Magnifique Arnaudin, la mémoire de la Grande Lande, par Marc Large

# 94- LITTÉRATURE. / La folle histoire de Félix Arnaudin / Marc Large. (*)

Marc Large est un artiste éclectique. Dessinateur d’humour et d’actualité à la dent dure, il est bien connu des lecteurs de « Sud-Ouest » ou du « Canard Enchainé ». Il montre  aussi un grand talent d’aquarelliste et de dessinateur réaliste, afin d’illustrer, avec précision et rigueur, de nombreux ouvrages documentaires. De plus, il a collaboré à l’écriture de plusieurs films ou téléfilms. On le retrouve encore auteur de B.D et aussi écrivain, spécialisé dans l’histoire du sud-ouest où il vit.

À ce titre, il vient de publier une biographie intitulée « La Folle histoire de Félix Arnaudin ». Il y raconte avec beaucoup de sensibilité la poignante histoire de cet homme né en 1844, à Labouheyre, dans un « quartier » isolé, en plein cœur de la Grande lande alors terre de marécages, de rares bouquets de pins, de quelques champs permettant aux habitants de vivre en autarcie au milieu d’une lande rase, propice à l’élevage de 650 000 moutons.

Marc Large reçu sur France Bleu par Rodolphe Martinez

Des études, mal vécues au collège de Mont-de-Marsan, lui permettent d’acquérir une culture qui lui sera précieuse. Mais qui ne lui donnera aucun métier ! Il vit alors des revenus de quelques métairies, et c’est à l’âge de trente ans qu’il peut enfin donner un vrai un sens à sa vie, lorsqu’il prend conscience que le monde rural local auquel il est très attaché, qui est toute sa vie, va disparaître car la loi de 1857 décide de l’assainissement de la lande et sa plantation en pins maritimes.

À sa manière, Arnaudin  va contribuer à sauver les visages ancestraux de ces terres ingrates en même temps qu’il va fixer la dure vie des hommes et des femmes qui y vivaient alors. Il le fera en réalisant un véritable travail de journaliste rigoureux, photographiant, grâce à cette technique naissante, les sites sauvages et les activités les plus diverses des habitants : travaux quotidiens, habitats, loisirs, mariages, rien n’est négligé en 2700 clichés sur des plaques de verre d’une grande qualité technique mais aussi d’une belle valeur artistique comme on peut en juger aujourd’hui au Musée d’Aquitaine. En même temps, il  note tous les détails du fonds culturel de la Grande lande. Il publie une petite partie de ses observations en trois principaux ouvrages  passés à l’époque complètement inaperçus. (Chants, danses, contes, proverbes, outils et objets). S’y ajoutent des milliers de pages de notes, de croquis et de récits traditionnels. Le tout répertorié, classé suivant des règles très précises et formant ainsi une œuvre titanesque et particulièrement riche en informations sur les tout derniers visages de la lande qu’il parcourait à bicyclette, telle qu’elle exista durant des siècles et qui allait inexorablement disparaître. 

Pourtant, l’importance des travaux de Félix Arnaudin ne fut pas comprise par ses compatriotes. Ils le surnommaient même « le pec », le fou, en gascon. Cette dérision ne fit qu’ajouter à l’existence éprouvée d’Arnaudin, malheureux depuis l’enfance à cause de d’une mère acariâtre qui en fit un être  complexé et profondément introverti qui ne sut jamais s’imposer auprès des milieux scientifiques de l’époque. Si bien qu’à quelques mois de sa mort, en 1925, il dit : « Dans ma pauvre vie de rêveur sauvage, toutefois anxieux de notre passé local, je n’ai guère reçu d’encouragements ; l’indifférence et les railleries, un peu de tous côtés, en ont volontiers pris la place ». Dernières désillusions d’un homme qui, exprimant avec pudeur cette douleur intime, a vraiment tout pour devenir un attachant personnage de roman.

Fort heureusement, par un juste retour des choses, le XXe siècle reconnaîtra l’œuvre d’Arnaudin à sa grande valeur, grâce notamment à Camille, son neveu, qui sut la sauver et la  valoriser. Nombreuses sont aujourd’hui, les rues et les places de villes et de villages landais qui l’honorent. À Labouheyre, dans sa maison  natale, a été ouvert un musée de la photographie qui montre bien, à travers les documents exposés, le double visage de la photographie : une étroite alliance entre l’art et la technique au service d’une œuvre solide d’historien et d’ethnographe. (**)

Marie par Félix Arnaudin, l’amour de sa vie

À noter qu’un original album participe à cet hommage. (***) Il s’agit de celui de  Jean-Joël Le Fur, qui, avec la collaboration de Charles Daney, a montré comment on pouvait mesurer visuellement l’évolution de l’histoire locale. Ce talentueux photographe arcachonnais a réussi à retrouver très exactement des emplacements où Arnaudin avait installé sont lourd appareil photographique et, dans les pas de son lointain confrère, il a alors tiré une photo du lieu, prise sous le même angle. En comparant des vues parallèles, ainsi obtenues on mesure alors très bien ce qui subsiste, nostalgiquement, de ce monde qui aurait pu complètement disparaître, englouti par le modernisme vorace.

                                                                                                                     J.D.

                                                                                                         (2 juillet 2019)

__________________________________________________________________________________

(*) Éditions Passiflore. 285 p. 19 €.

(**) On lira aussi avec intérêt l’article de Marryan Charruau sur ce sujet dans «Sud-Ouest-Dimanche » du 30 juin 2019.

 (***) «Sur les traces de Félix Arnaudin ou les métamorphoses des Landes ». Éditions Confluences. 2005.