61- TALENTS DU BASSIN
par Jean Dubroca
– Littérature : « Même le scorpion pleure » par Guy Rechenmann. (Roman sélectionné en vue du Prix littéraire de l’Académie du Bassin) (*)
On connaît le fin chroniqueur hippique et le présentateur plein d’humour ironique de la météo sur FR3-Nouvelle Aquitaine. On connaît aussi l’auteur de polars auquel on doit des délices littéraires dans de titres comme « Flic de papier », « Fausse note » ou « À la place de l’autre ». Et voilà que Guy Rechenmann nous revient avec un nouveau roman policier particulièrement original : « Même le scorpion pleure » (**) où l’on retrouve son policier bordelais, modèle pas courant : Anselme Viloc, venu d’Annecy d’où le poursuit une continuelle douleur morale
.
Le voilà pour un mois de vacances qu’il compte bien passer en père peinard, un peu avant que les touristes ne fassent déborder la presqu’île et lui laissent encore ses aises dans ses bistrots et restos préférés du Cap Ferret et un accès facile à sa cabane où il réside avec sa femme, Sylvia, au Canon. Sylvia, que les exigences de l’administration obligent à vivre du dur métier d’ostréicultrice, afin de conserver cette cabane au bord de l ‘eau. Ce qui nous vaut d’excellentes descriptions des reflets du soleil sur les vasières du Bassin et sur le charme tranquille des ruelles des ports en bois mais aussi, par contraste, des détails sur la difficile vie quotidienne des ostréiculteurs que ce cadre de carte postale en couleurs de guimauve camoufle injustement.
Mais cette plénitude paysagère qui pousse Anselme à la méditation tranquille est brusquement rompue car rien, évidemment, ne se passe comme prévu. Les rêves de vacances de Viloc en eaux paisibles s’écroulent devant la mort subite de son vieil ami, l’indestructible Augustin, juste au moment où il vient de vendre en viager sa maison de Piraillan. Tout ça, parce que durant l’enterrement de son copain, Viloc y remarque le sourire carnassier d’un assistant aux obsèques qui n’est autre que le veinard acheteur de la villa. Et ce sourire, dès lors, ne va pas cesser de le hanter parce que c’est justement l’acheteur de la maison d’Augustin qui l’arbore. Et cette hantise va devenir de plus en plus prégnante puisque d’autres vendeurs de maisons en viager décèdent subitement dans le secteur. La petite collégienne Lily, sa voisine, ne manque ni de bon sens, ni de spontanéité pour le ramener vers des sentiers plus raisonnables que ceux vers lesquels sa peine et sa féroce envie de découvrir la vérité pourraient l’entraîner. Un état d’esprit que l’auteur décrit avec nuance et subtilité. La plaisante peinture et les croquis bien vus des silhouettes de passage et des personnages principaux donnent du sel marin au récit et sont d’ailleurs l’un des charmes du roman. Un plaisir de le lire car, dans son le style, il y a comme de l’Audiard dans un air où l’on respire aussi du Frédéric Dard, mêlé à la noirceur parodique des polars américains des grandes années 50 avec leur lot d’angoisses, de morts en cascades et d’enlèvement qui, dans les dernières pages du récit, donnent un coup de fouet à l’intrigue.
Mais le roman de Rechenmann se distingue d’un polar banal par son originalité rare. Cela vient d’abord de ce que Viloc va démêler des crimes liés à des manigances très actuelles car reliées à certaines des ces combines financières internationales, via des paradis fiscaux et qui pourrissent la vie économique. Il en démonte bien le mécanisme étonnant et cela ne manque pas d’intérêt, sinon d’indignation rentrée. Mais le comble de l’originalité est atteint lorsque se mêlent à l’enquête les propositions du professeur Yves Rocard sur « Les Sciences des sorciers », c’est à dire la géobiologie et l’influence des ondes magnétiques souterraines sur les événements. La circulation interne de l’eau et les grands axes des mouvements magnétiques interviendront juste à temps pour que, curieusement, l’enquête avance. D’où un certain ésotérisme dans le récit ce qui ne fait qu’ajouter au suspense d’autant plus qu’intervient dans un univers où s’imbriquent des éléments apparemment sans aucun lien entre eux. Surtout lorsqu’intervient Gédéon, le chat à trois pattes d’Augustin, qui en sait beaucoup plus qu’il ne peut en dire et qui, pourtant, fera avancer les policiers, dont Jérémy le fidèle adjoint de Viloc, sur le chemin de la vérité.
Enfin, surprise : « Même le scorpion pleure » offre deux enquêtes. D’abord, Anselme se démène dans la recherche des tueurs de vendeurs en viager contre un procureur sceptique et son chef, le pittoresque commissaire Gautier qui ne pense –apparemment- qu’à lutter contre la canicule qui étouffe les vétustes bureaux de la rue Casteja, En même temps, Viloc s’est lancé dans la recherche de ses origines familiales puisqu’il est un enfant de la DASS. Là aussi, luttant contre une administration muette et contre ses propres angoisses de garçon perdu, il nous réserve bien des surprises.
Bref, un polar qui sort de l’ordinaire, qui valorise les paysages et les gens du Bassin et dont l’intrigue, complexe sans être obscure, retient l’attention. Et ce qui ne gâte rien, la truculence du style ravit, même si, parfois, elle se perd un peu en inutiles digressions. Mais par contre, elle distille les liens ténus qui se tissent entre la vérité que l’on porte en soi et la vie qui se construit en harmonie avec le monde vivant du sable des dunes, des eaux souterraines, des marées mouvantes et des comptoirs de bistrots.
J.D.
28 avril 2018
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(*) Autres romans sélectionnés : « Sous les pavés, la jungle » (Simone Gélin) et « L’Imparfait sortilège » (Paule Lapeyre). Cf. : « Bassin paradis, N° : 57 et 60).
(**) « Même le scorpion pleure ». Guy Rechenann. Cairn Ed. (Série Polar). 215 p.16 €.