Tout sur le Pilat…plus un inquiétant grain de sable !

# 107 – LITTÉRATURE

par Jean Dubroca

– « Un grain de sable dans la dune. Pilat 1935 » par Dominique Dayau (*)

 Voilà un livre surprenant. Parce que, si l’on connaissait, depuis huit ouvrages, le talent de Dominique Dayau comme un bon auteur de polars, parfois même truculents comme dans le récent « 13e choc » (voir le blog de l’académie n° 29), si l’on savait aussi qu’il avait écrit sur « Les mots du Bassin » ou sur la tauromachie, on le découvre ici dans un roman si surprenant que l’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant lui : évoquer le Pilat durant l’été 1935, au moment même où la toute nouvelle station vivait dans le brillant éclat de sa jeunesse. Et cette seule idée originale suffit déjà à susciter l’intérêt pour « Un grain de sable dans la dune. Pilat 1935 ».

 

1935, l’époque, ses fêtes, ses menaces… une mise en scène astucieuse des lieux et de l’Histoire à travers le regard d’un Rouletabille parisien… et futé !

 

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Car 1935, ce n’est pas n’importe quelle année dans notre histoire ! L’art et les sciences y sont particulièrement florissants. On découvre la fission de l’atome et l’utilisation des sulfamides, Daurat ouvre les premières liaisons postales de nuit, on lance le « Normandie », Freinet et Montessori bouleversent la pédagogie, Braque, Dali, Picasso créent une nouvelle vision du monde, Chostakovitch, Honegger ou Messiaen réinventent la musique, T.S. Eliot, Pirandello ou Nizan secouent le monde des Lettres ou du théâtre…

On vit comme dans un monde neuf. Mais en même temps, la Droite extrémiste prend le haut du pavé, Hitler parade et rétablit le service militaire puis décrète des lois racistes et Mussolini exhibe ses muscles en attaquant l’Éthiopie. Alors, bien que la France rêve « Au plus beau tango du monde » ou fait le gros dos avec « Tout va très bien Mme la marquise », en cet été 1935 on entend le Monde craquer. Néanmoins, en ce début de mois de juillet 1935, la presse locale se réjouit de l’ouverture du cinéma l’Eden où Fernandel joue « Le chevalier Lafleur », l’Olympia affiche … « Cessez le feu », on inaugure l’aquarium et l’on prévoit « une saison luxueuse à Pilat-Plage ». C’est dans ce contexte étrange et complexe, comme en déséquilibre instable, que Dominique Dayau a eu l’idée originale de situer l ‘intrigue de son roman qui reste captivante jusqu’à un final haletant.

C’est Pierre Amilatégui, un jeune journaliste qui raconte l’histoire si bien que le contenu de ses articles se mêle habilement à son récit. Le voilà, de manière impromptue, chargé par Pierre Dupuy, le patron du « Petit Parisien », de rédiger des échos pour la célèbre rubrique « La Potinière ». Pour elle, il couvrira la saison dans la toute nouvelle station de Pilat. D’après Dupuy, son journal aurait le plus gros tirage du monde. C’est dire son influence et comment le titre ouvre toutes les portes à l’« échotier » fouineur qu’est Pierre. D’autant que son bonasse mais cynique rédacteur en chef lui a demandé de faire rêver le populo, qui lui, ne part pas encore en vacances.

À la suite de Pierre, nous allons donc découvrir tout de la vie mondaine de Pilat et c’est là l’un des charmes du livre. Car l’auteur a tout reconstitué : le décor des grands hôtels, Haïtza et « La Corniche », les brillants galas qui s’y tiennent, les fastueuses réceptions dans les villas au style néo-basque inventé par Louis Gaume, les régates élégantes des « 6 M », les défilés rituels des riches clients à l’heure du bain, du thé ou des cocktails. On se retrouve au cœur même de ce Pilat qui fut le « Saint Trop » de l’époque car fréquenté par tout ce qui comptait alors dans le monde des arts ou des affaires. D’où des galeries de portraits bien venus, sans concession mais pleins d’humour caustique de riches anglaises, de grands banquiers ou de vedettes du cinéma, telles Jean Murat et Annabella, qui virevoltent au pied de la Grande dune, enivrés de leur réussite, de leur renommée, de la jouissance à se retrouver entre soi, loin de cette guerre civile qui allait bientôt écarteler l’Espagne, pourtant si proche, loin de ce défilé du Front populaire le 14 juillet à Paris alors qu’à « La Corniche », toute la nuit on dansera le charleston et sur des rythmes de jazz.

La vie, donc, s’écoule comme hors du monde réel, dans un ailleurs ensoleillé et insouciant et ce n’est pas le moindre attrait de ce livre que de le faire partager au lecteur ce tourbillon où flottent les robes de Chanel, de Patou ou Jeanne Lanvin qui a sa villa à Pilat. Dans ces frous-frous, s’aperçoivent des figures locales connues comme Albert Chiché le redoutable éditorialiste de « L’Avenir d’ Arcachon », très bien informé de toutes les coulisses arcachonnaises, utile mentor de Pierre et pourvoyeur de croustillantes anecdotes. On rencontre Louis Gaume qui joue le « maître de station », Léo Neveu, l’artiste photographe, le champion cycliste Antonin Magne et le jeune sculpteur Prix de Rome, Claude Bouscau et aussi toute une galerie de personnages pittoresques : barmen, détectives privés, secrétaire blonde, serveuses, lingères ou nurses anglaises. Et puis passent aussi des gloires véritables : François Mauriac, académicien depuis deux ans, Albert Marquet dont Dominique Dayau évoque bien au passage la subtilité de ses paysages locaux, le sulfureux d’Anunzio ou encore l’autre maître créateur du Pilat, Philippe de Rothschild, que personne n’égale en régate alors que l’Aga Khan soi-même venu à Haïtza, le dépasse largement en faste richissime.

On nage dans l’opulence, dans l’insouciance, on vibrionne entre amours passagères ou sincères et tournois de tennis et chacun s’exhibe à chacune dans une atmosphère si particulière que Pierre émet une idée originale : « Et si Pilat-Plage avait été inventé par Louis Gaume en lisant « L’Homme à l’Hispano » ? Ce roman de Pierre Frondaie, paru en 1924, fut un énorme succès de l’époque. Et Dominique Dayau s’amuse, et nous avec lui, à souligner les étroites concordances entre l’univers de ce livre, qui contient une escale à Arcachon, et le nouveau Pilat. D’autant plus qu’on y trouve le même jeu des apparences, des passions, des illusions et des amours passionnées ou éphémères qui donnent toute sa chair au roman.

Une vie d’autant plus présente que l’auteur a pris la précaution, durant trois ans, de se documenter sur les moindres détails de l’existence quotidienne d’alors, notamment à travers la presse de l’époque, depuis le vocabulaire usité en différentes classes sociales, jusqu’aux moindres des objets utilisés : les cendriers Byrrh ou les « réclames » pour Lillet, en passant par les couleurs des autobus de la STAM, les cocktails à la mode ou les conditions de voyage pour se rendre à Arcachon. Avec lui, on pénètre dans la chaleureuse salle à manger d’Haïtza, décorée de ses énormes lustres rustiques et ouvrant sur la plus élégante des rotondes d’où sortent les femmes bronzées et parées des bijoux « art nouveau » de Lalique. Et on se régale d’autant plus que durant cette « saison 1935 » notre échotier poussera jusqu’au tir aux pigeons des Abatilles où tout ce qui compte dans l’aristocratie présente s’affronte par malheureux volatiles interposés et où les gros paris vont bon train. Enfin, il étonnera ses lecteurs du « Petit Parisien » qui n’en demandent pas tant avec le ski en plein été sur les pentes de grépins et il leur révèlera les courses landaises qui animent le vélodrome tout neuf.

Enfin, et pour que les vacances soient parfaites, on savoure aussi de belles descriptions des paysages pilatais où l’auteur montre son réel talent d’écrivain :

« Ici, on ne se lasse pas de toutes ces clartés maritimes, de tous ces reflets étoilant

              le clair-obscur des apaisants paysages sylvestres, de l’horizon. Les crêtes de la

              dune, les pins, la mer et ses couleurs changeantes de nacre et ces vues tout droit

             sorties de l’imagination d’un peintre… »

 L’auteur a donc rangé son flingue, la langue verte et les accents des faubourgs de ses flics et de ses voyous habituels, pour dessiner avec sensibilité les couleurs diaphanes, les vagues argentées et les horizons vaporeux de son pays natal dont on devine à travers ce roman combien il l’aime.

Tout irait donc bien dans le meilleur des mondes sauf… Sauf que la squelettique silhouette du casino inachevé semble occulter les couchers de soleil rouge sang qui tombent sur le cap Ferret en y découpant comme une ombre lourde, épaisse et inquiétante. Sauf aussi que, dès les premières pages, une autre étrange silhouette rôde : celle de l’hôte de la suite n°45, Rudy, un trop curieux ornithologue autrichien qui va trop souvent à Bordeaux, qui surveille les passes à la jumelle et qui expédie du courrier vers Berlin, sous le prétexte de communiquer les résultats de ses observations sur les oiseaux du Bassin. Qui est-il ? Et qui sont aussi vraiment ces femmes qui tournent autour de Pierre, telle Aliona, une belle Russe dont il est amoureux ? Ou bien Angèle, la môme Fleurette, adepte du saphisme ? Et pourquoi Rudy meurt-il dans un curieux accident de moto ? Et que fait donc exactement la singulière mademoiselle Fine, derrière le guichet de la poste de Pyla-sur-Mer ? On ne que le saura lors d’un dernier chapitre palpitant qui révèlera une réalité tout à fait surprenante.

Et puis, le 13 septembre 1935, Pierre écrit son ultime rubrique, juste au lendemain du jour où Hitler s’offre sa plus grande parade à Nuremberg. Alors, écrit Pierre : « je rentre dans les brumes du nord en renonçant au bonheur auquel, naïvement, j’avais espéré ». Le miroir aux alouettes de « Pilat 1935 » s’est brisé. Des brumes bien épaisses s’annoncent en effet…

Voilà donc un roman bien construit, bien écrit, caustique, bien documenté et sensible. Il plaira pour ces qualités là. Il plaira aussi à tous ceux qui aiment l’histoire locale, qui aiment Pilat et le Bassin et qui aimeront découvrir une époque fulgurante qui imprègne pour toujours les paysages pilatais et qui sauront ainsi que les grandes ombres d’Annabella, de Jean Murat, de Marcelle Chantal ou de Tyrone Power se projetteront éternellement sur l’écran d’un passé retrouvé entre des sables d’or et des eaux argentées.

J.D.                                                                                                        Le 27 mars 2020

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(*) Éditions Cairn. 329 p. 22 x 14. Broché. 16 €.