Attachants « Equinoxes »…au bout d’une errance estivale

 

63- TALENTS DU BASSIN.

 

– Littérature : « Équinoxes ». Roman par Bernard Foglino. (Sélectionné pour l’attribution du Prix littéraire de l’Académie 2018).

 

            Voici le cinquième roman de Bernard Foglino : « Equinoxes » (*) qui ne manque pas d’intérêt. Le récit se déroule quelque part sur le Bassin d’Arcachon et porte sur quatre personnages, des « quadras » : Paul, Frankie, Mike et Eddie. Quatre potes qui se connaissent bien puisqu’ils ont fait les quatre cents coups durant leur jeunesse d’étudiants bordelais. À commencer par plumer au poker et sans vergogne quelques bourgeois bordelais. Et voilà qu’ils se retrouvent vers le Cap Ferret, vingt-cinq ans après leurs derniers exploits que le roman dévoile par bribes. Mais ils sont arrivés dans cette quarantaine qui ouvre l’âge des premiers bilans, à cet instant où comme au film des jours et des marées, l’équinoxe fait basculer le temps, les saisons, les lueurs du ciel dans un autre monde. Des vagues qui recouvrent les plages ou qui dévoilent de longues langues de sable. C’est cet inexorable mouvement, du vide au trop plein qui leur tombe dessus. Mais ils se raccrochent à leurs souvenirs comme s’ils pouvaient les accrocher à leur jeunesse. Et pourtant, « il faut plusieurs années pour faire le tour du propriétaire et s’apercevoir qu’à quelques exceptions près, elle ne révèle rien de sensationnel, cette sacrée vie ». Voilà pourquoi, se retrouvant, ils vont vouloir donner du sel à leur existence un peu fade. Pourtant, tous ont réussi matériellement leur vie mais seul Eddie est resté sur le Bassin, montrant cette sagesse d’homme de la mer refusant de rêver aux grandes destinées dont rêvaient ses copains qui se croyaient immortels.

Mais quand ils se retrouvent, c’est, symboliquement, la fin d’un long été, au moment de l ‘équinoxe de septembre, au méridien de leur vie, comme penchés sur le vide et ils réalisent que « s ‘annoncent les temps insidieux où la vie va nous reprendre les jouets dont elle nous a gratifiés ». Alors, ils veulent faire la route dans le sens inverse ce qui n’est sûrement pas une bonne idée. Pourtant, ils retrouvent les sorties en bateau, les bons coups à boire ou les parties de foot en shootant dans les pignes. Mais rien n’y fait : ils se retrouvent englués dans les filets de la vie : le sable qui recouvre la maison pleine de leur passé, le chômage, la maladie et la mort, les femmes comme éloignées, les enfants partis au bout du monde. Alors que leur monde à eux était fait de certitudes, de confiance, de grandes espérances et de liberté : « nous étions la première génération à ne manquer de rien ». Puis, après les grandes espérances viennent les déceptions politiques. Alors, pourraient-ils accepter sans aucune amertume de ne laisser à leurs enfants qu’une société formatée par l’égoïsme, que même des vagues de colères ne feraient pas sombrer « tant les désolants gosses de maintenant acceptent les règles comme s’il s’agissait des lois de la nature ».

Alors, comme pour qu’ils attaquent « ce conformisme qui apaise », le bousculer et lui donner une bonne leçon on verra, insidieusement, renaître en eux, comme une revanche sur ce qu’ils auraient manqué, leur envie folle de cambrioler une ancienne bijouterie et ainsi de se relancer dans ce défi lancé dans l’insouciance de leur jeunesse. Mais, comme alors, le projet échouera. Une mésaventure qui illustre le double visage du livre. Côté pile, l’humour de ces pitoyables échecs, de ces moments de retrouvailles qui s’ancrent dans le récit des frasques passés, dans l’émergence des souvenirs heureux, des heures complices et dans la description amusante des caractères de chacun. Côté face, décrite sur un ton doux amer, une errance estivale vide et folle. Tant et si bien qu’on éprouve l’agréable impression de revoir un film de Sautet, de Lelouch lorsqu’il ouvre la riche spontanéité des rapports humains ou encore de Guillaume Canet chaleureux en ses « Petits mouchoirs ».

 

Et ce plaisir est renforcé par la qualité du style de Foglino qui porte une force de narration envoutante. Un style subtilement fort où alternent les phrases vivantes courtes et nerveuses, les dialogues au rythme du langage parlé, les notations drôles tandis que des descriptions faites de mots qui portent parfaitement la finesse d’un paysage du Bassin transparent ou chargé d’averses, de solitude hivernale : « Les maisons du voisinage baissent les paupières, le matériel de plage ira rêver dans les greniers (…) La pointe fera le gros dos, pelotonnée sous des manteaux de sable, l’humidité reviendra dans les jardins froids où règnera le règne silencieux de l’humidité immobile ». Des mots qui portent aussi avec force l’introspection d’un personnage : « On dirait que s’annoncent les temps insidieux où la vie va nous reprendre. Ceux que nous aimions deviennent flous ou nous quittent, ce que nous avons construit redeviendra sable (…) Notre lutte consistera à ne pas rétrécir trop vite. Nos vies s’effacent. »

 

Seulement, voilà : voici le moment des équinoxes. Quand c’est l’hiver ici, le printemps fleurit ailleurs. Et Frankie, quand le mirage du cambriolage se sera dispersé, comprendra que « notre vie n’a d’autre sens que de hisser sur nos épaules d’autres vies. Les aider à atteindre ce qu’il peut y avoir de bon et de chaud dans l’existence. (…) Faire ce que nous avons à faire, du mieux que nous pouvons ». Alors, après avoir enlevé quelques brouettées de sable au pied de sa maison, il prendra l’avion, écrit-il « vers un nouvel été, « le vent de l’équinoxe effacera jusqu’à la trace de mes pas. C’est sans importance ». Car, aux antipodes, il retrouvera sa fille qui a eu le courage de ne pas se vautrer dans le moule que la société lui tendait. Il n’est donc pas vrai, comme le croyait Rimbaud, que « les aubes sont navrantes » quand la liberté est infinie en chacun. Voilà la belle leçon de ce livre attachant qui, de manière alerte et parfois émouvante dresse, le portrait nostalgique d’une génération à travers l’observation bien vue, drôle et attachante de quatre de ses spécimens.

 

J.D.

8 mai 2018

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(*) « Équinoxes ». Bertrand Foglino. Buchet-Chastel ed. 226 p. 15 €.