67- TALENTS DU BASSIN.
par Jean Dubroca
* Littérature : « Au temps des Fofolles ». Roman. Jean-Pierre Castelain.
– « Au temps des Fofolles » (*) constitue le troisième volet de la saga arcachonnaise écrite par Jean-Pierre Castelain. Après « La Pinasse mauve » qui couvrait la période 1919-1977, suivit « Friture sur la Petite Mer », située de 1978 à 2015. Manquait l’époque 1857-1918 : c’est désormais fait avec ce dernier roman qui évoque les années durant lesquelles l’histoire du développement d’Arcachon se trouve brusquement accélérée par l’intrusion dans l’économie locale traditionnelle du grand capital, en l’occurrence incarné ici par les frères Pereire. Ils amènent le chemin de fer jusqu’à Arcachon qui se trouve d’un seul coup relié à de nombreuses villes, même européennes, en même temps que, pour rentabiliser ces investissements, ils spéculent sur la partie sud et ouest de la commune où ils créent le lotissement de la Ville d’Hiver, ouvrant ainsi Arcachon au tourisme international, au moment où la station vient d’arracher son indépendance à La Teste. Dès lors, éclate ce « Temps des Fofolles », ces chalets baroques, fantaisistes illuminations d’architectes, illustration de tous les styles architecturaux d’Europe et même d’Afrique ou d’Asie qui, comme symboliquement, vont dominer la première agglomération.
…troisième volet de la saga ambitieuse de JP Castelain
Résumer cette période de la saga arcachonnaise de Jean-Pierre Castelain est évidemment impossible puisque, comme dans ses romans précédents, elle raconte l’évolution de deux dynasties, celle, bordelaise, des Thillet-Bordes qui ont fait fortune dans le commerce du vin et celle des Vercoutre, lillois enrichis par l’industrie de la teinturerie. Cette rencontre devient le prétexte pour l’auteur d’évoquer au fil des heurs et malheurs de cette nouvelle famille les grands moments du prodigieux développement que connaît alors Arcachon, aussi bien dans le domaine du tourisme aristocratique que dans celui de la pêche qui devient industrielle, ou de l’ostréiculture qui passe de la cueillette à la culture, créant ainsi deux quartiers très différents, celui des riches « estrangeys », et Saint Ferdinand, celui des marins-pêcheurs ce qui illustre bien une opposition sociale que M. Castelain illustrera de manière fort concrète car basée sur des faits historiques authentiques.
La description de cet essor provient des figures principales du récit. Par exemple, il y a d’abord Henriette, une jeune journaliste de Lille qui se rend à Arcachon afin d’écrire des chroniques pour un hebdomadaire lillois. Elle épousera Émile Thillet-Bordes, malgré les réticences du très méfiant Charles, le père d’Henriette. Comme Castelain a l’habileté de situer chaque épisode de l’existence de cette famille en liaison avec les grands moments de l’histoire du XIXème siècle, tels la guerre de Sécession, la chute de l’Empire, la Commune de Paris, l’affaire Dreyfus ou les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, cela apporte de l’animation au récit en même temps qu’on pénètre ainsi dans l’intimité des personnages ce qui apporte un souffle humain intéressant renforcé par la description des tourments de l’existence comme l’inquiétude des femmes de marins ou celle des armateurs alors que les bateaux pêchent de plus en plus loin de nos côtes et dont le développement accroît les besoins d’investissements. Ce qui tourmente Émile et atteint son moral d’entrepreneur.
Se succèdent aussi les rivalités entre divers membres des familles, les projets de construction de la villa « M » dans la Ville d’Hiver où, malgré tout, on se retrouvera pour célébrer les mariages, les naissances, pleurer au moment des deuils, s’affronter sur les aigreurs des uns et des autres liées à l’argent ou à une progéniture qui ne vient pas. On se désolera sur les trahisons entre époux, les unions mal vécues, les filles rebelles à la loi paternelle. Mais pendant ce temps, les affaires continuent…
Émile Thillet-Bordes va, malgré des aléas, développer l’entreprise familiale en l’orientant vers la pêche industrielle puis il va deviner l’essor de la marine de plaisance à moteur et ouvrir une usine pour ce faire et un chantier naval qui construira des pinasses de promenade. Mais, brisé par le départ de son épouse Colette, il deviendra de plus en plus maussade et son remariage avec l’acariâtre Augustine va accroître ses sautes d’humeur. Ce qui n’empêchera pas sa pêcherie de grandir, à l’image de l’essor du port de pêche arcachonnais qui sera bientôt le deuxième de France. La saga imaginée par Castelain suit très exactement l’extraordinaire agrandissement d’Arcachon vécu par les personnages du récit. Ils partagent les peurs devant d’historiques tempêtes qui ont ravagé le Bassin et ils réagissent fort différemment quand éclatent plusieurs grandes grèves menées par les pêcheurs ou employés des pêcheries. Un moyen d’évoquer partie le pauvreté d’une partie de ce prolétariat arcachonnais qui vit avec beaucoup de difficultés dans quartier Saint Ferdinand tandis que, par contraste, la partie ouest de la ville s’enrichit de nouveaux grands hôtels, d’équipements variés et de villas de plus en plus luxueuses. La mise en évidence de cette disparité forme l’un des intérêts du livre.
Il s’achève sur les terribles années 1914-1918. La ville se transforme en un vaste hôpital, des membres des deux familles meurent à la guerre ainsi que mille des dix mille mobilisés du Bassin, les chalutiers sont armés et deviennent des cibles pour les sous-marins allemands. Ce qui n’empêche Albert, l’un des frères d’Émile qui a su échapper à la mobilisation de continuer un juteux commerce de vin avec l’Allemagne alors qu’à Lille les Vercoutre subissent les méfaits des occupants.
– « Mon dieu, que le temps des fofolles est loin ! », soupire-t-on.
Pourtant, l’espoir reviendra avec l’armistice mais la guerre laissera bien des blessures qui, dans « La Pinasse mauve » marqueront profondément la suite de la saga. Dans ce nouvel épisode, comme dans les autres, l’action avance le plus souvent à travers les dialogues. Jean-Pierre Castelain les écrit dans un style savoureux qui parodie la langue bourgeoise de l’époque. Néanmoins, les répliques manquent un peu du piment qu’y apporteraient quelques expressions gasconnes, encore courantes dans tous les milieux bordelais de l’époque, comme savait si bien le faire Mauriac. Cette absence nuit un peu à la véracité des personnages. Il n’en reste pas moins que la riche histoire de la « Petite Mer » ainsi reconstituée et les évènements romanesques qui se succèdent bien avec l’aventure d’un siècle illustrée par l’éclosion des multiples « Fofolles » rendent le roman très intéressant.
J.D.
3 avril 2018
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(*) « Au temps des Fofolles ». Roman. Jean-Pierre Castelain. Éditions Amalthée. 433 p.
22,90 €.