraits sont bien réussis car ils ne manquent ni d’humour ni d’un sens aigu de l’observation. Mais on y aimera aussi les fines descriptions des villas qui bordent le Bassin et celles des couleurs toujours nouvelles de ses eaux, de leurs formes que le vent modèle et la légèreté de l’air chargé de senteurs que l’on ne ressent qu’ici. Et puis, le roman nous entraîne dans cet univers de la dune du Pilat dknt il devient le centre avec ses vallonnements mouvants, ses glissements inexorables, comme ceux du temps qui passe et qui deviennent le cœur réel de sentiments subtils, qui, comme le sable qui recouvre la maison perdue, s’acharnent à refuser l’oubli.
Et comme le mouvement des phrases que Paule Lapeyre imprime à son récit devient de plus en plus envoutant on ne sait plus si l’on vit dans l’apparence ou dans la réalité. Mais ce n’est pas parce que le roman se déroule entre dune et Bassin qu’il y reste cantonné. Nos paysages ne servent ici qu’à valoriser tout ce qui circule au au plus profond des êtres, en tous temps et en tous lieux. Par les thèmes qu’il développe, il touche à l’universel.
J.D.
20 avril 2018
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(*) Les éditions de l’Officine.