Marie, une Bovary d’aujourd’hui ?

66- TALENTS DU BASSIN

par Jean Dubroca

Littérature : « Le Cap Ferret, du paradis à l’enfer ». Roman par Sophie Juby.

 

 

– Sophie Juby anime un blog très suivi sur la presqu’île dont elle connaît les moindres détails. Son premier roman, « Le Cap Ferret, du paradis à l’enfer » (*) le prouve. Il nous emmène partout : qu’il s’agisse des sites les plus secrets, des personnages les plus pittoresques, d’endroits les plus « in » : restos  de tous prix ou boutiques en tous genres, des plus huppées aux plus discrètes, tous ces lieux « tendance » où se font les meilleures affaires du moment, où il faut être et paraître mais en évitant de se montrer, où l’on danse tard, où l’on trouve les meilleures huîtres. Outre ces lieux, Sophie Juby connaît parfaitement tous les codes d’une vie à la ferretcapienne : comment il faut s’habiller, comment on se rue sur les « cabanes à huîtres » les soirs de cafard, comment on occupe les enfants, comment on s’égare dans les ruelles fleuries des « villages ostréicoles » et combien de temps il faut pour se retrouver dans Bordeaux où existe encore un brin de civilisation. Si bien que le premier roman de Sophie Juby, « Le Cap Ferret, du paradis à l’enfer » est l’exact miroir de cet univers si particulier où s’agite cette bonne aristocratique bourgeoisie qui recouvre les villas de bois et qui ne fréquente le petit peuple du Bassin que pour s’extasier sur la fraîcheur des dorades de chez « Lucine », indispensables pour « les soirées plancha », sur l’épaisseur de l’iode des huîtres « de l’Impératrice » ou sur l’ambiance très couleur locale et bistrot populaire de chez « Hortense ». Ce roman est donc comme un guide de la vie au Ferret et même un manuel de survie quand il faut affronter les mois gris de l’hiver. Des détails qui sembleraient bien superficiels si on ne les lisait en souriant –ou en se navrant- comme des notations mettant l’anthropologie et la sociologie de ce bout de terre à la portée de tous.

Au fil du roman, dont le titre indique bien qu’il finira mal, on observe la vie quotidienne de Marie, une Parisienne pourvue là-bas d’un bon job, d’un mari aimant et d’un « ado », David, qui n’aime pas l’école mais adore le surf. Et voilà que Marie décide de s’installer avec David dans la maison de ses grands parents au Ferret car la vénérable villa, véritable colonie de vacances durant les vacances, va être vendue après le décès du grand-père qui en était l’âme. S’agirait-il d’un attachement viscéral à un passé heureux ? S’agirait-il du caprice d’une jeune femme gâtée par la vie ? Ou bien d’un acte par lequel elle veut affirmer sa liberté de femme ? D’un refus de rester sur le chemin tout tracé par une vie routinière ? D’un besoin de découvrir « de vrais gens » ? Un peu de tout cela sans doute, dit le livre. Ce qui fait de Marie une femme qui, au fil des pages et de ses remarques intimes, apparaît un peu moins superficielle qu’on pouvait le craindre en lisant les premiers chapitres du roman ?

 

A la fin août, grand-mère, cousins, cousines, maris et amis, tous regagnent Paris, ne laissant à Marie que le souvenir de ce qu’ils croient être « leur vie estivale à la rousseauiste », d’ailleurs bien décrite. Et voilà Marie aux prises avec les réalités de la vie quotidienne au Ferret en hiver qui s’avère vite une suite de désillusions qu’elle exprime dans des paragraphes isolés du récit où elle révèle ses sentiments intimes, le détail des choses et des faits qu’elle conte n’apparaissant alors que comme une vitrine. Car la solitude de Marie devient rapidement un vide. Elle veut donc le combler en ouvrant une boutique selon « un concept nouveau ». On la suit dans toutes ses démarches pour la créer au marché municipal, véritable forteresse administrative. Elle veut l’ouvrir dans un lieu fréquenté mais les loyers y sont ruineux. Toutes réalités économiques qui transforment le paradis en chemin sec et abrupt. Mais apitoyer un banquier, assaillir des agents immobiliers, passer des commandes de bibelots et décorer un vieux local, ça occupe l’esprit mais pas les sens. Alors, l’inévitable se produit. Un restaurateur bordelais passe : c’est le coup de foudre, les rendez-vous furtifs, la cabane discrète, les faux semblants. Tout aurait pu cependant continuer si la fatalité ne s’en était mêlée. Tout bascule alors : l’amant tué par accident, le mari qui comprend… Alors, Marie « qui a touché le ciel avant que tout ne s’écroule », Marie, trop lourde de solitude « s’abandonne à la mer »… Elle n’a pas voulu résister, lutter jusqu’au bout pour défendre sa liberté. Ou bien elle ne l’a pas pu, incapable d’échapper au monde, pourtant factice, qui s’est dressé autour d’elle.

Ainsi, au fil des pages, on s’est pris à l’aimer cette Marie, si femme d’aujourd’hui éprise de tant de liberté qu’elle a tout tenté pour parvenir au bout du chemin qu’elle voulait atteindre, au bout de ce qu’elle voulait vivre. Tout ce qu’il faut pour faire un attachant roman à déguster sur la plage, cet été, au soleil…

J.D.

18 mai 2018

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(*) « Le Cap Ferret, du paradis à l’enfer ». Sophie Juby. Vents salés ed. 325 p. 20 €.