# – 9 – L’ACTUALITÉ D’ARCACHON ET DU BASSIN IL Y A CENT ANS
______________
« L’Avenir d’Arcachon ». N°3503 Dimanche 13 juin 1920 (1)
Journal des Intérêts Balnéaires, Industriels et Ostréicoles de la contrée (1e partie)
PARAISSANT LE DIMANCHE
Le Numéro : 15 Centimes
Abonnements pour la saison de 6 mois : 5 fr. Pour un an : 10 fr. Insertions : on traite à forfait
_____________________________________________________
* ÉDITORIAL D’ALBERT CHICHÉ *
– Les profiteurs de la guerre –
– « Pendant plus de quatre années nos héroïques poilus ont lutté sur les champs de bataille et dans la boue des tranchées. Atteints d’horribles blessures, rongés par la vermine, brûlés par le soleil ou glacés par le froid, ils faisaient héroïquement leur devoir. La France était envahie (…) Le Boche martyrisait les populations sans défense. Presque toutes les familles étaient en deuil. (…) Ceux qui, jadis avaient une heureuse aisance étaient réduits au maigre secours des allocations. On vivait dans l’inquiétude du lendemain. (2)

Pendant ce temps, (…) certains individus chargés de fourniture pour la défense nationale spéculaient sur le désarroi qui empêchait de discuter les prix et sans vergogne réalisèrent des millions de bénéfices (…) dont la source était ensanglantée et dont ils eussent à rougir s’ils avaient eu une conscience. Au lieu d’observer une conduite prudente, ils ne songèrent qu’à éclabousser les honnêtes gens de leur luxe insolent, comme une prostituée étale sans pudeur les diamants dont on paya sa honte. À Arcachon comme ailleurs, on vit quelques-uns de ces nouveaux riches qui s’empressèrent d’acheter les plus somptueuses villas (…) qui ne suffirent plus à ces enrichis de la guerre. (3)
C’est ainsi que M. Thévenot, jugeant indigne de lui la magnifique villa du prince de Broglie (4) a démoli les chalets voisins pour agrandir son parc et s’est rendu acquéreur de plusieurs autres maisons situées de l’autre côté du boulevard pour y installer ses écuries et ses garages. Les fantastiques dépenses de cet impudent Turcaret ont soulevé dans notre ville une violente indignation. (…) et nous avons conseillé à M. le Maire de vivement repousser toutes les offres de M. Thévenot.
Aujourd’hui, M. Thévenot se trouve sous le coup d’une accusation de la plus haute gravité car on l’accuse d’avoir falsifié ses livres de commerce pour frauder l’État. Naturellement, il proteste de son innocence. La justice se prononcera. En attendant, la Ville d’Arcachon doit refuser de lui aucun don et conserver intacte la magnifique forêt visée par cet insatiable spéculateur ».
* INFORMATIONS *
+ Nous avons à Arcachon depuis quelques jours une grève des ouvriers du bâtiment. Ils demandent trois francs de l’heure, soit 24 francs pour une journée de huit heures. (5)
+ On dit que la société des Pêcheries nouvelles aurait l’intention de cesser son exploitation par suite du prix excessif du charbon et de la main d’œuvre.
+ Les habitants de l’Arrègue blanque n’ont ni eau ni gaz et le sable rend inaccessible l’accès de leurs chalets. Ils ont adressé une réclamation à M. le Maire qui leur a répondu qu’il n’avait pas d’argent.
+ Dimanche dernier, MM. Pierre Dignac et Rödel sont venus à Gujan pour étudier avec les intéressés les mesures indispensables pour remédier à l’augmentation du prix de l’essence et des rogues. La population maritime reconnaissante de leur dévouement leur a fait le plus chaleureux accueil.
+ L’Aviron arcachonnais va organiser les régates 1920 au cours de son assemblée générale du mardi 15 courant.
+ La Maison Maël livre toutes les photographies des villas d’Arcachon en phototypie et photographie. 41 cours Sainte-Anne. Hall, Salon de pose.
* LES PASSES ET LE YACHTING *

– M. Rödel poursuit sa campagne pour l’aménagement des passes du Bassin en ces termes (extraits) : « Notre coquette cité est devenue le rendez-vous de l’aristocratie française. On compte parmi ses hôtes les plus assidus des musiciens renommés, des poètes célèbres en somme d’éminentes personnalités. (…) Pour les distraire, des régates célèbres sont organisées auxquelles prennent part des bâtiments venus d’un peu partout. (…) L’état actuel des passes est un obstacle à la pratique libre du yachting (…) et à la prospérité illimitée d’Arcachon et de sa région ».
(À suivre)

- (1) Source : Gallica-B.N.F.
- (2) Les pertes humaines s’élèvent au total à 18, 6 millions de morts dont, pour la France 1 397 800 militaires, 300 000 civils et 4 266 000 blessés. 25 % des Français âgés de 20 ans en 1914 ont disparu à la guerre. Les dommages financiers français s’élèvent à l’équivalent de 132 milliards de marks-or.
- (3) Une commission avait été chargée de taxer les bénéfices liés à l’industrie de guerre en 1916 (taux de 50% puis à 80 % au-dessus de 500 000 frs). Mais beaucoup de profits étaient dissimulés par une comptabilité en partie double si bien que l’impôt n’a rapporté que 0,56 % des rentrées estimées. Des entreprises ont souvent quadruplé leurs chiffres d’affaires. (Berliet, Boussac, Citroën, Hotchkiss, Renault, etc.) En France, certains calculs d’après Georges d’Avenel, donnent 56 milliards de francs-or de profit pour ceux que Pagnol appelle « Les Marchands de gloire ». Aux USA, la guerre a généré 16 milliards de $ de profit.
- (4) La villa « Saint-Yves », boulevard de la Plage.
- (5) En 1920, un salaire moyen mensuel de manœuvre est de 610 F. Un instituteur débute à 875 F et un lieutenant-colonel gagne 4300 F. À partir de 1920 et jusqu’en 1929, les salaires augmenteront, selon les catégories, de 10 à 25 % et les profits de 50 %. L’inflation atteint 39, 5 % en 1920 !

____________________________________________________________