Révisons notre histoire ?

– 72 – TALENTS DU BASSIN

par Jean Dubroca

 

Littérature/ Histoire : trois auteurs confirmés pour trois intéressants ouvrages.

 

 

– « Histoire d’Arcachon » par Michel Boyé.

 

– L’auteur décline avec talent toutes les facettes d’Arcachon dans plusieurs beaux albums édités par « La Geste ». Après, entre autres : « Se souvenir d’Arcachon », « Villas d’Arcachon » ou « Découvrir Arcachon », voici « Histoire d’Arcachon ». (*) Le titre du livre n’est pas du tout usurpé parce que, effectivement, les quatre parties de l’ouvrage, divisées en onze chapitres, forment une somme fort complète sur le passé et même l’actualité de la ville de 1519 à 2017. Appuyé par une iconographie qui ne révèle aucun document inédit, le récit sur cette étonnante cité ne manque pas d’intérêt, à la fois par la précision du style et le regard acéré d’un historien auquel on ne fait pas prendre des vessies pour ces lanternes vénitiennes qui ont depuis toujours orné la face visible de la vie arcachonnaise. Au fil des chapitres, on découvre –ou on redécouvre- l’époque de l’ermite Thomas Illyricus, celle des premiers hôteliers, celle, agitée, de l’indépendance, celle, triomphante, développée par le grand capital du Second Empire et celle plus chaotique qui suivit.

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La plus grande nouveauté de l’ouvrage se trouve dans le développement des explications sur les époques les plus proches de nous, celles qui s’écoulent de 1906 à 1944 puis de 1945 à nos jours. Cela nous vaut le récit prudent des années difficiles de la ville : son déclin, les obscurités de l’occupation puis le renouveau d’Arcachon. C’est alors que Michel Boyé évoque le travail considérable mené en cette action par trois maires : Lucien de Gracia, Robert Fleury et Pierre Lataillade, le tout rythmé par des subtilités politiques feutrées. Enfin, l’auteur se montre un peu dubitatif sur les années 2001 à 2017 regroupées sous le titre un peu caustique : « Du passé, faisons table rase ». Mais c’est bien là le rôle de l’historien que de rester prudent sur le présent quand il connaît toutes les faiblesses du passé, autant, d’ailleurs que ses richesses. De ces dernières, toutefois vient plus l’espérance que le scepticisme final du livre

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(*) « Histoire d’Arcachon » par Michel Boyé. La Geste ed. 248 p. Cartonné 21×27. 29,90 €.

 

 

– « Histoire du domaine de Certes », la plus complète à ce jour 

 

– Voici le deuxième travail historique récent, cette fois consacré au château de Certes à Audenge qui fut longtemps un peu trop oubliée par l’histoire locale, malgré son importance dans la vie du Bassin, depuis des millénaires. La brochure, dont ses auteurs disent : « Elle est la plus complète à ce jour »,  est publiée par la Société historique et archéologique du pays de Buch et arrive donc à son heure, celle dictée par le renouveau du lieu depuis que le département de la Gironde lui a consacré 15 M€ pour valoriser les 530 hectares du site et redorer le blason du château, en sa mouture du XIXème siècle. Mais il n’est que le dernier d’une lignée. On pense que le site, qui forme un port naturel et un lieu propice à l’installation d’un moulin, devait être fortifié dès les débuts du moyen-âge. La brochure de la société historique raconte donc cette longue évolution du château, qui en 1250 était construit en bois, sur une butte. Puis, toujours dans un style que les auteurs veulent aussi savant qu’attrayant, ils parlent des mini-forteresses que l’on peut dater à partir de 1350 et dues aux captaux Jean III de Grailly ou bien à Archambault.

…par des membres de la Société historique.

Le château, nous disent-ils, comportait alors un donjon central de cent m2 et de vingt-cinq mètres de hauteur. Bombardé pendant la Fronde, incendié en 1697 et reconstruit, il est remplacé en 1769 par une grosse maison de maître construite par le marquis de Civrac. L’un de ces personnages qui marquent l’histoire de Certes, tel Dauberval, de Boissière ou les membres de la famille Descas. Tout le texte est rythmé par des cartes anciennes et des documents nombreux et variés qui évoquent aussi l’aventure des marais salants, des réservoirs à poissons ou des terres agricoles qui entourent le château. Une brochure complète, détaillée et pleine de récits vivants par exemple sur les pêcheurs, les douaniers ou les sauniers qui ont vécu là et assuré la prospérité de ce domaine à l’histoire peu banale.

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(*) 10 € en vente en librairies, maison de la presse et à la SHAA, Maison des Associations, cours Tartas à Arcachon.

 

– « Des soldats russes au Courneau », par Jean-Pierre Caule.

 

– Ces « Russes au Courneau », ce vaste camp militaire situé entre La Teste et Cazaux, « est un sujet dont on ne doit pas parler » dit l’auteur Jean-Pierre Caule qui, fort heureusement n’hésite pas à inclure leur étonnante histoire dans un ouvrage global intitulé « 1917 et la Révolution russe ». (*) Il s’agit de ces 7500 militaires russes transférés en août 1917 du camp de la Courtine (Creuse) à Cazaux. Et, comme à cette époque, La Teste ne compte que 5500 habitants présents, « la population a eu un sentiment d’invasion » à en lire presse et lettres que cite M. Caule. La Révolution russe, la démission du tsar, le refus des militaires de retourner sur le front ont conduit « à des militaires livrés à eux-mêmes », disent les rapports de l’époque. L’auteur raconte alors leurs beuveries, leurs intrusions dans les propriétés privées, leurs rixes qui apeurent les Testerins autorisés à leur tirer dessus s’ils se montrent trop dangereux, d’autant plus que, confinés à La Courtine, ils sont libérés au Courneau et trouvent le réconfort dans les bars testerins. Leurs tenanciers comme ceux d’Arcachon sont donc les seuls à se montrer ravis de leur présence, surtout celle de leurs officiers qui ont de l’argent et le dépensent largement au casino ou au Grand Hôtel. J.P. Caule, malgré la censure de l’époque dans la presse locale, a pu reconstituer leur folle vie et beaucoup de leurs frasques. Tout s’achèvera lorsqu’il faudra loger des troupes américaines au Courneau, en juillet 1918. Des Russes s’emploieront alors en France, d’autres émigreront en Algérie ou s’engageront dans l’armée française. Neuf d’entre eux sont inhumés dans la nécropole nationale du Natus. Voilà donc une page méconnue et pourtant fort intéressante dans l’histoire de la Grande Guerre et un précieux témoignage de la vie quotidienne à l’arrière du front.

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(*) « 1917 : le Limousin et la révolution russe ». Anne Manigaud, Jean-Pierre Caule et Association La Courtine. Les Ardents ed.

 

J.D.

26 juin 2018